37 Claudette Pitre-Robin, instigatrice du réseau des CPE au Québec (1948 – )
Hélène Potvin
Il y a de ces femmes, sous les feux de la rampe, que nous connaissons. Il y a les autres, très nombreuses, qui pas à pas, avec persévérance et engagement travaillent dans l’ombre pour qu’avance la cause qui leur tient à cœur. Claudette Pitre-Robin fait partie de cette seconde catégorie. Sa cause? L’accès à des services de garde de qualité pour les tout-petits. Pour y arriver, elle choisit l’implication citoyenne : le travail collectif où l’objectif passe avant la reconnaissance individuelle. C’est elle qui a imaginé et proposé le concept du réseau des centres de la petite enfance (CPE).
Des modèles qui teintent sa personnalité
Claudette, née le 14 juillet 1948 dans un quartier populaire de Montréal, est l’aînée d’une famille où l’amour et les marques d’affection étaient monnaie courante. Son père, peu instruit, occupait deux emplois. Il s’endettait tous les ans pour offrir à ses quatre enfants des cadeaux à Noël et des vacances estivales.
Dès l’école primaire, Claudette pensait au sens de la vie : « Cela ne se peut pas que nous vivions et qu’il ne reste rien de notre passage ». Ainsi à l’âge de 14 ans, outre le gardiennage d’enfants, elle fait du bénévolat auprès de jeunes ayant des problèmes de comportement, retirés de leur famille ou placés dans des centres de rééducation. Des enfants qui ont des besoins.
À l’image de sa grand-mère maternelle qui, malgré ses 11 enfants, était sur le marché du travail à une époque où la femme n’y avait pas sa place, Claudette est une battante. Jeune adulte en plein cœur de la révolution sexuelle au Québec, elle voulait être égale aux hommes.
J’ai eu la chance de vivre mon enfance auprès de parents très ouverts. Je rends hommage à nos mères. Elles se sont affranchies de leur cadre et ont préparé le terrain pour que nous puissions à notre tour travailler à faire progresser la société.
Cette époque et ces expériences sont le ciment des valeurs et des attitudes de Claudette. Travailler, être disponible, aimer, s’occuper et défendre les autres, surtout les enfants, sont les verbes qui la définissent.
Implication plurielle pour la petite enfance
Chargée de cours en petite enfance et en services de garde tant au niveau collégial (1985-1996) qu’universitaire (1997-2014), elle dirige le Regroupement des CPE de la Montérégie depuis 1976. Elle n’achèvera aucun des trois certificats universitaires entrepris : « Pas le temps. Trop de choses à faire! ». Son curriculum vitae en témoigne : une seule page pour ses emplois et 17 pour ses implications diverses!
Son action pour la cause des tout-petits prend son envol dans les années 70. Pour elle, l’accès des femmes au marché du travail est un droit. Son leitmotiv? Il faut des services de garde qui répondent aux besoins des enfants pour que les femmes puissent exercer une profession sans se culpabiliser.
Cet accès est intrinsèque à l’accès des femmes au marché du travail.
Claudette joint donc sa voix aux groupes qui revendiquent un réseau québécois de garderies sans but lucratif, financé par l’État et géré par les parents.
Les 70 garderies populaires de l’époque étaient perçues comme des crèches soviétiques. Cela teintait certains échanges… Les femmes sur le marché du travail qui faisaient garder leurs enfants étaient critiquées : c’était perçu comme un abandon de leur part.
C’est pourquoi elle s’investit dans des dizaines de groupes communautaires qui défendent les droits des femmes et qui réclament haut et fort des changements, notamment le Groupe des 13[1] au sein duquel elle s’engage de 1986 à 1995.
Pour arriver à ses fins, elle sait qu’il faut également semer des graines. Elle saisit donc toutes les opportunités pour livrer son message et s’implique auprès des groupes qui ont les mêmes préoccupations. Elle propose des textes de pétitions, organise ou prend part à de multiples manifestations. Elle décide de siéger à de nombreux conseils d’administration et participe à moult comités de travail, au sein d’organismes publics notamment.
C’est ainsi que nous la retrouvons à la Table sectorielle du mouvement familial (1994 à 1997), au Comité provincial pour l’intégration des enfants handicapés dans les services de garde (1995-2000), au Conseil de la Famille et de l’Enfance (1997, 2001-2005), à l’Office des services de garde à l’enfance (1997, 1982-1986), au Chantier de l’économie sociale (1999-2005, 2011 à aujourd’hui) et au Comité de suivi du Plan concerté pour les familles du Québec (2000) pour n’en citer que quelques-uns.
Autres moyens? Soumettre des projets ou des mémoires lors de débats publics. Sa plus grande réalisation : la présentation au Sommet socioéconomique 1996 de projets-pilotes qui furent la bougie d’allumage de la Politique familiale québécoise et la naissance du réseau des CPE.
L’histoire ne la cite nulle part et, pourtant, c’est Claudette qui a été l’instigatrice des CPE!
La qualité : non négociable
Mettre en place des services de garde, c’est bien, mais pour Claudette le travail n’est pas terminé. Ils doivent être de grande qualité. C’est pourquoi elle fonde ou soutient la création d’organismes régionaux tels que le Regroupement des CPE de la Montérégie, ou nationaux tels que Concertaction interrégionale des garderies du Québec[2], pour qu’ils donnent des services et de la formation aux services de garde du Québec.
Elle s’implique entre autres auprès du Groupe de recherche et d’action sur la victimisation des enfants et de l’Alliance de recherche en développement des enfants dans leur communauté de l’Université du Québec à Montréal (2002), ainsi qu’au Conseil d’agrément sur la qualité (2006-2008). Elle propose en 2008 à l’Association québécoise des CPE (AQCPE) de créer BRIO, une campagne nationale de perfectionnement sur le programme éducatif. Elle fonde également l’Institut Québécois sur la sécurité dans les aires de jeu (depuis 2009).
Parce que la qualité passe aussi par les conditions de travail, Claudette devient membre de très nombreux groupes de travail mis en place par le gouvernement qui abordent ces sujets : loi, règlements, financement, redressement salarial, équité salariale, régime de retraite, assurances. Par ricochet, des gains pour le bénéfice des milliers de femmes qui travaillent auprès des enfants d’âge préscolaire au Québec.
Claudette le dit humblement : ce sont des réalisations collectives. Mais son apport est indéniable.
Les CPE au Québec sont des fleurons de l’économie sociale québécoise!
Et… les autres causes
Désirant donner un sens au décès d’un de ses trois fils en 1995, elle proposa la création d’un comité, toujours existant, d’humanisation des soins à l’Hôpital Sainte-Justine de Montréal. Elle s’implique par ailleurs à Leucan, une association québécoise pour les enfants atteints de cancer et leur famille. Elle créa aussi le comité des parents endeuillés.
Conclusion
Claudette Pitre-Robin est décidément une femme d’action qui donne, par ses implications, un sens à sa vie. Elle a été une actrice déterminante dans la mise en place du réseau des CPE au Québec. Craignant l’appauvrissement des enfants par le retour des femmes à la maison et la poursuite des reculs dans les fondements du réseau des services de garde du Québec, elle est encore active à 68 ans!
Son rêve?
Comme pour la maternelle, il faut que les CPE soient accessibles partout et gratuits. Rien de moins!
Références
Fondation Lucie et André Chagnon. 2011. Sommes-nous encore fous de nos enfants? Compte-rendu Forum 2011. 22 p.
Lalonde-Graton, Micheline. 2002. Des salles d’asile aux centres de la petite enfance. La petite histoire des services de garde au Québec. Québec. Presses de l’Université du Québec. 412 p.
Lalonde-Graton, Micheline, Pitre-robin, Claudette. 1996. Une enfance à préserver : réflexion sur les dangers de la scolarisation précoce. St-Lambert. Editions Concertaction inter-régionale des garderies du Québec. 132 p.
Lépine, Brigitte, Pitre-Robin, Claudette, Sapina, Nathalie et Lévesque, Carole. 2014. Les centres de la petite enfance, un vaste chantier économique. St-Hubert. Éditions du RCPEM. 20 p.
Internet
Secrétariat du CIRIEC. Appel en faveur d’une économie sociale et solidaire. En ligne. URL : https://unites.uqam.ca/econos/Appel en faveur.htm. Consulté le 31 décembre 2016.
Gaudel, Muriel. 2013. Politique familiale au Québec. Encyclopédie Canadienne. En ligne. URL : http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/politique-familiale-au-quebec/. Consulté le 20 décembre 2016.
Groupe des 13. 2014. En ligne. URL: http://www.rcentres.qc.ca/public/G-13.html. Consulté le 20 décembre 2016.
Gazette officielle du Québec. 2001. En ligne. URL :
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=1&file=36513.PDF. Consulté le 20 décembre 2016.
Institut Québécois de la Sécurité dans les Aires de Jeu. 2009. En ligne. URL : http://www.iqsaj.com. Consulté le 20 décembre 2016.
La petite enfance au Canada. 2016. Bâtissons le futur: Les données probantes qui appuient l’investissement dans l’éducation préscolaire au Canada. En ligne. URL : http://ecincanada.ca/fr/petition/signatures_fr/natures. Consulté le 31 décembre 2016.
Musée québécois de culture populaire. Le début d’un temps nouveau. En ligne. URL : http://larevolutiontranquille.ca/fr/les-femmes-a-lassaut-du-monde-du-travail.php. Consulté le 31 décembre 2016.
Ormones.ca. L’Histoire du réseau des CPE : quelques dates clé. En ligne. URL : http://ormones.ca/Histoire_des_CPE. Consulté le 30 décembre 2016.
Site du premier ministre du Québec. 1996. Le Sommet sur l’économie et l’emploi : Une grande semaine pour le Québec, pour l’emploi, pour l’avenir. En ligne. URL : https://www.premier-ministre.gouv.qc.ca/actualites/communiques/1996/novembre/1996-11-01.asp. Consulté le 20 décembre 2016.
Solidarité rurale du Québec. Lettre ouverte : Fin de l’universalité pour les services de garde. (2014). En ligne. URL : http://www.ruralite.qc.ca/fr/dossiers-ruraux/Actualites/Lettre-ouverte-Fin-de-l-universalite-pour-les-services-de-garde. Consulté le 30 décembre 2016.
Wikipédia, L’encyclopédie libre. Centre de la petite enfance. En ligne. URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Centre_de_la_petite_enfance. Consulté le 30 décembre 2016.
- Formé dès 1986, le Groupe des 13 est une coalition de groupes, de regroupements et de tables de groupes de femmes qui œuvrent à l’échelle provinciale et régionale à la défense des droits des femmes dans des domaines variés. Ce lieu d’échange a pour objectifs la circulation de l’information, le soutien de ses membres et la prise de positions communes. ↵
- Organisme abolit devenu l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) ↵