35 Nise da Silveira, médecin et psychiatre (1905 – 1999)
Fadua Lima Matuck
Première femme brésilienne à obtenir un diplôme en médecine, la psychiatre Nise da Silveira refusa d’utiliser l’électrochoc pour traiter des schizophrènes et créa une section de thérapie occupationnelle dans un hôpital à Rio de Janeiro. Plus tard, elle fonda le Musée des images de l’inconscient, un centre de recherche pour conserver les œuvres de ces patients en tant que documents pouvant améliorer la compréhension du monde intérieur des schizophrènes
Les débuts dans la psychiatrie
Née au début du XXe siècle à Maceió dans le nord-est du Brésil, Nise da Silveira fut l’une des toutes premières femmes brésiliennes à obtenir un diplôme en médecine en 1926, la seule femme d’une promotion comptant 120 hommes à la Faculté de Salvador de Bahia. Dans les années 1930, elle se spécialisa en psychiatrie et, en 1933, elle intègra l’ancienne Assistance de prophylaxie mentale de Rio de Janeiro.
En 1936, la jeune psychiatre voit sa carrière interrompue. Elle fut dénoncée de posséder des livres de Karl Marx par une infirmière – il faut noter que c’était « l’État nouveau », la dictature du président Getulio Vargas, qui a décrété le Parti communiste illégal au Brésil –, et Nise passa un an et demi en prison. En sortant, elle ne pouvait pas reprendre son poste. Ce n’est qu’en 1944, huit ans plus tard, qu’elle put retourner au travail, cette fois au Centre psychiatrique national de Rio de Janeiro, connu comme l’hôpital Dom Pedro II, dans une banlieue pauvre de la ville, qui comptait 2 000 schizophrènes chroniques.
La rebelle
De retour, elle découvrit avec horreur les nouvelles méthodes thérapeutiques en vigueur, comme l’électrochoc et la lobotomie, qui présentaient des risques de séquelles au cerveau des patients. Elle refusa d’adopter ces traitements qu’elle considérait comme une forme de violence.
Pendant toutes ces années passées loin, est entré en vogue dans la psychiatrie un certain nombre de traitements et de nouveaux médicaments qui n’étaient pas utilisés auparavant. Ce misérable portugais Egaz Muniz, qui a remporté le prix Nobel, avait inventé la lobotomie. D’autres nouveautés sont les électrochocs et le choc de l’insuline. Je travaillais dans une infirmerie avec un médecin intelligent, mais qui s’était adapté à ces innovations. Il m’a dit : « Vous allez apprendre les nouvelles techniques de traitement. Commençons par l’électrochoc ». Nous nous sommes arrêtés en face du lit d’un patient qui était là pour un électrochoc. Le psychiatre a appuyé sur le bouton et l’homme est venu en convulsion. Le patient a été amené à l’infirmerie. Lorsqu’un nouveau patient fut prêt, le médecin m’a dit d’appuyer sur le bouton. Et je lui ai dit « Non, je n’appuierai pas ». Là commença la rebelle.
Pendant son expérience comme prisonnière, elle put constater combien l’absence de toute activité favorisait la ruine mentale des prisonniers. D’autre part, les patients vivaient eux aussi comme des prisonniers dans les hôpitaux psychiatriques, éloignés de leurs familles et de la société. En 1946, elle parvient à mettre en place une section de thérapie occupationnelle qui proposait des ateliers de musique, d’artisanat, de théâtre, de jardinage, de modelage et de peinture. C’était, selon elle, une manière non violente, plus humaine, de traiter les schizophrènes. Très vite, la peinture et le modelage se distinguèrent comme des moyens pour accéder au monde intérieur de ces personnes. Grâce à la peinture, le schizophrène, qui est souvent une personne hermétique, difficile d’accès, laissait ses émotions les plus profondes venir en surface et, de cette manière, Nise croyait pouvoir comprendre un peu son monde intérieur. De plus, les travaux manuels des schizophrènes l’impressionnaient par leur quantité et leur qualité.
Le Musée des images de l’inconscient
Nise da Silveira a donc commencé à étudier ces images et à les collectionner comme matériel de recherche pour essayer de comprendre la maladie. En 1952, elle fonda le Museum de Imagens do inconsciente (Musée des images de l’inconscient) à Rio de Janeiro : un centre de recherches pour conserver les œuvres des patients, en tant que documents pouvant améliorer la compréhension du monde intérieur des schizophrènes. Quelques années plus tard, en 1956, elle met en forme un projet révolutionnaire pour l’époque, la Casa das Palmeiras (Maison des Palmiers), une clinique de réhabilitation pour malades psychiatriques graves où les malades étaient considérés comme des visiteurs (venant de l’extérieur), complétant des étapes pour se réinsérer complètement dans la société et, donc, n’étaient pas enfermés. Aucune marque extérieure ne permettait de distinguer le personnel d’encadrement des patients. C’était un petit territoire de liberté, comme Nise aimait le dire.
Les mandalas et Carl Gustav Jung
Au milieu d’œuvres à l’esthétique et aux contenus si divers, un certain type d’images attira l’attention de Nise. Il s’agissait de formes géométriques circulaires. Influencée par les théories psychiatriques de l’époque, Nise supposait que la psyché dissociée des schizophrènes était incapable d’organiser des images aussi harmonieusement structurées. Elle se demandait comment ces malades pouvaient peindre de telles images. En quête d’une réponse, elle décida de photographier une dizaine de ces images et de les envoyer à Carl Gustav Jung en 1954, qu’elle considérait comme le plus grand psychanalyste vivant. Quelques semaines plus tard, Nise reçut une réponse d’Aniéla Jaffé, collaboratrice de Jung : « Le Pr Jung me prie de vous remercier pour les intéressantes photographies de mandalas dessinés par des schizophrènes que vous lui avez envoyées depuis l’autre côté du monde ». Et il expliquait qu’il s’agissait là de mouvements naturels de la psyché, de véritables forces autocuratives, dont le but est d’organiser ce qui est désorganisé.
Jung lui avait fait découvrir en effet qu’il restait une force vivante de défense dans la psyché du schizophrène, qui travaillait dans le but du rassemblement. C’était comme une tentative de l’inconscient du psychotique pour compenser sa dissociation interne, en lui faisant composer instinctivement des figures de mandalas, symboles orientaux qui représentent l’unité, pour le ramener vers un centre unique. Pour Nise, il s’agissait là d’un chemin qu’il était absolument nécessaire d’explorer. La psychiatre, qui étudiait les rarissimes textes de Jung au Brésil, fut alors convaincue qu’elle allait trouver dans les propositions théoriques de son maître les outils pour prendre véritablement en considération et interpréter la production des malades. Ces œuvres qu’ils réalisaient spontanément étaient pour elle l’expression d’émotions internes, c’est-à-dire un langage.
En 1957, Nise rencontra Jung à Zurich, au IIe Congrès international de psychiatrie. Le thème était « L’état actuel de nos connaissances sur le groupe des schizophrènes » et, pour l’occasion, une sélection de peintures du Musée des images de l’inconscient occupait cinq grandes salles du lieu où se tenait le Congrès, sous le titre « La schizophrénie en images ». La psychiatre brésilienne avait classé les images selon les différents thèmes de ses études. Dans « Les mondes fantastiques et le monde réel retrouvé », par exemple, c’était possible de suivre, à travers des séries d’images, le cheminement de différents malades dans leurs univers imaginaire jusqu’à leur retour à la réalité.
Jung manifesta un grand intérêt pour ces œuvres qui constituaient une impressionnante documentation sur les émotions des schizophrènes, en même temps qu’elles étaient associées à un travail de l’inconscient collectif. Pour Jung, ces formes d’expression spontanées confirmaient ses propres recherches et découvertes sur les structures de base du psychisme humain.
Après le Congrès, Jung reçut Nise da Silveira chez lui. Celle-ci essaya alors de lui expliquer combien elle-même, dans l’approche thérapeutique différente qu’elle avait mise en place, se trouvait souvent désemparée face à certaines productions des ateliers d’expression plastique, lorsqu’elle tentait de les interpréter. Jung lui demanda si elle étudiait la mythologie. Elle lui répondit que non. Mais il insista : « Si vous voulez développer un autre type de psychiatrie et mieux comprendre les délires de vos malades, ainsi que les images qu’ils peignent, il vous faut étudier la mythologie ». Tout le reste de sa vie, Nise s’attachera à suivre ce conseil de Jung, qui lui servit de fil conducteur dans ses recherches ultérieures sur les expressions les plus énigmatiques de l’inconscient, « dans ces régions mystérieuses qui sont de l’autre côté de notre monde réel », comme elle disait.
Les oeuvres
- Jung : vida e obra, Rio de Janeiro, José Álvaro Ed., 1968
- Imagens do inconsciente, Rio de Janeiro, Alhambra, 1981
- Casa das Palmeiras. A emoção de lidar. Uma experiência em psiquiatria, Rio de Janeiro, Alhambra, 1986
- O mundo das imagens, São Paulo, Ática, 1992
- Nise da Silveira, Brasil, COGEAE/PUC-SP 1992
- Cartas a Spinoza, Rio de Janeiro, Francisco Alves, 1995
- Gatos, A Emoção de Lidar, Rio de Janeiro, Léo Christiano Editorial, 1998
Références
Soci Maria Rosa, 2003. « Une pionnière de la thérapie par l’expression plastique spontanée, la Doutora Nise da Silveira », Cahiers jungiens de psychanalyse 2/2003 (n° 107), p. 93-107
URL : www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-de-psychanalyse-2003-2-page-93.htm.
Melo, Walter et Ferreira, Ademir Pacelli. 2013. « Clínica, pesquisa e ensino: Nise da Silveira e as mutações na Psiquiatria Brasileira », Revista Latinoamericana de Psicopatologia Fundamental, 16(4), 555-569.
Le site du Centro Cultural Ministério da Sáude sur Nise da Silveira et le Musée des images de l’inconscient : http://www.ccms.saude.gov.br/nisedasilveira/index.php
Vidéos
Vidéo sur le Musée des images de l’inconscient réalisé par l’UNESCO :
https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=eY8g0j8gyu8
Bande–annonce du film « Nise, le cœur de la folie », de 2015, réalisé par Roberto Berliner :