9 L’arabe dans le contexte de la professionnalisation des enseignements au Cameroun
Éric Achille NKO’O BEKONO
Résumé
Tout apprentissage dans un contexte de professionnalisation des enseignements a pour finalité l’insertion socioprofessionnelle. L’enseignement de la langue arabe ne déroge pas à cette logique. En effet, l’introduction de l’enseignement de la langue arabe dans le système éducatif camerounais a pour objectif de faciliter l’intégration de ses apprenant·es dans divers milieux professionnels correspondant à leur profil. Or, une partie considérable des populations de l’Afrique centrale, et du Cameroun en particulier, continue de penser que l’arabe est une langue d’islamisation et donc, n’offre aucune opportunité d’emploi à ses apprenant·es. De plus, ces populations ne prennent pas en compte la place que l’arabe occupe dans l’environnement socioculturel et dans la coexistence pacifique entre les langues. Fondé sur une approche basée sur l’exploitation documentaire, cet article a pour objectif de présenter l’intérêt pratique de l’enseignement/apprentissage de l’arabe dans un contexte de professionnalisation des enseignements au Cameroun.
Mots-clés : langue arabe, compétences, professionnalisation, enseignement, Cameroun.
Abstract
The aim of all learning in a context of professionalization of teaching is socio-professional integration. The teaching of Arabic is no exception to this logic. Indeed, the introduction of Arabic language teaching into the Cameroonian education system is intended to facilitate the integration of its learners into various professional environments corresponding to their profile. However, a considerable proportion of people in Central Africa, and Cameroon in particular, still believe that Arabic is a language of Islamization, and therefore offers no job opportunities to its learners. What’s more, these populations fail to take into account the place that Arabic occupies in the socio-cultural environment and in the peaceful coexistence between languages. Based on a documentary approach, this article aims to present the practical interest of teaching/learning Arabic in a context of professionalization of teaching in Cameroon.
Keywords: Arabic language, skills, professionalization, teaching, Cameroon.
Introduction
La finalité de l’apprentissage d’une langue seconde dans un contexte de professionnalisation des enseignements est l’insertion dans le monde du travail. Dans l’environnement sociologique africain, particulièrement au Cameroun, la non-obtention d’un emploi ou l’incapacité d’en créer au terme d’une formation est, aux yeux de la société, un échec cuisant. Pour régler ces déficits observés dans le système éducatif camerounais, l’État s’est résolument engagé à bâtir dans ses programmes une nouvelle pédagogie dénommée l’Approche par les compétences (APC) qui puise dans l’héritage cognitiviste et socioconstructiviste. Cette pédagogie dite de l’intégration est centrée sur l’apprenant·e ainsi que sur le développement des compétences capables de faciliter son accès dans le monde de l’emploi. C’est ce qu’on appelle la professionnalisation des enseignements.
En effet, la professionnalisation des enseignements vise, d’une part, à résorber le chômage des jeunes et, d’autre part, à régler le problème d’inadéquation entre la formation et l’emploi (Maingari, 1997). Ainsi, dans un contexte de professionnalisation des enseignements, l’apprentissage des langues vivantes doit pouvoir permettre à l’apprenant·e de s’intégrer dans le monde du travail. Plus encore, il doit pouvoir lui permettre de se socialiser, de s’insérer dans la société, car l’emploi joue un rôle déterminant dans l’intégration sociale des individus. De fait, l’éducation pour le simple plaisir des savoirs est révolue. On n’apprend plus pour apprendre. Tout savoir doit justifier sur le terrain sa raison d’être (Maingari, ibid.). Vu sous cet angle, la langue arabe, au même titre que l’espagnol, l’allemand, l’italien ou le chinois, devient une langue d’opportunités qui favorise l’intégration socioprofessionnelle des apprenant·es au terme de leur formation. Pourtant dans l’imaginaire social, la langue arabe est une langue d’islamisation qui ne favorise pas l’insertion socioprofessionnelle des élèves qui l’étudient au secondaire; elle est dotée d’une forte charge émotionnelle. Cette réalité explique la stigmatisation et l’image fort dépréciative que l’on porte sur ceux et celles qui l’apprennent. C’est dans cette perspective que cette étude, fondée sur l’exploitation documentaire, se donne pour objectif de présenter l’intérêt pratique de l’enseignement/apprentissage de la langue arabe dans un environnement socio-éducatif camerounais où l’on n’étudie plus pour étudier, mais dans le but de trouver un emploi ou encore d’en créer.
Bref historique de la langue arabe
L’histoire de la langue arabe se caractérise par sa richesse et son expansion inédite. Selon Jalali (2014), la rapidité d’extension de l’arabe, son essor impressionnant et son universalisme rendent l’histoire de cette langue particulièrement riche et vaste. Cela ne fait l’ombre d’aucun doute, la langue arabe occupe une place de choix dans le monde. Elle est la langue officielle d’environ 22 pays en Afrique et en Asie. Le critère de leur arabicité est leur appartenance à cette langue. En plus de ces pays, on note que l’idiome parlé en République de Malte est d’origine arabe (Baccouche , 1998).
Par ailleurs, il faut souligner qu’il existe des communautés musulmanes qui utilisent la langue arabe comme langue de religion. Cet ensemble d’éléments ont renforcé la place de la langue arabe dans le monde, d’où son adoption par les Nations unies, le 18 décembre 1973, comme langue officielle. Pour bien comprendre l’originalité de cette langue et l’importance de l’apprendre, il est fondamental de la situer historiquement et linguistiquement en rapport avec les autres langues sémitiques.
En effet, l’arabe fait partie de la grande famille des langues sémitiques (سامي) au même titre que l’hébreu, l’araméen, le phénicien, le maltais et l’ougaritique (Baccouche , 2009). Elles sont qualifiées de « sémitiques » en référence au nom biblique de Sem, fils de Noé. Dans cette famille, c’est la langue vivante la plus parlée au monde. D’après Baccouche (ibid.), elle fait partie du groupe des langues sémitiques du sud et partage avec lui certaines caractéristiques :
- un système phonologique plus proche du sémitique ancien avec une forte proportion de sons gutturaux;
- un système morphologique à dérivation comportant principalement des verbes affixés et des pluriels internes (brisés).
Ainsi, on pourrait dégager trois grandes périodes dans l’histoire de l’arabe :
- l’arabe ancien, de l’antiquité jusqu’ aux débuts du Moyen âge;
- l’arabe classique, depuis l’avènement de l’islam jusqu’au XVIIIe siècle;
- l’arabe moderne, depuis la renaissance arabe au XIXe siècle.
Enseignement de la langue arabe au Cameroun
Le Cameroun, pays multilingue et multiculturel, présente un paysage sociolinguistique qui fait de lui une Afrique en miniature. On note environ 280 langues autochtones (Bitjaa, 2000). À côté de ces langues, il y a le français et l’anglais qui font partie de l’héritage colonial franco-britannique. En dehors du français et de l’anglais, d’autres langues vivantes ont été introduites dans le sous-système éducatif francophone. Depuis 1951, l’allemand et l’espagnol y sont enseignées en tant que langues étrangères. Les autres langues comme l’italien et le chinois, etc. ont eu le même statut à la faveur de l’approfondissement des relations bilatérales entre le Cameroun et les pays dans lesquels elles sont majoritairement parlées.
Pour ce qui est de la langue arabe, son enseignement a été introduit de manière officielle dans l’école des fils des chefs au Nord-Cameroun par l’administration coloniale française en 1930, puis en 1936-1937 dans les écoles dites « du village » (Nko’o Bekono, 2021). Il faut dire que pendant la période coloniale, l’enseignement de la langue arabe éprouvait des difficultés liées à la « phobislam ». Ce n’est qu’avec les indépendances, en 1960, que le président Ahmadou Ahidjo autorise la création des premières écoles franco-arabes (Fotso, 2009). Quant à son enseignement dans les lycées, la première expérience a eu lieu en 1962 au lycée de Garoua. Les premiers enseignant·es étaient issu·es de la coopération avec le Maroc. Et, de manière progressive, son enseignement s’est étendu sur l’ensemble du territoire camerounais.
Le tableau ci-dessous présente le nombre d’établissements où l’arabe est enseigné au Cameroun.
Tableau 1. Nombre d’écoles enseignant l’arabe
Établissements primaires maternels et secondaires islamiques | 460 |
Établissements secondaires publics | 236 |
Établissements universitaires | 06 |
Total | 702 |
Source, auteur (2025)
De la professionnalisation des enseignements à l’intégration socioprofessionnelle : le cas de l’arabe
La professionnalisation est d’un intérêt majeur tant pour les décideur·euses politiques que pour les chercheurs et chercheuses. Elle vise la modernisation de l’éducation et s’inscrit dans les nouvelles conceptions de la régulation des systèmes éducatifs. Elle recouvre simultanément le développement de compétences, la construction d’une identité professionnelle et une reconnaissance sociale. Au Cameroun, la professionnalisation vise la formation des citoyens et citoyennes capables de trouver des débouchés à la fin de leur parcours scolaire. Dans un environnement où la finalité de l’école demeure l’insertion socioprofessionnelle, beaucoup pensent qu’il n’est pas évident de trouver un emploi du fait de la corruption. Or, cela n’est pas vrai quand il y a adéquation entre le choix de la discipline (considérée ici comme deuxième langue) et le futur emploi ou le projet personnel. Pour trouver plus facilement un emploi, il faut opérer des choix qui non seulement correspondent à notre profil et à nos aspirations, mais sont davantage rares et recherchés sur le marché de l’emploi.
Apprendre l’arabe pour quel intérêt?
Plusieurs personnes instruites ou non se posent la question de savoir quel intérêt y a-t-il à apprendre une langue étrangère comme l’arabe. Il y en a qui vont jusqu’à penser que c’est à tort que le système éducatif camerounais embrasse toutes ces langues étrangères qui n’ont aucune importance. Selon ces avis, il faut essentiellement enseigner les langues camerounaises qui sont importantes pour la promotion du multiculturalisme tant prôné par la constitution. Pourtant, les raisons pour lesquelles il faut enseigner une langue comme l’arabe aux Camerounais·es sont diverses.
La première raison pour laquelle la connaissance de l’arabe est de nos jours un atout indispensable relève d’une réalité économique : les entreprises, le commerce et l’ensemble des échanges se sont mondialisés. Ce phénomène a généré des besoins : rencontrer, communiquer, interagir et travailler avec des interlocuteurs et interlocutrices dans des contextes linguistiques et culturels extrêmement variés.
La mondialisation du marché du travail et du commerce a fait des langues un moyen d’échanges commerciaux entre plusieurs nations. Celle-ci a motivé l’esprit de conquête et l’extension de certaines entreprises, à l’instar d’Arab Contractor d’origine égyptienne, de Soroubat d’origine tunisienne, etc. qui opèrent dans la réalisation des travaux publics au Cameroun. Dans ce domaine, il y a un intérêt à avoir un personnel arabophone afin de vérifier les documents et pièces fournis par les soumissionnaires arabes[1].
Pour ce qui est des produits de consommation, on note la présence sur le marché des produits venant des pays arabes comme le beurre Jadida qui a été créé en Tunisie en 1990 par l’entreprise ALMES et importée au Cameroun par la société Africa Global Business (AGB). L’économie d’un pays dépend du nombre de partenaires qui investissent sur son sol. Ainsi, une diversification des partenaires avec des backgrounds culturels différents est de nature à favoriser les conditions d’une économie ouverte et diversifiée. C’est à ce niveau que la connaissance de l’arabe pèse de tout son poids, car, comme le pense Grin (2002), les langues ne sont pas seulement perçues comme des éléments de l’identité culturelle ou comme des compétences porteuses de valeurs marchandes, mais elles sont aussi des attributs linguistiques qui exercent conjointement une influence sur le statut socioéconomique des acteurs et actrices. Dans cette perspective, l’apprentissage de la langue devient un élément clé dans la recherche et la négociation avec des potentiels investisseur·euses issu·es des pays arabes.
La deuxième raison pour laquelle l’enseignement de la langue arabe trouve son sens est que la question de l’immigration prend de l’ampleur de nos jours, touchant plusieurs pays. En effet, avoir des voisin·es venant d’une autre partie du monde ayant comme langue officielle l’arabe n’est plus une exception, mais plutôt un fait de plus en plus banal dans la société. Qu’on soit étranger ou étrangère dans un pays ou qu’on rencontre des étrangers et étrangères dans son pays d’origine, il faut être capable de dépasser les préjugés pour s’ouvrir aux autres et vivre en harmonie. De plus, il est nécessaire d’accueillir la diversité des langues et des cultures dans les écoles, les lieux de travail et dans la vie quotidienne. Être capable de dire quelques mots dans la langue des voisin·es est déjà un grand pas pour s’intégrer dans la communauté. C’est cette envie de s’intégrer à la fois dans la société et dans le monde socioprofessionnel qui motive les individus à apprendre une langue.
De manière plus concise, nous pensons que nous sommes dans une époque où s’organise l’intégration africaine et se développent les échanges internationaux entre Africain·es et Asiatiques, d’une part, et avec les Européen·nes, d’autre part. Dans un tel contexte, nul n’est besoin d’insister sur l’importance individuelle, économique et culturelle de la connaissance pratique d’une langue comme l’arabe. Aussi convient-il de noter que dans les pays développés, la diplomatie est davantage réservée à ceux et celles qui parlent plusieurs langues. Ainsi, un·e apprenant·e de l’arabe, au terme de son parcours scolaire, a la possibilité d’être diplomate, ambassadeur ou ambassadrice dans les pays arabes et journaliste dans des médias arabes tels que Aljazeera, France24 et BBC.
Par ailleurs, le Cameroun est un pays plurilingue, multilingue et diglossique de par sa nature, son histoire et sa géographie. Il compte environ 280 langues, l’arabe faisant partie de son héritage culturel. Elle est la langue maternelle des Arabes Choas dans le département du Logone et Chari à l’Extrême-nord du pays. Du point de vue historique, les Arabes Choas sont des descendant·es arabes installé·es depuis 1823 sur la rive occidentale du lac Tchad (Hagenbucher-Sacripanti, 1973).
Bien plus, avec la mondialisation, on remarque que les États sont amenés à coopérer et à mener leurs activités à l’international. Ce qui entraîne un besoin croissant de traducteurs et traductrices professionnel·les dans plusieurs domaines, de la traduction d’affaires à la traduction technique. Le domaine de la traduction présente des opportunités énormes pour ceux et celles qui apprennent l’arabe. Effet, en tant que langue d’opportunités, l’arabe donne la possibilité à ceux et celles qui l’ont apprise de pouvoir trouver un emploi au terme de leur parcours scolaire ou académique dans les nombreux secteurs de la traduction. Généralement les traducteurs et traductrices sont sollicité·es dans les services de coopération logés dans tous les services publics au Cameroun, y compris à la Présidence de la République.
Intérêt militaire de l’apprentissage de l’arabe
La sécurité est un élément fondamental dans le bien-être d’une nation. La langue joue un rôle important, notamment dans la collecte du renseignement où les actions de sécurité préventive liées à la traduction pourraient être compromises si l’armée ne dispose pas des traducteurs et traductrices. Il faut connaître la langue de son ennemi pour mieux le combattre. Pour la sécurité d’un État, la connaissance des langues et l’acquisition d’outils linguistiques sont indispensables pour faire du renseignement et envisager des activités d’espionnage. C’est dans cette perspective que l’armée américaine a lancé en 1941 un vaste programme, l’ASTP (Army Specialised Training Program), destiné à former des militaires ayant une connaissance pratique des langues parlées sur le théâtre des opérations de la deuxième guerre mondiale (Puren, 1988). Pour les États-Unis, un bon officier doit parler au moins une langue étrangère. En 1946, une école de langues de l’armée sera créée. Durant la guerre froide, les États-Unis ont accordé la priorité au turc qui a été rapidement remplacé par le vietnamien pendant la guerre du Vietnam. Depuis les attentats du 11 septembre, c’est la langue arabe qui est de plus en plus enseignée.
Avec la mondialisation, les guerres se font désormais en synergie avec les États. Les fronts de guerre tels que le terrorisme sont communs à cause de leur caractère hybride et asymétrique. Dans une telle perspective, la coopération militaire impose que les armées accordent une place de choix à l’enseignement-apprentissage des langues et plus précisément à l’apprentissage de la langue arabe. Pour ce qui est du Cameroun, l’enseignement/apprentissage de la langue et culture arabes dans les institutions militaires pourrait permettre à l’armée camerounaise de mieux comprendre la sociologie musulmane en général et celle du Cameroun en particulier.
Par ailleurs, le Cameroun occupe une place importante dans la diplomatie militaire par le biais des attaché·es militaires présent·es dans les 07 ambassades que compte le pays dans le monde arabe : l’Algérie, le Maroc, l’Égypte, l’Arabe Saoudite, les Émirats arabes unis, le Tchad et la Tunisie. D’ailleurs, le Maroc et l’Égypte offrent des formations à l’armée camerounaise. En novembre 2018, le vice-ministre saoudien de la défense a rencontré le ministre camerounais de la défense dans la perspective d’une meilleure coopération militaire et sécuritaire. Tout ce faisceau d’éléments montre que l’enseignement de la langue arabe en milieu militaire et sécuritaire pourrait positivement aider dans le renforcement de la stabilité au Cameroun.
Malgré les opportunités que l’enseignement de l’arabe offre à ses apprenant·es, il convient toutefois de relever les difficultés liées à son environnement socio-pédagogique.
Quelques difficultés socio-pédagogiques liées à l’enseignement de la langue arabe au Cameroun
En dépit des efforts de l’État à laïciser l’enseignement de la langue arabe, la situation de son enseignement-apprentissage dénote une carence liée à son contexte sociopédagogique. Au-delà des problèmes méthodologiques, il y a la forte charge émotionnelle et les réactions souvent extrêmes pouvant amener les élèves à l’abandon total de son apprentissage. Par exemple, certaines administrations scolaires sont réfractaires à l’enseignement de la langue arabe. C’est le cas d’un enseignant d’arabe affecté au lycée de Mbalmayo rural à qui le proviseur a refusé l’enseignement de l’arabe pour lequel il a été formé et déployé au lycée. Il s’est retrouvé employé comme bibliothécaire avant d’être redéployé au lycée de Bafia. Des exemples de cette nature sont légion au Cameroun. En effet, beaucoup assimilent l’enseignement de la langue arabe à l’islam et stigmatisent les apprenant·es en les taxant de Boko Haram, de Ben Laden, etc. (Nko’o Bekono, 2019).
Le milieu socioéducatif qui impose aux jeunes filles de raser les cheveux ne favorise pas l’enseignement de l’arabe dans les lycées. Dans la culture musulmane, la femme ne se rase pas les cheveux sauf en cas de maladie et l’école devrait pouvoir prendre cela en considération pour plusieurs raisons. D’abord, comme le pense Katia Fornara (2006), l’humain est un être de culture. Il n’existe pas de culture sans éducation ni d’ailleurs d’éducation sans culture. Ensuite, l’école est une institution culturelle dont l’essence est la construction et le renforcement des valeurs sociales sans lesquelles le développement psychique, intellectuelle, morale et physique de l’humain n’est que vain (Nko’o Bekono, 2021). L’école est un agent de transmission de la culture et la culture elle-même constitue la finalité institutionnalisée de l’école et le rehaussement culturel d’un objectif à atteindre une visée qui doit être poursuivie par tous les intervenants et intervenantes du milieu scolaire. Dans un tel contexte, l’administration scolaire au Cameroun devrait prendre en compte l’ensemble des disparités culturelles dans l’optique de bâtir une éducation inclusive de qualité. Si raser les cheveux va à l’encontre de valeurs musulmanes, l’administration scolaire ne doit pas demander aux élèves filles de se raser la tête, mais plutôt se faire des tresses conformément au modèle exigé par l’établissement. Ce serait injuste d’exclure une catégorie de citoyennes de l’école en leur exigeant de faire une chose qui détruit leur dignité alors que cette chose ne pose pas de préjudice à l’ensemble de la société. De telles attitudes ne sont pas de nature à aider à la construction de la cohésion nationale, car l’école est un lieu de vivre-ensemble et de tolérance des cultures.
Conclusion
De nos jours, la connaissance d’une ou plusieurs langues étrangères comme l’arabe est un atout dans la mesure où elle est un instrument d’intégration socioprofessionnelle. Bien au-delà, il faut connaître la culture de l’autre pour mieux lui faire face. Dans cette perspective, connaître une langue étrangère comme l’arabe permet de mieux connaître les Arabes dans leur profondeur culturelle pour une meilleure coopération bi/multilatérale. Ainsi, les avantages de parler l’arabe peuvent être expliqués sous plusieurs angles, notamment éducatif, économique, social, culturel et diplomatique. La langue arabe fait partie de l’héritage culturel du Cameroun. Son enseignement se situe à la fois dans la perspective du vivre-ensemble et de l’ouverture au monde tel que défini dans la loi d’orientation de 1998. Dans un contexte de professionnalisation des savoirs, l’enseignement de la langue arabe donne de manière pratique des ouvertures et des opportunités dans des domaines aussi variés que le commerce international, la traduction et l’interprétariat, la diplomatie, le journalisme, etc. Au regard de ces opportunités, il serait judicieux que l’État du Cameroun s’implique avec plus de pertinence dans la création d’un environnement socio-économique qui permettra une meilleure intégration des diplômé·es ayant un parcours arabe. Il faut, par ailleurs, améliorer l’enseignement de l’arabe parce qu’elle est une langue vivante dans le monde contemporain. Elle est l’une des six langues officielles des Nations unies et fait partie du patrimoine de l’Unesco. Pour assurer un environnement positif et inclusif de cette langue, il est de la responsabilité de l’État d’en proposer son enseignement/apprentissage à un maximum d’élèves issu·es de tous milieux sociologiques.
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Eric Achille NKO’O BEKONO, Université de Bertoua (Cameroun) – erickachillen@gmail.com
Références bibliographiques
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Baccouche, T. (2009). Dynamique de la langue arabe. Synergies Tunisie, p. 17-24.
Bitjaa Kody, Z. D. (2000, septembre). Vitalité des langues à Yaoundé: Le choix conscient [Communication présentée au Colloque international sur les villes plurilingues, École normale supérieure, Libreville, Gabon]. [Manuscrit inédit].
Fotso, G. (2009). Enseignement de l’arabe au Cameroun: Enjeux sociaux et politiques. L’Harmattan.
Grin, F. (2002). L’économie de la langue et de l’éducation dans la politique d’enseignement des langues [Rapport]. Conseil de l’Europe. https://rm.coe.int/l-economie-de-la-langue-et-de-l-education-dans-la-politique-d-enseigne/1680886e8f
Hagenbucher-Sacripanti, F. (1977). Les Arabes dits « Suwa » au Nord-Cameroun. Cahiers O.R.S.T.O., XIV(3), 223-249.
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Maingairi, D. (1997). La professionnalisation de l’enseignement au Cameroun : des sources aux fins. Recherche et formation, 25(1), p. 97-12.
Nko’o Bekono, E. A. (2019). Laïcité et transposition didactique du contenu religieux dans une classe d’arabe. Dans A. Hamadou & D. Koné (Dirs.), Islam et vivre ensemble (pp. 147-178). L’Harmattan.
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Puren, C. (1988). Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues. Nathan/Clé International.
Jalali, R. (2014). L’histoire de la langue arabe. [Travail de recherche et de rédaction, Université de Nice Sophia Antiplis, inédit].
- Entretien en 2019 avec Gado joseph, membre de la commission de passation des marchés publics au Ministère des marchés publics. ↵