32 Fatima Mernissi, sociologue, écrivaine et féministe marocaine (1940-2015)
Lamiae Belarbi
Fatima Mernissi est une sociologue, écrivaine et féministe marocaine, la seule Marocaine à figurer dans le classement de 2012 des 100 femmes les plus influentes du monde arabe, réalisé par le magazine Arabian Business. Elle est de plus passée de la 76e position à la 15e place en 2013.
Fatima Mernissi est devenue, autant au Maghreb qu’ailleurs, une icône pour toute une génération d’intellectuels.
Si les droits des femmes sont un problème pour certains hommes musulmans modernes, ce n’est ni à cause du Coran, ni à cause du prophète (Mohammed) et encore moins à cause de la tradition islamique, c’est simplement que ces droits sont en conflits avec les intérêts d’une élite masculine.
Une enfance au harem… Portrait d’une féministe arabo-musulmane
Née en 1940 à Fès dans une famille de propriétaires terriens et d’agriculteurs et décédée le 30 novembre 2015 à Rabat, elle suivit des études dans l’une des premières écoles privées mixtes du Maroc.
Bien qu’elle ait grandi dans un environnement privilégié, son enfance se déroula dans les limites de la structure du « harem ». Non pas le harem comme lieu où les femmes sont réservées pour le plaisir des hommes, mais un harem domestique traditionnel composé de la famille élargie, conçu pour maintenir les femmes à l’abri des hommes qui ne sont pas de la famille (Arab Women’s Solidarity Association, Belgique, 2014).
L’éducation de Mernissi dans cet environnement a beaucoup affecté son travail de chercheuse. Elle a longtemps bataillé pour l’émancipation de la femme arabe, en commençant par transgresser les règles au sein de sa propre famille en choisissant de poursuivre ses études. Elle fit une bonne partie de ses études dans des écoles coraniques et, après avoir obtenu un diplôme en sciences politiques à l’Université Mohammed V de Rabat au Maroc, elle reçut une bourse pour étudier à la Sorbonne à Paris. Elle partit ensuite aux États-Unis pour compléter un doctorat en sociologie à la Brandeis University. Elle tira de sa thèse une première publication, Beyond the Veil, qui s’imposa rapidement aux États-Unis comme un classique.
Après ses études, elle retourna au Maroc où elle devint professeure de sociologie à l’Université Mohammed V de Rabat.
Ses combats dans la société civile
En étant l’une des féministes arabo-musulmanes les plus puissantes, l’influence de Fatima Mernissi s’étendit au-delà d’un cercle étroit d’intellectuels. Elle écrivit régulièrement sur les problèmes des femmes dans la presse populaire, elle anima des ateliers sur le terrain, elle participa à des débats publics pour promouvoir la cause des femmes musulmanes à l’échelle internationale. Elle a également supervisé la publication d’une série de livres sur le statut juridique des femmes au Maroc, en Algérie et en Tunisie.
Le travail de Fatima Mernissi explore la relation entre l’idéologie et l’identité sexuelle, entre l’organisation sociopolitique et le statut des femmes dans l’islam et dans la culture marocaine. Elle utilisait deux stratégies : la première était de contester l’image du mâle sexiste par rapport aux femmes et leur sexualité, et la seconde était d’offrir aux femmes silencieuses une « voix » pour raconter leur propre histoire [1].
Au service du féminisme, de la modernité et de l’amour
Fatima Mernissi mena, en parallèle à sa carrière littéraire, un combat pour le féminisme dans la société civile : elle a fondé les « Caravanes civiques » où s’exprimaient toute la société civile désireuse de démocratie, ainsi que le collectif « Femmes, familles, enfants ».
Fatima Mernissi dénonçait le patriarcat dans la société arabe en montrant que l’islam encourage l’égalité des sexes, comme l’indique ce passage : « Les épouses du Prophète discutaient politique et allaient à la guerre ».
Outre « Sexe, idéologie, islam », son œuvre la plus lue, elle a publié notamment « Islam et démocratie » et « Le Harem politique », dans lequel elle s’interroge sur la place des femmes en terre d’islam en faisant remarquer qu’au VIIIe siècle :
Lorsque naît l’islam en 622, l’intention du Prophète est d’instaurer une communauté religieuse et démocratique où hommes et femmes discuteront les lois de la cité. À partir d’un tel projet, quels méandres ont mené jusqu’à cette figure prégnante de la femme voilée, mise à l’écart de la vie politique, confinée dans l’espace privé au nom de la foi religieuse?
À partir des années 1990, Mernissi s’engagea dans la vie associative au Maroc. Elle anima des ateliers d’écriture avec des amateurs, des militants des droits humains, d’anciens prisonniers des « années de plomb » marocaines (années 1960 à 1980) et des journalistes.
Prix et reconnaissance
En 2003, l’intellectuelle reçut, avec Susan Sontag, le prix Prince des Asturies en littérature. La même année, elle conçut une exposition du musée d’histoire naturelle-Guimet de Lyon et rédigé l’introduction du catalogue « Fantaisies du harem et nouvelles Shéhérazade ». Un an plus tard, l’écrivaine reçut le prix Erasmus aux Pays-Bas dans la catégorie « Religion et modernité ». Elle était également militante des droits des femmes dans son pays et membre du Groupe des Sages sur le dialogue entre les peuples et les cultures de l’Union européenne.
Cette large reconnaissance n’empêcha pas des moments plus douloureux, un isolement parfois, qui a influencé positivement son écriture et son engagement civique. La parution de son œuvre « Le Harem politique » (Albin Michel, 2010), l’exposa à la poursuite des islamistes marocains et de certains oulémas. Dans ses écrits, la sociologue plaidait fortement, après avoir démontré qu’il avait été falsifié, pour une réappropriation du message du prophète Mohammed, qu’elle opposait à la « misogynie » de son successeur, le calife Omar[2].
Ses œuvres
Elle publia une multitude d’ouvrages traitant de la question des femmes en terre d’islam sous divers angles (politique, social, moral, culturel). Fatima Mernissi écrivit principalement en français, mais ses ouvrages furent traduits en plusieurs langues telles que l’anglais, l’allemand, le néerlandais et le japonais.
- Sexe, Idéologie, Islam, Éditions Maghrébines, Éditions Le Fennec, 1985
- Al Jins Ka Handasa Ijtima’iya, Éditions Le Fennec, Casablanca 1987
- Le monde n’est pas un harem, édition révisée, Albin Michel, 1991
- Sultanes oubliées : femmes chefs d’État en Islam, Albin Michel / Éditions Le Fennec, 1990
- Le harem politique : le Prophète et les femmes, Albin Michel, 1987, Paperback, 1992
- La Peur-Modernité : conflit islam démocratie, Albin Michel / Éditions Le Fennec, 1992
- Nissa Ala Ajnihati al-Hulmt, Éditions Le Fennec, Casablanca, 1998
- Rêves de femmes : une enfance au harem, Éditions Le Fennec, Casablanca, 1997, Éd. Albin Michel, 1998
- Êtes-vous vacciné contre le harem?, Texte-Test pour les messieurs qui adorent les dames, Éditions Le Fennec, Casablanca, 1998
- Le harem et l’occident, Albin Michel, 2001
- Les Sindbads marocains, Voyage dans le Maroc civique, Éditions Marsam, Rabat, 2004
Références
Le harem et l’occident, Albin Michel, 2001
Nancy Auer Falk, Rita M. Gross (1993), La religion par les femmes, Labor et Fides, 448 pages
Alya Baffoun, (1982) Women and Social Change in the Muslim World. Women’s Studies International Forum, V.
Arab Women’s solidarity Association, Belgium, http://mernissi.net/
http://Femmedumaroc.ma
http://www.iesr.ephe.sorbonne.fr
Le Monde, 2015, http://www.lemonde.fr/afrique