4 Frontière chronologique et méthodologique dans la pensée archéologique et historique
Remy DZOU TSANGA
Résumé
Cet article fait état de deux approches de l’étude de la documentation matérielle et écrite de la préhistoire et de l’histoire contemporaine. Il est question d’explorer principalement la démarche archéologique dans la reconstitution du passé de l’humain dans ses aspects pluriels – technique, économique, social, environnemental, politique et événementiel. Si un tel projet ambitieux mobilise l’histoire et l’archéologique pour atteindre ce but, la démarche suivie est différente. L’une fait intervenir la fouille, les analyses et l’interprétation; tandis que l’autre exploite les sources écrites, orales et matérielles iconographiques.
Mots-clés : histoire, archéologie, frontière, chronologie, méthodologie.
Abstract
This article describes archaeological approach focusing in material culture study in prehistory and contempory history. it’s exploring mainly the archaeological method using to reconstruction of human past in its multifaces aspects: technics, economic, politic, social,environmental,. If such ambitious project mobilizes history and archaeology to achieve this goal the approach is diferent.one involves excavation, analysis and interpretation the other uses oral, iconography, and writing sources.
Keywords: history, archaeology, border, chronology, methodology.
Introduction
Paru pour la première fois sous la plume de Platon, le terme « archéologie », de son étymologie, est issu de deux mots grecs (ta) archaia les choses anciennes et logos (discours, parole) les choses anciennes. C’est donc un discours sur les choses anciennes (Jockey, 1999, p. 11). Il est admis dès la fin du XIXe siècle que l’étude de la culture archéologique est une source d’informations pour reconstituer le mode de vie des sociétés disparues dans leur dynamique socioculturelle, technique et environnementale. L’objectif principal étant la définition et la caractérisation des séquences chronoculturelles des peuples qui n’ont pas laissé d’écrits. L’idée que défendent les partisan·e·s de cette discipline est que les vestiges archéologiques sont des archives enfouies dans le sol ou localisées en surface, parfois noyées dans les profondeurs des cours d’eau et qu’il importe d’analyser et d’interpréter. Les sources matérielles sont autant importantes que celles dites écrites conservées dans les centres de documentation, les bibliothèques publiques et privées, les archives de nature et de statut différents qui sont exploitées par les historien·ne·s. Si le recours aux sources est indispensable pour analyser et expliquer les faits et les événements passés, qu’ils soient anciens ou récents, la nature de ces sources varie d’une discipline à l’autre. Plus on s’éloigne dans le lointain passé, moins les sources écrites sont disponibles. La question que l’on se pose est la suivante : quels sont les éléments qui créent la séparation entre l’archéologie et l’histoire au niveau chronologique et méthodologique? Comment appréhender la pertinence de l’analyse de la documentation matérielle à l’échelle du temps? Quelles sont les modalités d’accès à la culture archéologique et quelle en est la nature? Ce questionnement semble montrer le caractère visiblement divergent, ou tout simplement, la frontière entre la démarche de l’historien·ne et celle de l’archéologue. Cette réflexion est menée à la suite de l’exploitation de la littérature archéologique et des travaux effectués sur le terrain pendant une dizaine d’années. Elle s’articule autour de deux axes principaux qui nous poussent, dans un premier temps, à explorer la perpétuelle question de chronologie, ensuite, à examiner la manière dont les archéologues procèdent dans la pratique, pour analyser et interpréter des vestiges, notamment dans le cas spécifique des maisons des chefs.
La question permanente de la chronologie
L’un des problèmes qui se posent très régulièrement en archéologie et en histoire est la périodisation des faits et des événements, l’apparition des techniques qui intègre très souvent la question récurrente des origines de l’humanité. Quand et où l’humanité est-elle apparue? Cette préoccupation fondamentale a nourri des débats qui font intervenir des philosophes, des paléontologues et d’autres savants, chacun soutenant par des arguments qu’ils jugent nécessaires pour se justifier. En 1980, Daniel Vernet exposa, dans son ouvrage L’Homme face à ses origines, les différentes approches de la question en se fondant sur les aspects scientifiques et théologiques.
En se concentrant sur les découvertes de la paléontologie ces dernières années, il ne fait pas de doute que l’Afrique est, au stade actuel des connaissances, le berceau de l’humanité, bien que le foyer originel supposé de l’Afrique de l’Est soit quelque peu déplacé pour l’Afrique centrale, et précisément au Tchad. Ainsi, l’histoire de Lucy qui s’est construite autour de ce fossile mis au jour par l’équipe constituée de Yves Coppens, Maurice Taieb et Donald Johanson, le 24 novembre 1974, va être supplantée par celle de Toumai, découvert en 2001, par l’équipe de Michel Brunet, repoussant les données chronologiques de 3,7 millions d’années à 7 millions d’années environ.
Or, d’après la littérature scientifique disponible, les premières formes d’écriture datent de 5000 ans environ au proche orient, puis en Égypte. Entre l’apparition de l’humain et les textes écrits, une longue période s’est écoulée où l’on doit comprendre les dynamiques socioculturelles, dont la manifestation la plus visible est l’invention et le développement des techniques, la mise en place des entités étatiques. L’archéologie fournit ainsi une nouvelle documentation, celle qui est dite matérielle. Elle ouvre la voie à l’expérimentation des méthodes et des techniques de datation qui ont conduit à la définition des séquences culturelles reconnues sous les termes de « paléolithique », « néolithique » et « âges des métaux ». Il est évident que cette nomenclature de la préhistoire a fait l’objet de débats par rapport à son application dans le cadre de la préhistoire de l’Afrique centrale où les termes d’Old Stone Age, de Middle Stone Age, et de Late Stone Age sont régulièrement appliqués (Lafranchi et Clist, 1991).
Cette terminologie contraste avec la périodisation historique qui distingue, dans le passé de l’humanité, l’antiquité, le Moyen Âge, les Temps modernes et les Temps contemporains. Dans l’ensemble, la chronologie intègre les dates chiffrées qui sont issues de l’analyse physicochimique des isotopes de carbone (carbone 14), du potassium argon, de l’uranium-thorium, de la thermoluminescence, de la racémisation des acides aminés, de l’étude des cernes de croissance de certaines essences (dendrochronologie), l’hydratation de l’obsidienne. La méthode de datation relative a été utilisée par un certain nombre d’archéologues pour définir la séquence culturelle à laquelle appartient le site en se référant au principe de la superposition des couches développée par la géologie.
Outre la culture matérielle, les textes écrits dans l’antiquité égyptienne et gréco-romaine, tout comme la tradition orale, ont contribué à retracer l’histoire des techniques, ainsi que celle des peuples, lorsqu’ils n’ont pas contribué à découvrir les sites. En se concentrant sur la question de la tradition orale, certains archéologues ont commencé à prendre au sérieux les revendications des peuples indigènes d’Amérique, d’Afrique et d’Australie qui situent l’antériorité de leurs récits oraux à la colonisation (Vansina, 1985).
Les particularismes de la démarche archéologique dans la reconstitution du passé
Il faut faire observer que, jusqu’à une époque pas très lointaine, et même dans certains pays actuellement, l’archéologie fait partie de l’histoire – comme en Inde – et parfois, elle a longtemps été considérée comme une science auxiliaire de l’histoire. C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre les travaux des historiens han (206BC-220AD) qui portaient sur la chine ancienne et la description des artéfacts de la période des « Trois dynasties » (Yoffe et Fowles, 2010, p. 53). Parfois, elle constitue une spécialité de l’anthropologie. On parle alors de l’anthropologie historique. Dès la fin du XIXe siècle, les fondements scientifiques de l’archéologie ont été posés. L’objet d’étude, la démarche, les missions, les visées et les concepts opératoires ont été précisés (Daux, 1966; Pesez, 1994; Jockey, 1999). Ce qui peut apparaître comme la rupture entre l’archéologie et l’histoire est le fait de certains scientifiques dont les travaux vont fortement influencer la démarche archéologique. En effet, le Danois Thomsen établit une typologie des objets sur la base de la nature des matériaux utilisés. Il distingue donc l’Âge de la pierre, l’Âge du bronze et l’Âge du fer. La perspective de Thomsen est manifestement muséale, c’est-à-dire pour la compréhension des objets pendant l’exposition (Rowley-Conwy, 2007). Plus que Thomsen, ceux qui vont définir les typologies des artéfacts sont, entre autres, le Suédois Montelius et l’Anglais Pitt-Rivers. Par ailleurs, Charles Lyell, un géologue anglais, facilite la compréhension de la disposition des couches du sol. Au demeurant, ces bouleversements ont contribué à parfaire la crédibilité scientifique de la méthode archéologique dans la quête du passé de l’humain.
Le site, lieu de concentration et de conservation des archives du sol
« Qu’est-ce qu’un site archéologique? », me demandent souvent les profanes de cette discipline. De façon plus simple, c’est un lieu qui recèle les objets que les ancêtres ont utilisé. Ces objets que l’on désigne par les termes « artéfacts », « vestiges », « indices », « témoins » ou « relia » peuvent se trouver en surface ou enfouis dans le sol. Dans ce dernier cas, les conditions d’enfouissement résultent de plusieurs facteurs. Dans l’ouvrage de Jean-Nicolas Corvisier publié en 1997 et intitulé Sources et méthodes en histoire ancienne, l’auteur a présenté succinctement les causes responsables du processus d’enfouissement des vestiges archéologiques. Celles-ci peuvent être d’ordre géologique. Par exemple, l’action du vent sur le sable en zone désertique, l’activité biologique des animaux fouisseurs qui ameublissent le sol et enfoncent les artéfacts sur le fait de leur poids. Dans ce registre des causalités, la végétation, à travers ses racines, participe à la destruction des édifices qui finissent par devenir de simple monticule. Plusieurs palais et résidences des chefs se trouvent envahis dans la broussaille lorsqu’ils n’ont pas complètement disparu.
La prospection archéologique est une opération technique qui consiste à repérer les sites. Elle se fait suivant la méthode scientifique (photographie aérienne, prospection thermique, résistivité électrique, télédétection) ou la méthode empirique (prospection pédestre). La pratique de la prospection requiert l’acquisition des outils techniques (appareils photo, GPS, boussole, machette…) et des outils scientifiques préalables (cartes géographiques, phytogéographiques, aériennes, fiche de prospection). C’est pendant la prospection que l’on découvre généralement les indices qui peuvent conduire le chercheur ou la chercheuse à conclure qu’il ou elle est en présence d’un site. Celle-ci se déroule en milieu terrestre ou en milieu aquatique. Certes, il est vrai que certains sites archéologiques sont découverts de manière fortuite ou accidentellement pendant les travaux d’infrastructure (routes, ponts, oléoducs, barrages, aéroports…). Des outils scientifiques et des outils techniques ont été mis au point pour rechercher et enregistrer les sites, qu’ils soient sous-marins (épaves d’avions et de bateaux, restes de caravelles) ou terrestres.
En Afrique, la recherche archéologique s’est focalisée en milieu terrestre, dans différents espaces biogéographiques qui se répartissent entre la forêt dense équatoriale, la savane et le sahel (Livingstone et al., 2017). En fonction des caractéristiques de chaque milieu, les chercheurs et chercheuses doivent braver de nombreuses difficultés. Celles-ci sont liées, par exemple, à la végétation dense qui ne facilite pas la lecture du sol, encore moins la conservation à cause de l’humidité, de l’activité biologique et le taux d’alcalinité en milieu équatorial. Ici, on y trouvera très peu d’indices se rapportant à l’architecture faite essentiellement en matériaux biodégradables. Seuls la céramique et le lithique résistent à cause du principe de la conservation différentielle et orientent l’archéologue vers les activités humaines. Au contraire, en zone de savane, le couvert végétal disparaît en saison sèche du fait de la chaleur ou des feux de brousse qui dénudent le sol. Ceci facilite le travail de l’archéologue qui peut couvrir une grande surface pendant la prospection. Il n’est pas exclu que d’autres techniques de prospection soient envisagées. Je fais allusion à la prospection motorisée qui allège l’effort physique du scientifique.
La prospection pédestre, qui est l’une des plus vieilles méthodes utilisées pour repérer les sites, et que nous avons régulièrement utilisée, n’est pas la seule. La pratique de la prospection motorisée, en contexte d’investigations archéologiques dans la région de l’Extrême-Nord, a permis de définir une typologie. Les sites sacrés, les restes de fourneaux de réduction du minerai de fer à Wazang et à Maswalt, les traces de fondation de cases à Tchinguiléo et les ateliers de taille de Missinguiléo. Dans cette liste, on pourra mentionner de nombreux abris sous roche, des grottes, des buttes anthropiques, des mégalithes et des monolithes.
Dans l’ensemble, les sites sont généralement localisés aux abords des cours d’eau saisonniers appelés mayo en langue locale, sur les collines tabulaires et les flancs de montagnes, dans les plaines et les plateaux. Il ne suffit pas de découvrir le site pour que l’activité archéologique se déploie, encore faut-il avoir accès à la documentation matérielle pour une exploitation minutieuse.
L’importance de la fouille et du sondage dans l’étude de la culture archéologique
La fouille et le sondage sont les deux modalités pratiques qui donnent accès aux artéfacts enfouis dans le sol. En tant que phase « d’opération chirurgicale » du site ou d’évaluation de son potentiel, la fouille et le sondage sont des étapes opérationnelles de la démarche archéologique. En plus de fournir des vestiges à la suite du décapage méticuleux, ils permettent de lire la stratigraphie pour déterminer les niveaux archéologiques et envisager une chronologie relative.
Parlant du sondage, deux types de sondage sont régulièrement pratiqués sur les sites. Le sondage à la tarière manuelle qui s’apparente à un test dont l’objectif est d’évaluer l’importance ou l’étendue du site. Dans ce cas, on a eu recours à un outil technique et principalement la tarière. L’observation de la carotte issue du test renseigne sur la localisation du niveau archéologique et la nature des vestiges en présence ne fusse que partiellement. Le sondage peut également se présenter comme une excavation réduite, une fouille réduite, par exemple l’ouverture d’un mètre carré. Il ne saurait être considéré comme une fouille au rabais. Il doit se faire en respectant les principes et les canons méthodologiques d’une fouille archéologique normale : définition de l’unité stratigraphique artificielle, relevés graphique et photographique, représentation du profil, application des techniques de prélèvement. L’autre modalité pour entrer en contact avec les vestiges contenus dans le sol est la fouille.
La fouille est une opération qui consiste à décaper minutieusement le site suivant une stratigraphie bien définie. Plusieurs méthodes de fouilles ont été expérimentées en archéologie selon les contextes et les milieux. Sur la terre ferme, l’archéologue a recours soit à la méthode de Wheeler dont le principe repose sur le quadrillage que matérialisent des banquettes de terre non fouillées. Celles-ci séparent les carrés qui seront fouillés minutieusement selon les unités stratigraphiques bien définies. La méthode de Wheleer a suscité des critiques. Le fait de ne pas décaper les bermes qui dissimulent les vestiges constitue l’une des limites de cette méthode de fouille.
La fouille ethnographique fut théorisée par Leroi-Gourhan dès les années 1950 (Jockey, 1999). Les recherches vers l’ethnologie préhistorique ont manifestement été à l’origine du développement du procédé de la fouille ethnographique pour appréhender le mode d’organisation spatiale de l’habitat. L’enjeu principal est lié aux préoccupations ethnographiques. Pour l’archéologue, il est question d’identifier les principales aires d’activités sur le site (habitations, ateliers, fosses d’aisance, foyers dépotoirs). La fouille est fondée sur le décapage et l’enregistrement systématique des artéfacts en plan et en altitude avec des outils techniques et scientifiques appropriés. En revanche, chez les Anglo-saxons, les insuffisances observées chez Wheeler ont donné lieu à l’émergence de la fouille en aire ouverte.
La fouille en aire ouverte s’interdit d’appliquer aux vestiges une grille de lecture géométrique, un découpage artificiel ne tenant pas compte de l’objet à fouiller, de sa spécificité, interdisant du même coup toute compréhension globale. Elle s’attache à suivre pas à pas les structures d’un édifice, un réseau de murs, voire un ensemble urbain complet. Cette méthode est en vigueur en milieu urbain. En dehors des divergences observées au niveau des méthodes de fouille, le déroulement d’une fouille terrestre présente des points communs. La fouille se déroule en plusieurs étapes.
La phase préliminaire est consacrée à la réalisation de deux principales activités. La première est la pose du carroyage général du site. Il est question de faire un morcellement du site en carrés à l’aide d’une ficelle. Il doit être solide et stable durant tout le temps que va durer la fouille.
La définition du niveau zéro et le point zéro. Le premier est un plan à partir duquel seront prises toutes les coordonnées verticales alors que le second est destiné à la prise des mesures verticales. Une fois ces préalables terminés, on passe à la prochaine étape qui est celle de la fouille stratigraphique.
La fouille stratigraphique est le fait de décaper le site pour exhumer les vestiges selon l’unité stratigraphique artificielle retenue. Le matériel de fouille mobilisé se compose pour l’essentiel de pinceaux, des brosses, de pincettes, des égalisateurs, des niveaux d’eau, des pelles, des seaux, des cuvettes, des pioches, des binettes, des truelles, des langues de chat, et des instruments de mesure. Le mobilier collecté est reparti en fonction de la nature des artéfacts, et il est soigneusement conservé dans les plastiques portant une étiquette indiquant le niveau archéologique où il a été extrait.
Les sédiments sont recueillis à la suite d’un tamisage à l’aide des tamis. Cette étape implique souvent l’intervention d’autres compétences. On peut solliciter les palynologues, les botanistes, pour faire des prélèvements in situ.
Concernant l’enregistrement, celui-ci doit se faire par unité stratigraphique à l’aide d’une fiche élaborée pour la circonstance. Il peut se faire à l’aide des représentations graphiques, photographiques ou en trois dimensions (3D). Dès que la fouille est achevée, on recouvre le site et les échantillons sont conduits dans les différents laboratoires pour être analysés.
Les méthodes d’analyse et d’interprétation des vestiges archéologiques ont connu une grande évolution au XXe siècle grâce au développement des techniques de datation depuis les années 1920, par l’usage de la dendrochronologie. En 1949, Willard Frank Libby va mettre en place le procédé de la mesure des isotopes de carbone. Progressivement, on va s’éloigner des approximations chronologiques du fait de la méthode de datation relative qui s’était imposée jusque-là en archéologie.
Les paradigmes d’interprétation et la réévaluation de la place de l’objet
Les nouveaux paradigmes d’interprétation de l’objet émergent du fait de la proximité que les spécialistes ont voulu établir entre l’archéologie et les autres disciplines des sciences humaines. Ce tournant révolutionnaire que va amorcer l’archéologie a permis à cette discipline d’ouvrir d’autres perspectives de recherche dans le champ d’investigation de la culture archéologique. Ce qui contraste sans doute avec le travail de description et de classification auquel s’était fondée l’activité archéologique.
Le rapprochement ou l’incorporation de l’archéologie dans l’anthropologie au début du XXe siècle a eu pour effet de reconsidérer les objets issus de l’activité humaine, comme les éléments de culture matérielle dont la production répond à un besoin de l’humain qui doit s’adapter à son environnement écologique et social. La théorie fonctionnaliste de Lewis Morgan (2003 [1881]) et de Boas (1964 [1888]), élaborée à la suite de la collecte des données sur le terrain, appréhende les artéfacts les objets créés pour satisfaire les besoins qu’éprouve l’humain pour se nourrir, se protéger contre l’adversité, se défendre, etc.
Au tournant des années 1960, naissait, dans le monde anglo-saxon, un nouveau courant de pensée la new archaeology ou l’archéologie processuelle (Jockey, 1999) dont les défenseurs sont Binford, Renfrew et Clarke. Cette théorie va jouer un rôle important dans l’approche de l’objet qui ne peut plus être analysé sans tenir compte de son contexte de production qui est lié au temps et à l’espace, pour ainsi définir les séquences chronoculturelles des sociétés qui ont disparu. Les partisan·e·s de cette approche sont confortés dans leur position par la découverte de la méthode de datation absolue, mais aussi par le paradigme d’analyse développé par Binford dans son article intitulé « Archaeology as Anthropology » (Binford, 1962, p. 217-225). Cette approche n’allait pas tarder à subir une critique virulente en réintroduisant l’artéfact au cœur des rapports sociaux et culturels. En dehors du matérialisme qui caractérise la perception de l’objet, il y a tout un univers symbolique et idéologique (Tilley, 2002; Fogelin, 2008).
En étudiant les maisons des chefs traditionnels au Cameroun central, on constate que celles-ci sont marquées par une évolution des techniques qui illustrent le contexte historique et participent à la construction de l’identité sociale de l’individu. Les maisons des chefs avant l’ère coloniale étaient en matériaux précaires fortement ancrées dans leur environnement qui sert de support. En observant les concessions des peuples de la forêt, elles sont marquées par une homogénéité qui traduit le caractère égalitaire des membres du groupe. À partir de la période coloniale allemande, les chefs désignés au niveau supérieur (Oberhautplingen) cherchent à se distinguer en construisant des maisons à étage. C’était le cas d’Auguste Manga Ndoumbé dont le palais fut construit entre 1897 et 1905 à Duala. Ensuite, celui de Charles Atangana-Ntsama bâti entre 1904 et 1910 à Jaunde. Soucieuse de conforter sa présence au Cameroun, l’administration française va accroître son influence en multipliant le nombre de chefferies et en désignant les chefs. Désormais, on assiste à une « épidémiologie » des palais des chefs (Dzou, 2012, 2013). En plus d’être habitée, la maison du chef devient son lieu de travail et d’accueil des usagers, mais aussi des patrons du chef. Le siège de la chefferie représente donc un visage confortable de pureté et de somptuosité que procurent les nouveaux matériaux de construction : briques de terre cuite, tuiles, tôles ondulées, revêtement à la chaux blanche qui habille l’édifice. Dans la représentation psychologique, en élevant en hauteur son édifice, le chef s’élève également au-dessus de la communauté dont il a la charge. Plus que par le passé, le palais du chef devient un élément de domination politique d’une part, et de différenciation sociale d’autre part. Il apparaît dans cette analyse que le bâti devient un élément de construction d’identités sociale et individuelle.
Conclusion
En substance, l’archéologie et l’histoire sont deux disciplines des sciences humaines dont les objectifs respectifs sont tournés vers la connaissance du passé. Elles sont appelées à résoudre des problèmes scientifiques liés à la chronologie, à l’hominisation, au peuplement, à la migration et aux sources. Mais la démarche pour y parvenir diffère d’une discipline à l’autre. Certains de ces problèmes ont commencé à trouver des solutions. À ce jour, il est possible de situer dans le temps l’âge du plus vieux fossile du préhumain découvert au Tchad daté d’environ 7 millions d’années.
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Remy DZOU TSANGA, Université de Maroua – dzou_36@yahoo.fr
Références bibliographiques
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