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3 Constantes et mutations en littérature orale africaine. Tracé de frontières entre oralité rurale et oralité urbaine en contexte camerounais

Théophile KALBE YAMO

Résumé

Cet article est une réflexion sur l’oralité africaine, en général, et sur ses formes de manifestations littéraires dans les milieux urbains camerounais, en particulier à l’aune de la norme rurale, de sa pratique dans le contexte traditionnel. Les instances normatives de l’oralité sont subsumées à travers le phénomène de la performance. C’est ainsi que l’analyse passe en revue les conditions d’énonciation, les supports de diffusion, les producteurs et productrices, les formes et les contenus des œuvres littéraires orales. Les normes générales et spécifiques à des cultures selon les genres en milieu rural africain, leurs transgressions ou écarts ainsi que leurs avatars dans les manifestations d’oralité dans les grandes agglomérations urbaines, mis côte à côte, permettent alors de délimiter les frontières typologiques entre oralité rurale et oralité urbaine. L’approche méthodologique employée dans cette étude est une combinaison de la poétique de l’oralité de Jean Derive et de la théorie des champs littéraires de Pierre Bourdieu qui privilégient l’analyse des textes littéraires suivant leur déploiement à travers les structures de production, de consommation et de consécration.

Mots-clés : oralité, rural, urbain, littérature orale, frontière, Cameroun.

Abstract

This article is a reflection on African orality in general and especially on its literary forms and manifestations in the Cameroonian towns in comparison to the rural norms of its practice in the traditional context. The norms and rules of orality are subsumed through the phenomenon of performance. That is why the analysis survey the conditions of enunciation, the dissemination media, the producers, the forms and the contents of oral literary works. The general and specific norms for cultures according to gender in rural Africa, their transgressions or deviations as well as their avatars in the manifestations of orality in urban agglomerations, put side by side, lead to delimit the typological boundaries between rural orality and urban orality. The methodological approach used in this study is a combination of the poetics of orality of Jean Derive and the theory of literary fields of Pierre Bourdieu which privilege the analysis of literary texts according to their deployment through production, consumption and consecration structures.

Keywords: orality, rural, urban, oral literature, border, Cameroon.

Introduction

L’oralité se définit comme un mode de civilisation où la transmission des savoirs, savoir-faire et savoir-être se fait de bouche à oreille suivant un rituel culturellement bien défini. Elle englobe et intègre la littérature orale qui rassemble les textes et les activités à visée esthétique. Chaque culture érige ainsi des normes ou des balises pour la pratique de chaque activité en précisant ce qu’on doit faire et ce qu’on ne doit pas faire. En régime d’oralité, la norme comprend le prescrit, le permis et l’interdit que consacre l’habitude et que pérennise l’exercice de la critique, mieux de la censure endogène. Mais les normes et les règles sont fonction de la conjoncture socioculturelle. Avec le phénomène d’urbanisation, l’Afrique connaît aujourd’hui une sorte de reconfiguration. Des métropoles coexistent avec des campagnes plus ou moins vierges. Et, à de nouvelles réalités, correspondent de nouvelles normes. L’objet de la présente réflexion est de montrer comment, à l’aune des normes de la pratique de l’oralité traditionnelle, les villes africaines produisent une oralité qu’on ne peut désormais séparer de l’épithète « urbaine ». Cette analyse dont les exemples sont tirés du contexte camerounais participe de l’effort de périodisation de l’oralité africaine telle qu’esquissée par Jean Derive (2001) s’inspirant de la théorie du champ littéraire de Pierre Bourdieu (1992). Elle met en regard les deux modes d’expression de la littérature orale africaine à travers les structures de production, les formes génériques et les contenus esthétisés pour dégager les frontières épistémiques entre oralité rurale et oralité urbaine.

Conditions de production : les variables différentielles

Répondant à une question d’un journaliste sur l’avenir de la littérature, Roland Barthes déclarait :

Je peux dire seulement (et ne suis pas seul à le dire) que la littérature a été un objet défini historiquement par un certain type de société. La société changeant inéluctablement, soit dans un sens révolutionnaire, soit dans un sens capitaliste […], la littérature […] pourra ou s’abolir complètement […] ou modifier à tel point ses conditions de production, de consommation et d’écriture, bref sa valeur, qu’il faudra bien en changer le nom. Que reste-t-il déjà des formes de l’ancienne littérature? (Barthes, 1981, p. 182).

Ce qui veut dire que les conditions de production et de consommation sont très importantes en littérature. En régime d’oralité, elles sont déterminantes. Le contexte et le cotexte de la performance font partie intégrante des œuvres et sont incontournables dans l’identification et la classification des œuvres et des genres (Seydou, 2008). Il apparaît que les structures de production et de consommation de l’oralité varient selon qu’on est en milieu rural ou en milieu urbain.

Oralité rurale et oralité urbaine : deux « liturgies » d’une pratique

L’observation de la pratique de l’oralité montre qu’il existe une réglementation, une sorte de schéma canonique, pour aller dans le droit fil de ce que Clément Dili Palaï appelle la liturgie des veillées, car « d’un village à l’autre, fait-il remarquer, la profération de contes impose des étapes rituelles auxquelles doivent s’accorder l’émetteur (le conteur) et le récepteur (l’auditoire) » (Dili Palaï, 2010, p. 101). Partant de l’opposition village = homogène vs ville = hétérogène, la liturgie de l’oralité varie en fonction des espaces et des mœurs qui y ont cours. La ville s’entend comme un lieu d’habitation cosmopolite et composite par excellence, a contrario des campagnes africaines où on trouve des populations linguistiquement plus ou moins homogènes. Les modes de vie, les activités de part et d’autre sont opposés, du moins différents.

De prime abord, il faut noter que l’oralité traditionnelle africaine, mis à part certains genres et certaines spécificités culturelles, repose principalement sur les veillées, le soir, au clair de lune ou autour du feu. Les saisons, bien que n’étant pas universellement les mêmes, sont bien définies : c’est la saison sèche qui est propice au rassemblement d’un auditoire en plein air. On a souvent relevé l’interdiction[1] de conter de jour par exemple sous peine de sanctions diverses.

Dans les métropoles africaines en général et camerounaises en particulier, on assiste à diverses formes de manifestations d’oralité. Il y a souvent ce que les Associations d’élèves et d’étudiants organisent et appellent « Soirs au village ». Ceux-ci ressemblent aux veillées traditionnelles. Mais ils ont lieu tantôt en journée, tantôt en soirée; tantôt à l’air libre, tantôt dans une grande salle. Un invariant cependant, les soirs au village sont sonorisés et électrifiés. Si le feu est employé par moments, il sert moins à réchauffer ou à éclairer qu’à expliquer, à mimer, à représenter la pratique, c’est-à-dire la norme dans le contexte rural.

Si dans l’oralité rurale, l’autrice ou l’actrice supérieure est l’ethnie, dans le monde moderne, l’oralité est plutôt l’affaire d’auteur·e·s individuel·le·s ou de diverses formes d’associations définies autour d’identités multiformes et recomposées. Il existe entre autres des associations à caractère tribal, communal, départemental, régional, etc. De plus en plus, des artistes réalisent des performances individuelles exploitant les artifices de l’oralité, mais s’intégrant harmonieusement dans des formes, des préoccupations et des activités tout à fait urbaines. On peut citer les programmes et les émissions médiatiques comme « Caravane mobile[2] », « La plaidoirie de Maître Mystero[3] », etc.

S’il ne fait l’ombre d’aucun doute que les veillées constituent le socle de l’oralité rurale, force est également de relever qu’elles se caractérisent essentiellement par l’improvisation, comme le décrit Clément Dili Palaï : « Quand le soir arrive, spontanément, hommes, femmes et enfants se réunissent autour du feu ou non, selon le temps qu’il fait » (Dili Palaï, ibid., p. 103). Or, les prestations orales urbaines sont le plus souvent le produit d’une bonne préparation, avec, en amont, des séances de répétitions. En fonction des événements, les festivals sont mûrement préparés; avant de réaliser une prestation pendant la semaine culturelle de la jeunesse par exemple, les différents groupes, acteurs et actrices apprêtent le produit qu’ils et elles vont donner à consommer à l’auditoire. Les contes à la radio et à la télévision suivent le même canevas. Puisqu’il y a un temps imparti à l’émission, la production en tient nécessairement compte. Le réalisateur évalue au préalable le temps que la profération d’un conte prend avant de le diffuser. Bref, les exemples peuvent être multipliés à souhait.

Il s’ensuit donc que l’oralité rurale est une production essentiellement en présentiel, immédiate; le temps de la production est égal au temps de la consommation alors qu’en métropole, l’oralité est médiate et même médiatisée, en différé; il y a loin de la production à la consommation .

Cadres et acteur·trice·s

Les acteurs et actrices de l’oralité urbaine se recrutent parmi la classe scolarisée constituée essentiellement de jeunes et d’adultes. On y retrouve des élèves, des étudiant·e·s, des enseignant·e·s, des journalistes, des opérateurs et opératrices économiques, bref tous ceux et celles qui sont féru·e·s de culture, sans distinction de sexe. On peut aisément retracer le parcours ou l’habitus de certain·e·s d’entre eux et elles qui sont devenu·e·s des spécialistes ou des professionnel·le·s en la matière. Ce sont des producteurs et productrices hautement conscient·e·s des objectifs et buts de leurs activités. Et leur production, filtrée par la conscience des acteur·trice·s et l’environnement socioculturel dans lequel ils et elles baignent, en porte les marques. Et c’est ainsi que la plupart des genres et œuvres épousent les formes des structures et des activités qui les font exister.

À la différence du milieu rural, les supports de diffusion et de circulation de l’oralité urbaine sont de loin variés et modernes. Celle-ci investit presque toutes les TIC. On citera les enregistrements sur téléphone et CD/DVD. Elle abonde également sur la toile : la plupart des associations culturelles choisissent de publier leurs hymnes et devises sur Internet dans certaines pages de leurs sites. En allant à www.bafou.org ou à www.bandjoun.net, pour ne citer que ceux-ci en exemple, on peut enregistrer certaines de leurs productions littéraires orales, s’informer sur les programmes et les manifestations. Ces formes d’échanges prospèrent également à travers les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, etc. où les producteur·trice·s ont des adresses. Ces deux modes de production de l’oralité aboutissent également à deux systèmes de genres.

Formes et genres : entre adaptation et invention

L’oralité africaine, en tant que mode de production discursive à visée esthétique, offre une grande facilité d’adaptation, de variation et de recréation. Contrairement à ce qu’il paraît, elle n’est pas fixe, elle n’est pas très rigide ni dans les formes ni dans les contenus. Ceux-ci se vident et se rechargent parfois selon qu’on va du village vers la ville. On se pose alors la question de savoir quel fret l’exode rural de l’oralité africaine lui coûte à l’entrée des métropoles.

Des textes traditionnels aux œuvres urbaines

En dehors de certaines interdictions transgressées, les contes modernes, s’ils sont tirés pour l’essentiel du répertoire millénaire ou de la mémoire millénariste, connaissent un traitement esthétique fondamental. Les structures de production les tordent à leurs objectifs et leur impriment des marques spécifiques. C’est le cas par exemple des contes à la radio. On relève à la première écoute que la plupart des formules d’ouverture (le conte tombe) ou les clausules (le conte s’en va à la mère, je le remets là où je l’ai pris, etc.) sont supprimées. Dans le cas où ces formules existent, elles se trouvent adaptées à l’auditoire médiatique. C’est le cas de l’entrée en matière du conte toupouri. Dans le conte rural, on retrouve des formules du genre :

Le conte tombe donc!

– À moi le foie!

– Donnez-moi sa tête et ses pattes pour mon bouillon!

Ici, la situation d’énonciation montre qu’on a affaire à un conteur qui s’adresse à des auditeurs immédiatement en face de lui. Mais le conte radiophonique de la même aire culturelle admet des rénovations. On peut s’en rendre compte à partir de l’entrée en matière du conte radiophonique intitulé « Un homme riche et ses deux fils », traduite par les formules ci-dessous :

Voici un conte!

– J’en choisis la partie de la fiction!

– Quant à moi, je coupe un gigot du conte et je l’envoie aux habitants de Guermé!

– Réservons les boyaux aux habitants de Kalfou!

– Et la croupe revient aux jeunes élèves-maîtres de l’Enieg de Yagoua! (annexe, conte n° 1).

L’ossature de ces formules reste similaire dans les contes radiophoniques performés par les conteurs toupouri, car comme le dit Kolyang Dina Taïwé (2008), on partage le conte comme un gibier, comme un produit de chasse où chacun s’en tire avec une partie de son choix (foie, pattes, gigot, mensonge, leçon, etc.).

Mais dans le conte à la radio, les formules s’allongent en effet avec l’évocation de Guermé, Kalfou et Yagoua qui sont des localités situées autour de Dana, siège de la radio, lieu d’émission du conte. Et on voit bien qu’en interpellant les habitants de villages lointains, les conteurs en studio œuvrent à conquérir un auditoire qui n’est pas immédiat, mais invisible, inconnu, lointain. L’évocation des villes et villages constitue donc un ajout, une marque d’adaptation du conte à la radio, du conte urbain. Ainsi la production-réception de l’oralité médiatique épouse désormais les formes de la production du livre qui assure la médiation de la relation écrivain·e/lecteur·trice ou encore producteur·trice/récepteur·trice.

Dans la production des contes à la radio également, s’ajoutent des bruitages enregistrés qui remplacent les gestes, mimes et saynètes que le performateur exécute lui-même dans le contexte rural traditionnel. On note ainsi une certaine intermédialité dans la production des contes de la radio. Pour ne prendre que l’exemple du « Temps des contes »[4], le réalisateur procède régulièrement à une réécriture des manuscrits ou tapuscrits que les auditeurs lui envoient, puis à la diction et à l’enregistrement de la version en insérant des pauses, des bruitages, des cris, des musiques du cru préalablement collectionnés et stockés dans une base de données. Et c’est seulement après réécoute et traitement complet que le produit final est diffusé sur les ondes. Charly Mveme soumet parfois à ce genre de traitement des contes et légendes publiés dans des maisons d’édition. Pour le cas d’espèce, on peut citer le conte « Gollo et le géant Polgozom » (Temps des contes, CRTV radio, 12 février 2011, 23 heures) qui est une reprise du conte du même titre issu de Contes du Cameroun III. Le conte moderne, mieux le conte médiatique, constitue une oralisation de données protéiformes dont la production procède plutôt de l’écrit à l’oral. Il y a donc dans la transposition radiophonique des contes, un travail de réadaptation qui les fait passer du statut de conte traditionnel à celui de conte urbain.

Apparition des genres oraux urbains

La ville africaine, lieu par excellence de bouillonnement culturel cosmopolite, voit surgir de nouvelles formes et de nouveaux genres littéraires oraux. Il importe d’en décrire quelques cas issus du milieu urbain camerounais contemporain, notamment l’humour, la plaidoirie et l’hymne.

L’humour

Il se développe aujourd’hui dans les métropoles un genre de comédie populaire qui consacre une profession d’humoriste. Cette nouvelle comédie que Pierre Fandio (2012) situe entre le vaudeville et la commedia dell’arte fait l’essentiel de sa provision dans les réalités socioculturelles métropolitaines et l’art oral traditionnel africain. Comme le conteur, l’humoriste preste d’ordinaire devant un public de circonstance qu’il cherche à égayer, à émouvoir et à faire rire au travers d’histoires brèves, de récits anecdotiques, d’échanges et de blagues avec l’auditoire. Le spectacle se déroule à l’image des veillées de contes africaines. Mais à la différence de ceux-ci, les œuvres de la néo-comédie n’ont pas la prétention d’appartenir à un patrimoine consigné depuis des millénaires, mais constituent des inventions propres des artistes prestataires desdits spectacles. En mettant côte à côte plusieurs de ces productions néanmoins, on peut arguer qu’elles sont suffisamment spéculaires et traduisent un certain imaginaire du présent ou de l’actualité. Elles sont fortement enregistrées et médiatisées. Elles popularisent beaucoup de motifs qui circulent de bouche à oreille et les humoristes, constitués en un corps de métier, ont produit beaucoup de célébrités dans leurs rangs. On peut citer Tchop-Tchop, Jean Miché Kankan, Fingon Tralala, Massa Yakob, Major Asse, etc. Cette forme de néo-comédie urbaine est aussi pratiquée dans d’autres métropoles africaines et même occidentales avec les spectacles d’humour qui se déroulent régulièrement à Paris Comédie. Ici performent des humoristes du monde entier. C’est le cas du Camerounais Saïdou Abatcha avec ses œuvres comme « Proverbes africains », « ONU », etc.    

La plaidoirie

La plaidoirie est un genre né dans les années récentes. Ce genre a été popularisé par l’émission « Dimanche Midi » du poste national de la CRTV radio. C’est un genre essentiellement médiatique, donc en régime d’oralité seconde. Sa désignation est de l’émission qui produit le genre. Son principal promoteur est Jean Jacques Didier Onana Awana, encore connu sous le pseudonyme de « Kéguégué International », qui se fait appeler « Maître Mystero » dans le cadre de cette émission. Il a ainsi une vaste audience à travers la tribune du Poste national de la CRTV et surtout de l’émission productrice hebdomadaire qui est très suivie. Cette forme littéraire orale au ton humoristique se rapproche d’ailleurs de celle que produit Mamane sur RFI.

C’est le discursif qui domine dans la plaidoirie. Elle relève globalement de la parole parlée recto tono, sans accompagnement instrumental. L’histoire, le plus souvent brève, sert de motif à la plaidoirie. Elle est énoncée sous la forme d’un sujet de justice, ce qu’on appelle dans le jargon judiciaire la lecture des charges ou des chefs d’accusation retenus contre le « client ». Mais divers procédés de mime et de théâtralisation mis en œuvre par le performateur sont perceptibles à travers les imitations de voix, le changement de timbre, etc. Le performateur adopte, selon les cas, une voix fluette lorsqu’il fait parler un personnage féminin, emploie un registre de langue familier en changeant de voix pour représenter les paroles d’un jeune élève insolent, hausse le ton avec une voix grave pour rapporter les paroles et le style d’une personnalité qui incarne le pouvoir, etc. La plaidoirie n’est pas un genre interactif. Les questions adressées à ses interlocuteurs directs (les membres du tribunal) par le plaideur sont souvent rhétoriques et ont valeur d’arguments. Cette forme de « mimesis poétique » vise à produire un effet de réel

La plaidoirie appartient ainsi à la typologie des textes argumentatifs. Elle construit un prétoire imaginaire pour juger, condamner, rire des faits sociaux divers en rapport avec l’actualité. Le prétoire de la plaidoirie est constitué des types, des rôles classiques calqués sur le modèle judiciaire réel avec l’avocat plaideur qui parle à la première personne du singulier. Il défend son client qui n’est autre que l’accusé qui est régulièrement évoqué ou cité dans l’expression « mon client ». L’avocat plaide alors devant la barre constituée du président du tribunal et des juges, ou d’un collège de jurés selon les cas. Ces derniers sont interpellés de temps en temps dans le texte à travers les appellatifs : « Monsieur le président du tribunal du bon sens » et « Mesdames et Messieurs les jurés ». L’avocat s’adresse également au procureur en l’interpellant suivant le soin et la formule convenus, à savoir « Monsieur le Procureur de la patrie », etc. Maître Mystero emploie ainsi des formules et des modalités d’énonciation conventionnelles du milieu judiciaire par le respect des titres de civilité, de la hiérarchie, de la relation, etc. La plaidoirie est alors un type de discours littéraire qu’on peut ranger dans le « genre judiciaire » si l’on se réfère à la tripartition de la rhétorique classique des genera dicendi qui se définissent suivant les cas de figure suivants :

– L’orateur ou l’oratrice défend ou attaque quelqu’un à cause d’un acte commis dans le passé, pour persuader de l’innocence ou de la culpabilité : c’est le genre judiciaire[5];

– Il s’adresse à une assemblée afin de la persuader de prendre une décision qui concerne l’avenir : c’est le genre délibératif;

– Il vante les mérites ou critique les défauts d’une personne ou institution : c’est le genre épidictique (Compagnon, 2001).

Pour ce qui est du style, le ludique est très présent dans la bouche du plaideur qui crée régulièrement le comique de mots à travers leur formation volontiers humoristique. Les plaidoiries renferment un grand nombre d’adjectifs épithètes de formation particulière comme « anarchico-barbarique, urinalo-pissystématiques, bombatomicale, esthético-éthico-socio-respiratorial ». Il s’agit entre autres de la suffixation arbitraire, volontiers erronée, de la juxtaposition de termes hétéroclites; ce qui fait d’eux pour la plupart des mots-valises. Ces néologismes sont généralement scandés. À travers leur formation et leur scansion, on se rend à l’évidence que ce sont les propriétés sonores des mots qui chatouillent l’oreille qui sont exploitées. Et la langue est ainsi libérée des contraintes grammaticales classiques. Maître Mystero s’affirme ainsi comme un virtuose de la langue française et du comique.

Avec la plaidoirie de Maître Mystero qui est une simulation du genre judiciaire, on accède véritablement à la valeur première de l’art, à la définition même de la littérature : le réel est transposé dans le culturel, le ludique, le cadre du non sérieux, le divertissement. C’est l’imitation du réel, la copie de la copie, ainsi que Platon, l’auteur de La République définissait l’art.

L’hymne

L’hymne désigne un poème-chant relativement court (environ une page en version transcrite). Il est le fait des associations urbaines qui revêtent généralement diverses formes. Ces dernières composent systématiquement des hymnes en plus d’autres formes originales. Les hymnes s’affirment comme un genre particulièrement prolifique au sein du mouvement associatif urbain camerounais dans la mesure où chaque association cherche toujours à s’en doter. À l’image des hymnes nationaux de pays, les hymnes d’associations fonctionnent comme un crédo. Par rapport aux autres genres, l’hymne jouit d’une meilleure considération de la part des producteurs et productrices.

L’hymne est un genre qui admet un performateur collectif et pluriel. Il est exécuté au début de chaque événement, de chaque manifestation importante de l’association et au début de chaque réunion. Dans ces associations, on exécute l’hymne debout, la main droite posée sur la poitrine gauche. D’ailleurs, lorsqu’on exécute un hymne, tout le monde – performateurs et auditoire – se met debout. L’hymne constitue, de par son énonciation particulière, un genre sacré de l’oralité urbaine.

L’oralité de ces nouveaux genres littéraires urbains que sont l’humour, l’hymne et la plaidoirie réside en fait dans leur mode d’expression, leurs motifs et leur structure. Il en existe plusieurs autres qui ont été décrits suivant des regroupements sur la base de critères précis par Théophile Kalbe Yamo (2014). Leur grand nombre traduit le dynamisme de l’oralité littéraire qui exploite les acquis de la globalisation et permet de remettre en cause le prédicat de l’ethnotexte dans lequel on avait embrigadé les œuvres de littératures orales africaines. Celles-ci moulent également, en contexte urbain, de nouveaux contenus thématiques.

Les nouveaux contenus thématiques

Les thèmes et les différents éléments de contenus des œuvres de l’oralité varient également selon qu’on a affaire à l’oralité rurale ou à l’oralité urbaine. Les préoccupations soulevées ainsi que les problématiques identitaires à la fois traduites et produites opposent une fois de plus les modes d’expression de l’oralité.

Oralité rurale et oralité urbaine : deux ordres de préoccupations

Tout comme l’espace du récit, l’univers de l’histoire des œuvres d’oralité urbaine est la ville avec ses hôtels, ses restaurants, ses bars, etc.; ses problèmes comme la promiscuité, l’individualisme, etc.; ses activités comme l’école, la réunion. Ces œuvres sont proférées, pour reprendre les mots de Catherine Zarcate (2006), lorsqu’elle relate sa propre expérience de conteuse, dans une sensibilité urbaine qui néglige un tant soit peu la relation à la nature avec son univers symbolique comme il en est dans l’oralité rurale.

Les œuvres d’oralité traditionnelle, à travers les contes et la plupart des genres narratifs, suivent généralement un schéma du type : norme – désobéissance – conséquences – sanction. La sanction vise généralement la restauration de l’équilibre. Mais en ville, les happy end sont rares. Les légendes urbaines peignent souvent le drame des métropoles où le mal et les forces qui l’incarnent règnent en maîtres sur le petit peuple sans secours. Ces récits instaurent souvent une certaine psychose (Zame Avezo’o, 2005). Ici c’est le méchant qui triomphe du faible, du naïf. C’est le cas par exemple de la jeune étudiante qui meurt à la suite d’un rapport sexuel consenti avec un homme riche. On serait même tenté de conclure que l’oralité urbaine propose plutôt une vision du monde où le personnage vertueux est la victime.

Les œuvres d’oralité urbaine font un grand cas de l’actualité et des questions de développement. Cette dernière thématique est prise en charge surtout dans les hymnes. On peut ainsi entendre les membres de AEEAB (Association des élèves et étudiants baham) chanter : « Tous nos soucis, c’est/De faire briller Baham » (annexe, hymne N°2). Ces deux vers qui forment le refrain de l’hymne expriment de façon explicite la préoccupation des producteurs de l’œuvre, c’est-à-dire le développement de la contrée. Les premiers vers de l’hymne du Haut Nkam invitent également les adhérents à un retour au bercail afin de s’engager pour le développement de ce dernier. Les exemples de ce type ne peuvent être épuisés.

Dans ce registre, il convient de souligner le cas des plaidoiries qui ont une spécificité au plan thématique : elles suivent le cours de l’actualité et les sujets tournent presque toujours autour des « journées mondiales », des manifestations nationales, des fêtes nationales, des colloques, de la rentrée scolaire, etc. C’est l’exemple de la « plaidoirie du 09 juin 2013 » performée dans la foulée des manifestations et débats marquant la Journée mondiale de l’environnement célébrée chaque 05 juin. Dans cette plaidoirie, Maître Mystero déploie son sarcasme satirique sur les comportements immoraux, inadaptés et nocifs à l’équilibre de l’environnement urbain, qui trouvent parfois leur raison d’être dans le système de valeurs culturel traditionnel du monde rural camerounais. Son plaidoyer essaie ainsi de démonter les arguments à charge contre son client accusé d’avoir uriné en pleine rue sur des fleurs qui ornent les abords de la chaussée. Si sa plaidoirie établit la part de responsabilité des différents acteurs et actrices de la société et des divers secteurs d’activités urbaines, elle ridiculise du même geste ce comportement. On peut l’entendre ainsi dire :

Monsieur le Président du tribunal de bon sens,

Qu’eûtes-vous donc voulu que mon client fît devant cette alternative cornelo-dilemmatique, ẽh, Mesdames, Messieurs les jurés? Au lieu de vous en prendre à mon client, à cette innocente victime des contraintes essentielles, des besoins fondamentaux, examinez donc plutôt la question cruciale de ces bars dont la démultiplication anarchico-barbarique favorise, non seulement ces états d’indisposition urinalo-pissistématiques, mais encore constituent plutôt une menace bombatomicale contre notre environnement esthético-éthico-socio-respiratorial (annexe, plaidoirie n° 1).

Il dénonce ainsi dans un rire sérieux l’attitude des autorités étatiques qui affichent un laxisme dans l’application de la réglementation en laissant des débits de boissons s’installer de façon anarchique, mais sont prêtes à infliger une amende au « saoulard » qui se soulage au bord de la chaussée ou sur les murs d’édifices publics sous l’effet desdits bars. En clair, l’avocat au « tribunal du bon sens » veut signifier qu’il suffit de combattre la cause pour éviter les effets, les conséquences logiques parfois incontrôlables.

Le choix du leitmotiv interpellateur (« Monsieur le Président du tribunal du bon sens ») qui parsème toute l’énonciation de la plaidoirie montre en effet qu’il s’agit d’une œuvre imaginaire qui s’adresse plutôt à la raison humaine, à la conscience collective. Maître Mystero semble ainsi dire que « Le bon sens » étant la chose du monde la mieux partagée, l’essentiel n’est pas de l’avoir, mais de bien l’appliquer, pour reprendre René Descartes, l’auteur du Discours de la méthode. Il interpelle ainsi, à travers sa plaidoirie, la société en général, le monde contemporain afin d’amener les uns et les autres à réviser leurs comportements, à rebâtir les cloisons entre le moral et l’immoral, à défaire en permanence les clichés. À ce titre, les œuvres d’oralité urbaine sont aussi des reflets d’une identité particulière.

Identité rurale et identité urbaine

Selon Engelbert Mveng (1985), la notion d’identité s’entend comme ce qui singularise, ce qui fait la particularité d’un être ou d’une réalité en la distinguant des autres. L’identité se manifeste alors par le canal des supports de transmission de la civilisation, à l’instar de l’oralité dans le contexte africain en général. Elle véhicule des éléments de différenciation entre le rural et le citadin de plusieurs façons.

L’oralité rurale déroule généralement un univers dans lequel on trouve régulièrement l’exaltation des prouesses guerrières interclaniques, les activités paysannes faites d’agriculture, élevage, pêche, chasse, cueillette, etc.; les fléaux comme la famine, les mystères de la brousse et de ses génies, etc. Elle s’oppose de ce fait à l’oralité urbaine qui, elle, véhicule un imaginaire dans lequel les dangers, les « monstres » se recrutent presque toujours dans les hauts lieux de la culture urbaine elle-même. Les performateurs d’œuvres d’humour utilisent très peu l’univers métaphorique animalier comme le font les contes traditionnels. Bref, l’oralité rurale est une mise en texte du monde naturel alors que l’oralité urbaine dépeint de façon spéculaire la complexité et les labyrinthes de la civilisation citadine métisse.

Par ailleurs, on peut remarquer que, des ethnies aux associations, les métropoles apparaissent comme l’espace d’une certaine recomposition identitaire. Si, dans la littérature orale rurale, les œuvres mettent le plus souvent en scène des personnages qui représentent un certain imaginaire d’un groupe linguistique conçu comme une nationalité plus ou moins close, dans les œuvres urbaines, la conscience d’appartenance à une entité plus grande qu’est le pays, en partage avec plusieurs autres, est très présente. Cette conscience détermine la production au point que la gestion de l’identité devient une compétition où chacun revendique et cherche à se tailler un espace, un domaine, un pouvoir par rapport aux autres à travers des procédés d’affirmation de soi et de négation de l’autre, de clichage ou de stéréotypage du moi et de l’autre. Dans cette perspective, il s’est développé aujourd’hui au Cameroun une forme de comédie urbaine dans laquelle l’humoriste passe en revue des groupes ethniques en les définissant ou en les campant dans des stéréotypes et préjugés populairement admis. L’œuvre d’humour de Djakdjinkreo intitulée « Fenac » renseigne suffisamment à ce sujet. L’extrait suivant en est illustratif :

Les Moundang ont leurs sept péchés capitaux : zogolé, äréëi, seng, biéré, laza yo isu[6], ça veut dire que le Moundang ne veut pas que son frère progresse. […] On laisse les Toupouri. Voisins directs, on les appelle les Massa. À l’Extrême-Nord on appelle les Massa « Banana ». Ce sont des gens qui ont la démocratie dans les muscles, la démocratie dans les muscles (annexe, humour n° 1).

L’oralité rurale produit une littérature du même, du moi alors que l’oralité urbaine intègre à la fois le moi et l’autre, le moi par rapport à l’autre ou à l’ailleurs. Cette identité urbaine faite de revendication transparaît par exemple dans l’hymne sawa à travers les vers suivants : « Nous sommes le premier peuple ici à Douala/Le premier peuple que Dieu, toi-même tu as choisi » (annexe, hymne n° 3).

Les œuvres d’oralité urbaine reflètent ainsi une production postcoloniale et posent avec une acuité marquée le problème de l’identité. Il s’en dégage une certaine conscience de la peur de la perte de l’identité qui se traduit par une volonté, un appel à un retour au village, aux sources. C’est ce qui ressort par exemple de cette exhortation contenue dans l’hymne du Tokna massana : « Venez, puisons dans nos us et coutumes les forces dont nous avons besoin » (annexe, hymne n° 1). Ces types d’exhortation abondent dans les œuvres de l’oralité urbaine. Certaines d’entre elles comparent très souvent de façon nostalgique le village et la ville, la culture africaine d’autrefois et les formes qu’elle prend de nos jours.

Conclusion

Par rapport au schéma habituel de la pratique de l’oralité traditionnelle, l’oralité urbaine prend des libertés. Les normes de production s’urbanisent à travers les producteurs et productrices, les structures, les procédés et les produits qui connaissent des mutations fréquentes. L’oralité urbaine s’appréhende alors comme un avatar de l’oralité rurale africaine. Parce que produite et diffusée sur Internet, à la radio, à la télévision, colportée par voie téléphonique ou à travers CD et DVD, l’oralité urbaine africaine en général jouit de plus en plus d’une audience mondiale, planétaire a contrario de l’oralité traditionnelle rurale. Elle abonde en régime d’oralité seconde[7] et connaît un système d’archivage qui relance la question de l’auteur·trice en littérature orale. Le village et la ville délimitent ainsi deux sous-champs de la littérature orale africaine distincts de par les conditions de production, les formes et les contenus. La ville transforme ce qui vient du monde rural, recrée, innove et invente des œuvres et des genres. L’oralité urbaine africaine constitue alors un bel exemple de palingénésie littéraire qui impose de nouveaux défis à la recherche.

***

Théophile KALBE YAMO, Université de Marouakalbeyamo@yahoo.fr

Références bibliographiques

Barthes, R. (1981). Le grain de la voix. Entretiens 1962-1980. Seuil.

Bourdieu, P. (1992). Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire. Seuil.

Cauvin, J. (1980). Comprendre les contes. Saint-Paul.

Compagnon, A. (2001). Théorie de la littérature : la notion de genre, cours consulté [en ligne] le 26 juillet 2013 sur http://www.fabula.org/compagnon/genre.php.

Derive, J. (2001). Champ littéraire » et oralité africaine : problématique. Dans Romuald Fonkoua et Pierre Halen (dirs), Les champs littéraires africains (p. 87-111). Karthala.

Dili Palaï, C. (2010). Des veillées de contes comme socle de la littérature orale : un regard sur le milieu traditionnel moundang. Kaliao, 2(3), 101-109.

Fandio, P. (2012). Les lieux incertains du champ littéraire camerounais. La postcolonie à partir de la marge. L’Harmattan.

Kalbe Yamo, T. (2014). Oralité urbaine et construction identitaire au Cameroun. Lecture des nouvelles formes de productions littéraires [Doctorat/Ph.D]. Université de Maroua.

Kolyang Dina Taïwé. (2008). Orature et littéralité. Une perspective africaine. LIT VERLAG

Mveng, E. (1985). Y a-t-il une identité culturelle camerounaise? Actes du colloque de la deuxième semaine culturelle nationale, Identité culturelle camerounaise, Yaoundé, 13-20 mai 1985, 67-71.

Seydou, C. (2008). Genres littéraires de l’oralité : identification et classification. Dans Ursula Baumgardt et Jean Dérive (dirs), Littératures orales africaines Perspectives théoriques et méthodologiques (p. 125-175). Karthala.

Zame Avezo’o, L. (2005). La néo-oralité au Gabon : analyse de la figure du serpent dans les légendes urbaines. Dans Ursula Baumgardt et Françoise Ugochukwu (dir.), Approches littéraires de l’oralité africaine (p. 229-250). Karthala.

Zarcate, C. (2006). Littérature orale rurale vers une littérature orale urbaine. Rencontres CMLO, http://www.catherine-zarcate.com/spip.php?page=article&id_article=1237, consulté [en ligne] le 2 octobre 2012.

Corpus

Conte n°1 : Un homme riche et ses deux fils

Voici un conte!

– J’en choisis la partie de la fiction!

– Quant à moi, je coupe un gigot du conte et je l’envoie aux habitants de Guermé!

– Réservons les boyaux aux habitants de Kalfou!

– Et la croupe revient aux jeunes élèves-maîtres de l’Enieg de Yagoua!

Il y avait une fois un homme riche qui avait deux fils. Un jour, le cadet alla demander à son père de lui remettre sa part d’héritage. Et son père agréa sa demande. Il fit un quartier du bétail comprenant chevaux, bœufs, moutons, chèvres, etc. qu’il remit à son fils cadet.

Celui-ci vendit tout son héritage, en rassembla une mirobolante somme d’argent et s’envola pour un pays étranger. Là, il s’adonna à la vie à cœur joie et y mordait à belles dents. Pendant plus de cinq années, prostituées, alcool, cigarette, drogue, etc. meublèrent son quotidien au milieu des compagnies les plus insolites, jusqu’à ce qu’il ne lui restât plus un seul centime de son immense fortune. Puis commença alors pour le jeune homme une nouvelle vie faite de toutes sortes de misères et de galère : les amis et complices d’autrefois le fuyaient désormais et, seul devant son destin, il ne savait plus quel grain de sagesse ensemencer pour s’en sortir. Il alla chez un homme riche du pays qui l’envoya garder ses troupeaux de porcs. Mais seulement, on ne lui permettait même pas de se gaver avec de la drêche que les porcs piétinaient et bêchaient du nez. Crevant d’inanition et las de soucis, il s’indigna : « – Les bergers et les bouviers de mon père sont nourris à satiété, mais à moi ici, il n’est même pas permis de mettre une seule boule de drêche dans la bouche! Comme ma situation est dramatique! Il me faut rentrer chez mon père et je lui dirai de ne plus me considérer comme son fils, mais de m’accepter comme l’un de ses ouvriers ».

Et il repartit alors chez son père. Le voyant venir au loin, son père courut à sa rencontre. Le fils dit alors à son père :

– Père, j’ai très mal agi contre toi et je ne mérite plus d’être appelé ton fils, mais par pitié, daigne m’embaucher comme l’un de tes ouvriers!

Mais, s’adressant à ses serviteurs, le père dit :

– Vite, apportez-lui de l’eau à boire, faites-lui porter de beaux vêtements et des chaussures. Mon fils que voici était perdu; je le croyais déjà mort. Mais voici que Dieu l’a ramené à la maison. Réjouissons-nous pour cela et vite, égorgeons une vache pour l’accueillir!

Pendant ce temps, le fils aîné était au champ. À son retour, il trouva la maison de son père bondée de personnes et tout en fête. Il appela une personne pour s’enquérir de ce qui se passait. Celle-ci lui expliqua que son frère cadet sorti de la maison il y a plusieurs années était de retour et que leur père avait égorgé une vache pour fêter son retour. À ces mots, le fils aîné s’énerva, arguant que lui, il était toujours resté le fidèle serviteur et obéissant à son père, qu’il avait toujours travaillé avec ardeur au champ, à la garde du bétail, etc., mais qu’il n’avait jamais reçu le moindre veau pour festoyer avec ses amis. Mais fort curieusement, râlait-il, c’est à celui qui avait dilapidé la moitié de la richesse de la famille qu’on offrait encore une vache pour festoyer. Et il s’enferma dans sa chambre refusant de participer à la fête.

Et le conte se repose sur le grand arbre.

Mais voici quand même deux questions que je voudrais soumettre à la réflexion de l’auditoire :

Premièrement : Quelle attitude aurais-tu adoptée si tu étais le père des deux fils?

Deuxièmement : Comment juges-tu le comportement du fils aîné?

Pour dire un mot sur cette histoire, moi je pense que le père devrait quand même sermonner un tant soit peu le cadet, mais il a agi comme si celui-là était plutôt un héros. Je trouve le comportement du père assez reprochable.

Je ne partage pas tout à fait ton point de vue, Douryang, puisque le fils cadet est déjà revenu et la fortune est déjà gaspillée. Disons que le père aurait dû le sermonner avant son départ.

Moi, je trouve que la colère du fils aîné est tout à fait justifiée. En fait, ce cas de figure arrive régulièrement dans la vie quotidienne où on a des gens qui travaillent pour produire des richesses, et malheureusement, on en trouve aussi toute une grisaille qui ne plie pas l’échine une seule seconde sous le soleil, mais qui dépense sans le moindre souci ce que les autres ont produit. Ce n’est pas normal.

Mon avis pour clore ce débat est que le comportement du père est d’une sagesse exceptionnelle.

(Conte proposé par Bayang, Radio rurale de Dana, 14 mai 2009, traduction de Kalbe Yamo Théophile, Enseignant-chercheur, 28 ans).

Humour n°1 : FENAC 2008

(Le texte qui suit est une performance individuelle réalisée à la 7ème édition du Festival national des arts et de la culture tenu du 19 au 23 septembre 2008 à Maroua par Djakdjinkreo. Il mêle humour et satire dans la récitation des stéréotypes sur différents groupes ethniques originaires de la región d’accueil du Festival).

O o o Yayaa maaga jar ºi!

Verment de Diéu, plaudissez d’abord pour lui, plaudissez pour lui (entendu pour l’impressario des activités marquant le festival)!

Verment de Diéu, on dit que le gouvernement lutte contre le pauvrement, contre le pauvre-té. Elle a organisé quelque soze sé nous qu’on appelle le FENAC. Qui peut me donner la définition de Feniac ici? FENAC veut dire quoi?

– Festival… (l’auditoire)

Non. FENAC veut dire : « La Fille de l’Extrême-Nord est attrayante et coquette ». (Applaudissements)

C’est pour ça que tout le monde prend son part ici. Toutes les filles de l’Extrême-Nord. Même moi aussi je cherche mon part. Il n’y aura plus de célibataire femme ici aujourd’hui.

Yaa yoo maaga jarbi!

À l’Extrême-Nord, comme les femmes sont coquettes, mais moi, je n’aime pas les gens de l’Extrême-Nord; je n’aime pas les Toupouri, je n’aime pas les Moundang, je n’aime pas les Massa, je n’aime pas les Kotoko, je n’aime pas les Matakam, les Moufou, les Mada … je ne veux personne.

Vous savez pourquoi je n’aime pas les Moundang?

– Non! (l’auditoire)

Les Moundang ont leurs sept péchés capitaux :

zogolé, äréëi, seng, biéré, laza yo isu[8], ça veut dire que le Moundang ne veut pas que son frère progresse.

Applaudissez pour eux!

Je n’aime pas également les Toupouri. Je n’aime pas les Toupouri.

Vous savez pourquoi je n’aime pas les Toupouri?

– Non! (le public)

Les gars-là, é é hé! Quand ils parlent le français, on dit qu’ils sont des imbroglio-sémantiques : on confond tous les sons

Et ce sont les premiers mathématiciens d’Afrique; Pythagore est né à Touloum.

Voici comment les Toupouri font :

Armatik :

Ndo man X ta’ no Y maa taala no infériere à zéro solution baywa, baywa has

Ndo man X1=X2= -2ª/3b, ndo bay laage wa ndo laga ndo laa graw

Et quand les Toupouri commencent à faire la récitation :

« Le foliere et l’âne

Pour un âne enlefiééé,

flers sé battaient

Ablo maaga djarºúy na djoŋdjoŋguela!

L’un foulait le garder

L’autre foulait lui fendre

Tandis que une goutte point trotte

Et l’autre che mi à che défendre

Rive le troisième larron

Qui saisit maître liboron ºúytú

Djan La Fontaine, Fables. Féŋ sir féŋ[9]»

Vraiment, les Toupouri ont dépassé tout le monde :

« – Vous dites que djé n’ai pas fréquenté, djé vais Djudjé le niveau de tout le monde. Prenez le bic avec les féy, girfé Dikité. « Dikité :

Taoula est ine file pittoresque, il s’étend tout le long di fouri (bis). »

Ça c’est les Toupouri

On laisse les Toupouri. Voisins directs, on les appelle les Massa

À l’Extrême-Nord on appelle les Massa « Banana »

Ce sont des gens qui ont la démocratie dans les muscles, la démocratie dans les muscles.

Pour un Massa, quand il commence la bagarre avec sa femme au marché, tant pis pour vous, tous les hangars seront détruits; c’est comme le tsunami.

Devinette : les premiers cuisiniers du Cameroun, comment on les appelle?

Réponse : Les premiers cuisiniers du Cameroun sont les Massa. Les gars préparent le poisson sans le laver. Le poisson sort de l’eau, on le met directement dans la marmite. Et quand tu demandes à un Massa :

« – Pourquoi tu ne laves pas ton poisson?

– Muf! Tu dépasses le bon Dieu? Nan gali nan caŋo, nan cad! Tu dépasses le bon Dieu? Le poisson est né dans l’eau; il se lave depuis sa naissance. Tu ne dépasses pas le bon Dieu.»

Je n’aime pas ces gens.

Il y a les autres, on les appelle les Mada

Il paraît que chez eux on dote les femmes avec les chiens. La viande du chien dépasse le plantain. Chez eux, c’est dangereux. Ils appellent ça le akwos, c’est-à-dire la graisse de la chèvre ou du mouton pourri. Avec ça, quand tu as un petit morceau tu peux arracher même la femme du chef du village.

Je n’aime pas ces gens

Il y a les autres, on les appelle les Peuls, les Foulbé.

D’ailleurs « foulbé » c’est une déformation du mot français « fourbe »

Le Peul c’est quelqu’un qui trompe tout le monde et il tombe toujours dans son piège.

Et quand on est fourbe, on a deux attributs :

Premier attribut : L’hégémonisme. Quand un Peul est né, il croit que c’est un peuple de seigneurs; il veut commander tout le monde. Vous voulez un emploi : un Peul a le CEPE, vous avez le Doctorat, le Peul croit que c’est lui qui mérite la place du chef.

Si tu es chef tu as un Peul comme ton adjoint, il va te faire le bouc-tandon, tu vas mourir. Danger! Ça c’est les Peuls

Deuxième attribut du Peul, c’est l’hypocrisie

Au marché du bétail, on les appelle dilali. Quelqu’un arrive au marché, il n’a même pas une plume d’oiseau :

– Ton mouton-là c’est combien?

Tu dis : – 25000

Il dit : – J’ai acheté, (avec la bouche hén)

– 9000…

– J’ai acheté

Il part le vendre à 30 000, il met ça dans la poche arrière, et après il revient te trouver :

A nani na beero, na lumo ëo wuli. Prends ta part, mais donne-moi 200 francs pour que la femme et les enfants mangent quelque chose.

Ça c’est l’homme peul.

Il y a les autres que je n’aime pas également. Les Kotoko.

Les Kotoko, ils ont découvert une arme fétiche de destruction massive qu’on appelle « flèche sans frontières ». Vous avez des problèmes avec un Kotoko, il enlève sa flèche il lance en l’air, même si vous êtes au Japon, ça va vous prendre.

Je n’aime pas les gens-là.

Il y a les autres qu’on appelle les Kanuri

Ils aiment une pratique qu’on appelle le yassin. Vous marchez là les Kanuri sont aveugles à cause du yassin.

Moi je ne parle pas.

Il y a les autres qu’on appelle les Guiziga

Les Guiziga sont terribles

Trois défnitions, trois défnitions, hakkunde am bé féwré![10] trois défnitions!

1ère définition : Guiziga égale marque « adidas », c’est-à-dire qu’il y a les balafres partout;

2ème définition : le Guiziga c’est celui qui porte le couteau à la place du caleçon;

3ème définition de Guiziga : professeur agrégé spécialiste de la correction des chèvres en divagation aux abords des villages à la tombée de la nuit.

Bref, s’il faut donner une seule définition, le Guiziga c’est celui qui lutte contre la négligence

Voilà comment le Guiziga fait. Ils organisent, ils ont leur chanson là :

Mozom mozom kaëa buybuy kaëa buybuy kaëa buybuy kaëa buybuy

Paul Biya, Chantal Biya, vlakam marori ciciu ciciu

C’est-à-dire que : « Le vin est bon. Paul Biya et Chantal Biya, nous voulons le riz »

Paiëi paiëi paiëi; to bé ëaani woujji fuu

S’ils dorment, il faut ramasser les gros béliers

To bé daani mi wujjan mbaala

Ai ya ya to fayande majji, Guiziga Maroua…

Il ya les autres on les appelle les Moufou

Ce sont des gens dont le rêve, leur devise c’est de voir Maroua, ressembler à un Alhadji et mourir. Ça c’est les Moufou.

Ayasi bete, allere bi, a ummi ha Méri, a wari ha saare aladji don gnama waali doo daago bé ufniéré ha tinéru. Ça c’est les Mufu.

Il y a les autres, même en dernière position, Il y a les autres on les appelle les Matakam.

Applaudissez pour les Matakam!

Les Matakam sont les spécialistes de la danse marche arrière

Tout ce qui est à la mode, le Matakam a chanté : le jeandelvé, le Matakam a chanté;

le salamandèr, le Matakam a chanté

Voilà comment il fait :

Mi wéari Marwa ngam jeandelvé

Je suis venu à Maroua pour le jean délavé

Mi ummi Mokolo ngam jeandelvié

Mi wari Marwa gam jeandelvé

Je suis venu à Maroua pour le jean délavé wo o ho ho. Ça c’est les Matakam

Ou encore :

Ka way salmandèr, ka way tolvogo alpaga

Ka way salmandèr, ka way tolvogo alpaga

Vèrment, Vèrment, Vèrment, la vie d’aujourd’hui-là est dévéni dir hẽ!

Les anciens combattants conjuguent un verbe : le verbe vous remercier.

Applaudissez pour vous-mêmes et pour tout le monde ici!

Humour n°2 : Le Blanc du cybercafé

(Jouant la grand-mère, l’humoriste entre sur scène le dos courbé, un bâton à la main servant d’appui pour la marche, à trois pieds dirait-on. rires, cris, sifflets de l’auditoire l’appelant et le questionnant :ééé, on t’a cassé le derrière?)

Ma fille, l’affaire du faux Blanc dont tu parles dans ce cybercafé là (pause),

L’affaire du faux Blanc dont tu parles dans ce cybercafé, c’est vrai. Moi-même j’en suis un témoin oculaire.

Je demande ẽ ma fille, excuse-moi, pourquoi les Blancs disent témoin « oculaire »? Est-ce qu’on voit avec le « cu[11] »?

Ma fille, je disais donc que, mon Blanc que tu connais dans l’ordinateur du cybercafé-là, il devait arriver ici. Éé, moi-même, je suis allé le chercher à l’aéroport. Quand les gens m’ont vue à l’aéroport, ils ont commencé à crier :

– O koro ooh! O koro ooh! O koro ooh! La grand-mère-ci! La grand-mère-ci! La grand-mère-ci! À ton âge tu cherches encore les Blancs?

Je leur ai répondu que éé :

– Est-ce que moi j’en fabrique?

Ma fille, ce jour-là, pour être sûre que j’étais propre, j’ai trempé tout mon corps-ci dans l’eau de javel. (éclats de rires parmi l’auditoire)

Quoi? Tu m’as bien regardée? Qui va chercher son Blanc à l’aéroport étant sale?

Ma fille, ce jour-là, j’ai brossé mes dents, brossé, brossé, brossé avec toutes les pâtes dentifrices, mais elles étaient toujours sales. Quand la malchance te suit ẽ!

Ma fille, quand la malchance te suit! Aka, je les ai noircies avec le charbon; tu sais que les Blancs n’aiment que les choses bizarres bizarres.

Ma fille, je les ai alignées akig, akig, akig, un vrai défilé de maquisards.

Quoi? Les tresses? Ma fille, J’ai vidé la boutique du Sénégalais d’autrui. Quand je sortais avec la cantine de mèches, tout le quartier avait les mains sur la tête :

– A koro ooh! A koro ooh! A koro ooh! La grand-mère-ci! La grand-mère-ci! La grand-mère-ci! À ton âge tu cherches encore les Blancs?

Je leur ai répondu que éé :

– Est-ce que moi j’en fabrique?

Ma fille, une co-épouse très jalouse est venue me voir à la maison pour me demander que ẽ :

Akié, toute cette poubelle-ci pour un vieux Blanc?

Je lui ai répondu que :

Wér kuré mi nya kuris! ton caleçon balaye la cour de Paul Biya!

Ma fille, l’avion devait arriver à 20 heures, mais à 6 heures du matin, j’étais déjà à l’aéroport. Un conseil d’amie ẽ, ma fille : quand on attend un Blanc, il faut toujours partir à l’aéroport des heures avant.

Quoi? N’est-ce pas qu’une autre coyote avait détourné le Blanc d’Anaba à l’aéroport? parce qu’elle était arrivée en retard. Le lendemain, Anaba a reconnu son Blanc chez sa coépouse. Elle a crié :

O koro ooh! O koro ooh! O koro ooh! Le Blanc-ci! Le Blanc-ci! Ce n’est pas toi que je partais attendre hier à l’aéroport?

Et le salopard lui a répondu :

– Bẽẽ, écoute, en matière de show biz sexuel, les retardataires ont toujours tort.

Ma fille, le même soir, Anaba a brûlé sa coépouse.

Donc, monsieur le créateur du cybercafé, toi qui blagues avec le destin des gens ici, ne blague jamais avec mon destin; je vais te brûler vif pour un Blanc!

Ma fille, je te disais donc que j’étais partie à l’aéroport. Pendant donc que j’attendais mon Blanc, c’est d’abord le Blanc de ma fille qui est arrivé. À la descente de l’avion, il marchait comme ça (mimant des coups de reins en marchant).

Quand j’ai vu ça, moi-même j’ai crié : « – Wo koro ooh! Wo koro ooh! Le Blanc-ci! Le Blanc-ci! Tu es même encore à l’aéroport, tu marches déjà comme ça (mimant des coups de reins en marchant)! Quand tu seras sur ma fille tu vas râper comment?

Ma fille, c’est vrai qu’un Blanc n’est jamais laid, mais celui-là était laid! La couleur de la peau sauve les gens ẽ! Ma fille, si ce salopard était noir, est-ce que ma fille allait abandonner son mari ingénieur et ses enfants pour le regarder?

– Non! (Auditoire)

Au lieu d’amener ma fille dans les hôtels, il l’a ramenée dans ma vieille maison en terre battue.

– Ouais! (cris et paroles d’indignation et de compassion de l’auditoire)

Au lieu d’acheter la voiture à ma fille, il la fatigue avec la marche à pieds.

– Ouais! Akié! (cris et paroles d’indignation et de compassion de l’auditoire)

Au lieu d’amener ma fille manger dans les restaurants, il l’amène manger dans les tournedos.

– Oh! Ouais! (cris et paroles d’indignation et de compassion de l’auditoire)

Ma fille, c’est aussi vrai qu’un Blanc ne ronfle jamais, mais celui-là, c’est la kalachnikov de Ben Laden : toute la nuit aratatatatata, aratatatatata, aratatatatataa.

Ma fille, et moi, je crie :

Wo koro ooh! Wo koro ooh! Le Blanc-ci! Le Blanc-ci! Tu as déjà réveillé tout le quartier ooooh!

Ma fille, la honte va me tuer! Et moi-même, j’ai pris le téléphone, j’ai appelé l’ingénieur, l’ancien mari de ma fille pour qu’il vienne récupérer sa femme. Il m’a répondu par sms. Je vais te lire ça, ma fille :

« – Wér kuré mi nya kur mis! Ton caleçon balaye la cour de Sarkozy! »

– Traduction! (auditoire)

Ma fille, la honte va me tuer! Je ne connais pas parler français, pour ceux qui veulent la traduction, allez chercher dans les dictionnaires!

Ma fille, moi-même je suis resté à l’aéroport. J’ai attendu mon Blanc, attendu, attendu… Rien. Ou c’était un fantôme oooh!

– Qui sait?

Et c’est à une heure du matin qu’on est venu me dire que le décollage a eu lieu chez les Blancs, mais l’atterrissage a été annulé chez les Noirs.

Ma fille, ou c’était un avion fantôme oooh! Comme j’étais assise à l’aéroport avec les jambes écartées comme ça (écartant les jambes), j’ai fermé ma vieille boutique et je suis partie.

(Acclamations finales)

 (Major Assé comédie: Africa Stand up, Canal2, 2009, mis en ligne le 11 mai 2010 sur You Tube)

Plaidoirie n°1 : La protection de l’environnement

(La présente œuvre, produite le 09 juin 2013, apporte à sa manière sa contribution au débat sur la question de la protection de l’environnement dont la Journée mondiale se célèbre le 05 juin de chaque année).

Monsieur le Président du tribunal du bon sens, votre honneur,

Vous n’allez pas quand même juger un homme parce qu’il a assouvi un besoin naturellement humain, quand même.

Monsieur le Président du tribunal du bon sens, mesdames et messieurs les jurés, pensez que cela pourrait vous arriver aussi d’être pris par les mailles de ce filet dans lequel vous voulez jeter mon client aujourd’hui. C’est vrai, mon client a transgressé un ordre clairement énoncé par une pancarte : « Interdit d’uriner ici ». Et on l’accuse en conséquence du fait réprimé, d’avoir détruit un environnement esthético-floral destiné à embellir notre ville. On l’accuse de pollution environnementale, et par ricochet, d’atteinte au bien-être public par dégradation de l’atmosphère.

Oui, Monsieur le Président du tribunal du bon sens, mon client a bel et bien pissé sur ces fleurs, ces belles fleurs que notre communauté urbaine a pris la peine de faire planter de part et d’autre dans notre espace verdoyant. Oui, Mesdames, Messieurs les jurés, mon client est passé outre cette inscription rédhibitoire qui lui interdisait de satisfaire là et à cet endroit précis, ses sollicitations essentielles. Oui, Monsieur le procureur de la patrie, un homme raisonnable, jouissant de toutes ses facultés mentales qui pisse sur d’innocentes petites fleurs sans défense mérite d’être jugé et condamné. C’est ça la justice poursuivant le crime, vous avez raison, Monsieur le Président du tribunal du bon sens, alea jacta est. Vous avez d’ailleurs ajouté en termes de circonstances aggravantes le grief d’atteinte à la pudeur, parce que mon client, dans son action de destruction environnementalo-florale, aurait scandalisé une vieille dame qui se reposait tranquillement sur un banc public. Alors, là, on peut dire que la messe est bel et bien dite pour mon client.

Non, Monsieur le Président du tribunal du bon sens, mon client ne saurait être condamné pour un acte dont l’accomplissement aura été motivé par trois raisons d’acquittement dont je m’en vais vous expliciter les détails.

Primo, mon client est un analphabète, donc il ne sait ni lire ni écrire. Comment eut-il donc pu savoir que cette pancarte collée au mur lui proscrivait de se soulager là sur ces belles fleurs dont les senteurs odoriférantes berçaient son plaisir d’évacuation désintoxicatoire?

Secundo, l’accusation l’a relevé en la louant, l’initiative de la communauté urbaine d’installer un peu partout des toilettes publiques. Mais vous voudriez bien considérer, Monsieur le Président du tribunal du bon sens, que l’accès à ces toilettes publiques coûte au moins cinquante francs (50F). Or, mon client, au moment de ses œuvres, était fauché comme du mil sec. Et même s’il eut eu cet argent, sa tradition pissologique lui interdit de livrer sa semence vicinale dans des destinations inconnues. C’est d’ailleurs ce qu’il a répondu à un témoin à charge qui déclare lui avoir demandé pourquoi il urinait là sur ces fleurs au risque de les tuer. Mon client lui répondit, je cite : « – Ah mon fils, vous n’allez pas nous enlever même les choses les plus sacrées de notre tradition ẽh, kwamant! Chez nous, un homme doit voir comment ses urines perforent la terre; ces fleurs n’avaient qu’à ne pas se trouver sur la trajectoire de mon tir. C’est quoi même ça? », fin de citation tradico-maniaque.

Tertio enfin, Monsieur le Président du tribunal du bon sens, mon client était sous l’effet d’une urgence. Dites moi donc, Monsieur le Président du tribunal du bon sens, avez-vous jamais ressenti cette insistante envie de vous décongestionner la vessie, ãh, Monsieur le Procureur de la patrie? Avez-vous jamais été pris par cette espèce de danse malaxatique qui vous soumet à des contorsions, à des convulsions de ver de terre convulsif par tentative de répression urino-pissolotoire? Et là où se trouvait cet homme, il n’y avait que des villas aux palissades électrifiées; pas une seule petite cabine de soulagement public à la ronde.

Monsieur le Président du tribunal du bon sens, mon client avait le choix entre l’humiliation d’une rupture intempestivement publique des sphinters urino-pissinaux et l’acidisation momentanée de quelques fleurs assoifées. Qu’eûtes-vous donc voulu que mon client fît devant cette alternative cornelo-dilemmatique, ẽh, Mesdames, Messieurs les jurés? Au lieu de vous en prendre à mon client, à cette innocente victime des contraintes essentielles, des besoins fondamentaux, examinez donc plutôt la question cruciale de ces bars dont la démultiplication anarchico-barbarique favorise, non seulement ces états d’indisposition urinalo-pissistématiques, mais encore constituent plutôt une menace bombatomicale contre notre environnement esthético-éthico-socio-respiratorial.

Je vous remercie.

Hymne n°1 : Hymne du Tokna Massana

Peuple massa, race pure, hommes de courage,

Hommes forts, unissons-nous,

Unissons nos pensées!

Debout, peuple massa, la trompette a sonné!

Massa du Tchad, Massa du Cameroun,

Un seul amour, une même vision.

Que le Tokna rassemble nos espoirs communs.

Allez, peuple massa, la trompette a sonné!

Que tout Massa adhère au Tokna massana de tout son cœur,

Encourageons l’union de tous les Massa

Afin de préserver ce que nos ancêtres nous ont légué

Allez, debout, l’alarme a sonné!

Venez, puisons dans nos us et coutumes les forces dont nous avons besoin

Et qu’au milieu de nous règnent la paix et la concorde,

Que l’amour soit notre lien, et que rien ne nous divise

Allez, debout peuple massa, la trompette a sonné!

Massa, tous, nous sommes les enfants d’un même père, les descendants d’un même ancêtre

Que nos efforts accouchent d’un même amour, unifiées soient nos idées

Bâtissons un seul peuple avec une même vision et mettons ensemble toutes nos énergies et toutes nos forces

Allez, debout et à l’œuvre, l’heure a sonné!

Entre nous point de haine et que même la messe ne nous divise pas

Que rien ne nous divise, que ni la religion, ni la politique n’y suffisent

Nous sommes célèbres, nous sommes un grand peuple

Allez, debout peuple massa, le jour s’est levé!

Que le Massa du Sud soit fier de celui du Nord

Que le Massa de Wina fasse la paix avec celui de Mouzouk

Que le Massa de Guisey soit le complice de celui de Toukou

Allez, debout peuple massa, la trompette a sonné!

Que nos mains réalisent de bonnes œuvres, que nos bouches professent des paroles de joie et de paix

Que nos cœurs chérissent tous les êtres humains

Et que nos oreilles soient à l’écoute des autres frères massa

Allez, debout peuple massa, l’heure a sonné!

Massa, nous sommes les envoyés

Pour montrer aux autres la voie royale.

Peuple massa, peuple béni, hommes de grâce, ne dépensons pas notre identité!

Allez les Massa, levez-vous, la trompette a sonné!

He he ha he he he

Yayo he ha he he he

(Hymne composé par HIRDIMA NOULA MADOURA, enseignant et artiste-musicien en mars 2003 lors du premier festival Tokna massana, traduit du massa par FIDESSOU Sylvestre, Enseignant-chercheur, en novembre 2011).

Hymne n°2 : Hymne de l’AEEAB

(Baham, Baham, chef-lieu

Des Hauts Plateaux

Tous nos soucis, c’est

De développer Baham) (x2)

(Lorsqu’on se dirige

Vers Baham, on voit

Baham s’épanouir

Dans la vallée) (x2)

(Son épanouissement

Nous fait plaisir

Son épanouissement

Nous fait plaisir

Son épanouissement

Fait plaisir à tout Baham) (x2)

(Recueilli au cours du « Soir au village » de l’AEEAB, Ngaoundéré le 29 avril 2012. Cet hymne se chante suivant la disposition ci-dessus, c’est-à-dire en alternant des couplets en langue ghomala et leurs traductions en français. Cette transcription est de Kamdem Gilles, Étudiant, 21 ans).

Hymne n°3 : Hymne de l’AEES

Nous sommes le peuple sawa vivant à l’étranger

Que l’amour règne entre nous et vivons dans la concorde et la paix

Qui peut nous attaquer, qui peut nous atteindre ici à l’étranger

Quand nous sommes un?

(AEES, Soir au village du 30 avril 2012 à Ngaoundéré, traduction de Mandengue Eyango, Étudiant 25 ans).

Hymne n°4 : Hymne de l’UEEBg

UEEBg vous appelle, chers frères

Venez à la reunion, Venez à la reunion, Venez à la réunion!

Honte à eux,

Honte à ceux qui cheminent seuls!

C’est vrai!

(Recueilli le 30 juin 2012 au cours de la soirée culturelle bangou au Foyer des jeunes de Maroua. Transcription et traduction de Nkouamou Madeleine, Étudiante, 28 ans.)


  1. Voir Jean Cauvin (1980).
  2. Émission de la chaîne de télévision Canal2.
  3. Rubrique de l’émission « Dimanche midi » du poste national de la Crtv radio.
  4. Entretien avec Charly Mveme, animateur de l’émission radiophonique « Temps des contes » à la CRTV Radio, le 30 avril 2011.
  5. C’est l’auteur qui souligne.
  6. Ces termes se traduisent par : « les caprices, la méchanceté, la jalousie, le mensonge, la querelle et la violence ».
  7. Pour Walter J. Ong (année), l’oralité seconde est celle qui utilise des supports de conservation (physique, numérique, médiatique, etc.) autre que la mémoire, par opposition à l’oralité première.
  8. Ces termes se traduisent par : « les caprices, la méchanceté, la jalousie, le mensonge, la querelle et la violence ».
  9. Pour dire « vingt sur vingt (20/20) ».
  10. Expression en fulfuldé qui signifie : « je jure par le mensonge! »
  11. Déformation de « coît » qui désigne ici le sexe féminin.

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