36 Élisabeth Badinter, philosophe, féministe et femme de lettres et d’affaires (1944 – )

Jeanne Lods

image

 

Élisabeth Badinter est une philosophe, femme de lettres et d’affaires, laïque affirmée, connue pour son engagement et ses réflexions sur le féminisme, et en particulier sur la condition des femmes immigrées. Elle écrit de nombreux ouvrages sur la place de la femme dans la société. Elle est aussi une spécialiste du siècle des Lumières.

Origines

Née Élisabeth Bleustein-Blanchet à Boulogne-Billancourt (France), elle épousa Robert Badinter en 1966, homme à l’origine de l’abolition de la peine de mort en France en 1981. Il s’agit donc là d’un couple d’humanistes affirmés! Ils ont d’ailleurs toujours refusé de se voir remettre l’ordre national du mérite ou encore la légion d’honneur.

Le grand-père paternel d’Élisabeth Badinter, fils d’immigré russe juif, a fondé en 1926 la société publicitaire Publicis qui est aujourd’hui le 3e groupe mondial dans ce domaine. À ce jour, Élisabeth Badinter est la présidente du conseil de surveillance. Blanchet était le nom que son grand-père avait choisi pendant la résistance, et qu’il a finalement décidé de garder en complément de son vrai nom.

Premier combat : l’instinct maternel n’existe pas

Dès son premier livre en 1980, intitulé L’Amour en plus, Élisabeth Badinter jette un pavé dans la mare en affirmant que l’instinct maternel n’existe pas ou, du moins, qu’on ne le retrouve pas chez toutes les femmes. Pour elle, l’instinct maternel n’est pas issu de la nature, mais plutôt de la culture et également de la personnalité propre de chaque femme.

L’instinct maternel n’existe pas. Tout amour est construction. C’est l’un des acquis du féminisme.

Une femme peut aimer être enceinte, et je la comprends, mais sans avoir envie d’assumer un enfant.

Une déclaration qui a fait bondir les fervents défenseurs du modèle familial classique, pour lesquels avoir un enfant est, et doit être, la plus belle chose du monde et l’objectif de chaque homme et surtout de chaque femme.

La ressemblance des sexes

C’est dès 1989, dans son livre Qu’est ce qu’un femme?, qu’Élisabeth Badinter aborde pour la première fois son idée de « ressemblance des sexes ». Mais c’est en 2001, dans un article écrit pour le journal Le Monde, qu’elle détaille sa pensée. Au delà d’une simple égalité, Élisabeth Badinter veut démontrer que les hommes et les femmes sont égaux dans les valeurs, mais aussi dans l’horreur.

À elle la modestie, la générosité, le souci des autres et de la vie en général. À lui le goût du paraître, l’égoïsme et la violence. […] Le 12 novembre, les radios nous apprennent que trois journalistes ont trouvé la mort en faisant leur métier en Afghanistan. Parmi eux, une jeune femme de 35 ans, Johanne Sutton, journaliste à RFI. Y a-t-il une différence de nature entre elle et ses deux compagnons? On imagine la même peur au ventre, le même courage et leur commune capacité à mettre leur vie en jeu pour un idéal : nous informer. […] Une certaine Ana Belen Egües Gurruchaga, dite « Dolores », dirigeait ces dernières années les actions du sanglant commando Madrid et qu’elle-même venait de faire sauter une voiture piégée dans la capitale espagnole, blessant ainsi 90 personnes. De surcroît, l’organisation dont Dolores est le chef avait presque mené à terme, en décembre 1999, le projet de détruire la tour Picasso, dans laquelle travaillent 5 000 personnes. […] Affaire de testostérone ou d’histoire individuelle qui transcende la différence sexuelle? […] Certaines femmes, comme certains hommes, osent affronter la mort et certaines, à l’égal des hommes peuvent l’infliger à d’autres. La grandeur, comme l’ignominie, n’a pas de sexe.

Élisabeth Badinter publiera finalement en 2012 une analyse plus complète sous forme de livre divisé en cinq essais intitulé La ressemblance des sexes : De l’amour en plus au conflit – La femme et la mère, dans lequel elle prône la liberté et l’égalité des sexes, que ce soit pour les femmes, mais aussi les hommes, car les deux sont indissociables.

La parité hommes/femmes en politique

La parité, c’est LE grand combat des féministes. Seulement, chaque féministe ne veut pas y accéder par n’importe quel moyen. Doit-on l’imposer par une loi? Doit-on laisser faire le temps? En juin 2000, Élisabeth Badinter s’opposa à la loi sur l’égal accès des femmes aux mandats électoraux. Une loi qui revenait à dire que les femmes ne sont pas capables d’obtenir la parité par elles-mêmes, même si le combat est difficile et long. Dès 1999, Élisabeth Badinter s’opposait à cette loi, en compagnie d’autres femmes. Leur pensée pouvait se résumer en une phrase : « Oui à l’égalité, non à la parité ».

Même si cela peut sembler scandaleux, je pense très sincèrement que le volontarisme politique aurait été la meilleure arme pour rétablir une égalité. Cela aurait peut-être pris dix ans de plus, c’est vrai, mais qu’est-ce que c’est que dix ans!

Plus encore, Élisabeth Badinter va même jusqu’à critiquer les féministes françaises contemporaines qui se posent sans cesse en victimes. Ce constat, elle l’écrit dans un livre sorti en 2003, intitulé Fausse route. Elle y parle même de misandrie, ce qui lui a valu d’être fustigée par d’autres femmes se disant féministes et qui lui contestent son propre statut de féministe.

Le féminisme d’aujourd’hui

Pour Élisabeth Badinter, le féminisme d’aujourd’hui doit se concentrer sur les populations immigrées et notamment maghrébines, notamment à cause de la question du port du voile. La philosophe a écrit de nombreux articles et essais sur la question du port du voile, mais le plus marquant reste sans doute son « Adresse à celles qui portent volontairement la burqa » publiée dans Le Nouvel Observateur en 2009, puis relayé dans de nombreux médias.

Après que les plus hautes autorités religieuses musulmanes ont déclaré que les vêtements qui couvrent la totalité du corps et du visage ne relèvent pas du commandement religieux, mais de la tradition wahhabite (Arabie Saoudite) pour l’un, pachtoune (Afghanistan/Pakistan) pour l’autre, allez-vous continuer à cacher l’intégralité de votre visage?

Ainsi dissimulée au regard d’autrui, vous devez bien vous rendre compte que vous suscitez la défiance et la peur, des enfants comme des adultes. Sommes-nous à ce point méprisables et impurs à vos yeux pour que vous nous refusiez tout contact, toute relation et jusqu’à la connivence d’un sourire?

Dans une démocratie moderne, où on tente d’instaurer transparence et égalité des sexes, vous nous signifiez brutalement que tout ceci n’est pas votre affaire, que les relations avec les autres ne vous concernent pas et que nos combats ne sont pas les vôtres.

Alors je m’interroge : pourquoi ne pas gagner les terres saoudiennes ou afghanes où nul ne vous demandera de montrer votre visage, où vos filles seront voilées à leur tour, où votre époux pourra être polygame et vous répudier quand bon lui semble, ce qui fait tant souffrir nombre de femmes là-bas?

En vérité, vous utilisez les libertés démocratiques pour les retourner contre la démocratie. Subversion, provocation ou ignorance, le scandale est moins l’offense de votre rejet que la gifle que vous adressez à toutes vos soeurs opprimées qui, elles, risquent la mort pour jouir enfin des libertés que vous méprisez. C’est aujourd’hui votre choix, mais qui sait si demain vous ne serez pas heureuses de pouvoir en changer. Elles ne le peuvent pas… Pensez-y.

En 2016, Élisabeth Badinter continue son combat en appelant à boycotter les marques développant des habits islamiques. « Les féministes islamiques oublient qu’en guise d’égalité, elles doivent rester à la maison, que l’héritage est divisé par deux dans les pays musulmans et la polygamie admise dans le Coran dont elles se réclament », déclare notamment Élisabeth Badinter, profondément convaincue que les principes de la République doivent passer avant toute revendication religieuse, et ce, quelle que soit la religion. Mais sa prise de position lui vaudra d’être taxée d’islamophobe.

Être traité d’islamophobe est un opprobre, une arme que les islamo-gauchistes ont offerte aux extrémistes. Taxer d’islamophobie ceux qui ont le courage de dire  « Nous voulons que les lois de la République s’appliquent à tous et d’abord à toutes est une infamie ».

Elle est également venue en aide à Nadia Remadna, essayiste, militante et fondatrice de La brigade des mères. Élisabeth Badinter considère que « Nadia Remadna, au même titre qu’un nombre croissant d’intellectuels arabo-musulmans qui prennent la parole avec courage, […] sont les représentants actuels des Lumières. »

Élisabeth Badinter est donc loin de choisir la facilité en terme de féminisme, c’est à dire se contenter d’essayer d’obtenir l’égalité par la force, avec des lois. Son féminisme, c’est avant tout de l’humanisme, mais aussi un combat pour une laïcité pure et sans concessions.

Références

L’Amour en plus, Élisabeth Badinter (1980)

Thomas, Diderot, Madame d’Épinay : Qu’est-ce qu’une femme?, débat préfacé par Élisabeth Badinter, 1989

Fausse route : Réflexions sur 30 années de féminisme, Élisabeth Badinter, 2003

Le Nouvel Observateur du 9 juillet 2009 : Adresse à celles qui portent volontairement la burqa, Élisabeth Badinter

Blog Les Hommes Libres (http://hommelibre.blog.tdg.ch/archive/2009/07/27/elisabeth-badinter-s-exprime-sur-la-burqa.html)

Elle du 2 novembre 2012 (http://www.elle.fr/Societe/Les-enquetes/Elisabeth-Badinter-la-liberte-des-femmes-ne-va-pas-sans-celle-des-hommes-2239714)

L’Express du 11 février 1999 (http://www.lexpress.fr/actualite/politique/oui-a-l-egalite-non-a-la-parite_492514.html)

Les Inrocks du 8 avril 2016 (http://www.lesinrocks.com/2016/04/08/actualite/question-voile-divise-t-feministes-11818356/)

Le Monde du 3 avril 2016 (http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/04/03/elisabeth-badinter-la-tolerance-s-est-retournee-contre-celles-que-l-on-croyait-aider_4894712_3232.html)

Media-Web.fr du 24 juillet 2013 (http://www.media-web.fr/elizabeth-badinter-et-le-port-volontaire-du-voile-integral-78-104-1167.html)

Le Monde du 14 novembre 2001 : La ressemblance des sexes, Élisabeth Badinter

La cause des hommes (http://www.la-cause-des-hommes.com/spip.php?article61)

Le Monde du 6 décembre 2007 (http://www.lemonde.fr/savoirs-et-connaissances/son/2007/12/06/elisabeth-badinter-de-la-difference-a-la-ressemblance-des-sexes-de-la-dualite-a-la-multiplicite-des-genres-un-debat-aveugle-par-les-enjeux-politiques_986492_3328.html)

Wikipedia (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth_Badinter)

Licence

Symbole de License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International

Citoyennes Droit d'auteur © 2014 par Collectif d'écriture sous la direction de Florence Piron est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

Partagez ce livre