39 Michèle Audette, femme politique, militante et dirigeante amérindienne canadienne (1971-)
Laurie Lalancette
Michèle Audette est une militante féministe engagée dans la défense des droits des femmes autochtones. On la connaît surtout pour le combat qu’elle a mené pour la tenue d’une commission d’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. Elle revendique depuis des années l’autonomie gouvernementale des premières nations, la fin de la discrimination à l’endroit des femmes autochtones inscrite dans la Loi sur les Indiens et dénonce le cycle de la violence qui touche particulièrement les femmes et les enfants autochtones. Son action résonne à l’intérieur des communautés autochtones comme à l’extérieur. Elle a travaillé sa vie durant afin que les enjeux touchant les femmes soient pris en compte par les leaders des premières nations et compris par les Canadiens. Elle est récipiendaire du prix Femme de mérite du YWCA 2004, a obtenu la médaille du jubilé de diamant de la reine Élisabeth II en 2012 et a été choisie comme femme de l’année 2014 par le Conseil des femmes de Montréal.
Enfance
Née en 1971 dans la petite ville de Wabush au Labrador, Michèle Audette a passé ses premières années de vie à Schefferville, où travaillait son père. À la suite du divorce de ses parents, elle vécut en alternance à Montréal et dans la communauté de Mani-Utenam, sur la Côte-Nord. Née d’une mère innue et d’un père blanc, elle a pris conscience très tôt dans sa vie des injustices découlant du fait d’être une femme métis, le statut d’autochtone lui étant refusé parce que sa mère avait marié un blanc.
En étant femme et autochtone, on est déjà doublement discriminée à cause de la Loi sur les Indiens (Castonguay 2012 : 0.50).
Cette disposition de la Loi sur les Indiens, qui déniait aux femmes le droit de transmettre à leur descendance le statut d’indien, fut abandonnée en 1985, car jugée assimilatrice et sexiste. Son identité métisse lui a, dès l’adolescence, causé du rejet de la part des deux mondes auxquels elle appartenait, ni tout à fait innue aux yeux des uns, et une Amérindienne parmi les blancs pour les autres.
Sa mère, Evelyne St-Onge, lutta des années afin d’avoir le droit de vivre parmi la communauté innue dont elle fut rejetée en raison de son mariage, pour finalement obtenir le droit de résidence.
Vie adulte et engagement
À ses 18 ans, sa mère, inquiète de la mauvaise influence de certains jeunes de la réserve, l’inscrivit à Jeunesse Canada Monde. Ce périple la mena jusqu’au Brésil, lui permettant de s’ouvrir sur le monde. Cet éveil donnera un nouveau sens à sa vie et à sa quête identitaire.
Mère éduquant seule son fils à 20 ans, elle entama des études au Cégep. Michèle Audette étudia par la suite les beaux-arts à l’Université Concordia, rêvant déjà à l’époque de pouvoir présenter son peuple aux Québécois. Elle apparaîtra également au grand écran dans le film Le silence des fusils d’Arthur Lamothe.
De l’art militant, elle fera le saut vers l’engagement politique. Dès l’âge de 26 ans, Michèle brigua la présidence de l’organisation Femmes autochtones du Québec, apprenant du même coup que sa mère était une des membres fondatrices. Elle resta en poste pendant six ans, de 1998 à 2004. Par son implication au sein de Femmes autochtones du Québec, elle souhaitait remettre les pendules à l’heure par rapport au retard de la condition des femmes autochtones vis-à-vis des femmes québécoises. Par son implication, elle combattit la violence faite aux femmes et l’impunité dans laquelle elle a trop souvent lieu sur les réserves. Elle travailla à ce que plus de femmes soient présentes sur les conseils de bandes et à ce que leur voix soit entendue. Son combat en est aussi un d’éducation populaire, pour faire connaître les inégalités de droits au grand public et dans les communautés. D’ailleurs, elle milite toujours pour que l’histoire des autochtones soit obligatoirement enseignée aux jeunes Québécois et des premières nations. Elle critique le fait qu’on n’enseigne pas la Loi sur les Indiens et les recours juridiques possibles aux jeunes des réserves.
Sollicitée par des partis politiques, elle décida de changer le système de l’intérieur et fut sous-ministre au Secrétariat de la condition féminine de 2004 à 2009. Pendant son mandat au sein de l’administration publique québécoise, elle mit sur pied une politique pour contrer la violence envers les femmes spécifiquement adaptée à la situation des femmes autochtones.
En 2010, outré que son fils aîné ne puisse recevoir le statut d’indien parce que sa grand-mère ne s’était pas enregistrée en 1985, Michèle décida d’organiser la Marche pour Amoun, 500 kilomètres de Wendake au Parlement d’Ottawa pour protester contre la discrimination qui perdure à l’endroit des femmes autochtones et leurs enfants. L’héritage de son fils et de 45 000 autres fut par la suite reconnu par un nouvel amendement à la Loi sur les Indiens.
Après la naissance de ses jumelles, elle retourna dans le milieu associatif et fut élue à la tête de l’Association de Femmes autochtones du Canada en 2012. C’est à ce moment qu’elle mena de front avec l’association le combat pour mettre fin à l’indifférence politique entourant les femmes autochtones disparues et assassinées. Avec son équipe, elle fit la recension de nombreux cas non résolus (582 depuis 2008 et plus de 2 000 dans les 30 dernières années) et informa les médias des statistiques alarmantes sur le risque élevé des femmes des premières nations d’être victimes de violences et d’agressions. Elle joignit au même moment sa voix au mouvement Idle No More.
Devant l’inaction du gouvernement Harper, Michèle Audette choisit de se présenter en 2015 sous la bannière du parti libéral du Canada. Bien qu’elle n’ait pas été élue, elle influença le gouvernement Trudeau. L’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées fut lancée.
Conclusion
Malgré son parcours remarquable, Michèle Audette vécut des épreuves : elle raconte avoir connu la dépression et avoir tenté de s’enlever la vie.
Si on devait retenir une contribution de Michèle Audette à la société canadienne, ce serait l’exemple d’une femme qui défia avec courage, qui fit entendre sa voix malgré les bâillons et qui lutta jusqu’à ce que les injustices d’une société qui se dit égalitaire soient reconnues et corrigées. Sa démarche a quelque chose de moderne et d’authentique. Elle confronta l’héritage colonial et patriarcal se dressant entre elle et son identité en demeurant fondamentalement confiante dans l’avenir. Ainsi, elle parvint à créer un pont entre deux mondes qui peinaient à se comprendre.
Références
Castonguay, Jaquelin. 2012. Michèle Audette, la militante nomade [En ligne]. Le 21e. Disponible sur : http://ici.radio-canada.ca/emissions/le_21e/2011-2012/chronique.asp?idChronique=213811 (Consulté le 17 décembre 2016).
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Lévesque, Fanny. 2016. « Entrevue avec Michèle Audette : rêver à la sécurité des jeunes filles ». LeSoleil [En ligne]. Disponible sur : http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/societe/201608/03/01-5007035-entrevue-avec-michele-audette-rever-a-la-securite-des-jeunes-filles.php (Consulté le 19 décembre 2016).
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