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5 Insécurité transfrontalière et résilience socioéconomique des éleveurs bovins à l’Extrême-Nord Cameroun : entre reconversion, sédentarisation et reconstruction identitaire

Paul Basile Odilon NYET et OUSMANOU ABDOU

Résumé

Cet article étudie les mécanismes de résilience des éleveurs bovins face à la montée de la menace sécuritaire à la frontière du Cameroun et du Nigeria au cours de ces dernières années. L’activité pastorale est confrontée à des conflits transfrontaliers quasi permanents, notamment celui de Boko Haram, entraînant au passage beaucoup de conséquences sur l’économie locale. Cette insécurité se caractérise par des vols de bétail, des tueries, des destructions des champs et biens matériels, ainsi que des prises d’otages. Cette situation pose la question de la vulnérabilité des éleveurs bovins face à la diversité des formes de violence et d’insécurité qui obligent ces acteurs à développer des stratégies d’adaptation dans leur nouvelle vie socioéconomique. Dans cette dynamique, certains éleveurs sont poussés à la reconversion professionnelle, d’autres à la sédentarisation, tandis qu’une autre catégorie cherche plutôt à redéfinir leur propre identité sociale.

Mots-clés : insécurité transfrontalière, pastoralisme, résilience, reconversion, sédentarisation, identité.

Abstract

This research analyses of the cattle-breeders resilience mechanisms against the insecurity to the Cameroon and Nigeria border in recent years. Pastoral activity is faced with permanent border crisis, per example the Boko Haram movement, which affect the local economy. This insecurity is characterized by cattle rustling, killings, destruction of fields and property, as well as hostage. This situation raises the question of the vulnerability of cattle farmers face diverse forms of violence and insecurity that force these people to develop adaptation strategies in their new socio-economic life. In this dynamic, some cattle-breeders change their job, other settlement, while another category redefine their own social identity.

Keywords: cross-border insecurity, pastoralism, resilience, conversion, settlement, identity.

Introduction

Depuis quelques années, les éleveurs[1] des villages de l’Extrême-Nord du Cameroun constituent une population particulièrement vulnérable (Abou Abba et al., 2006). Ils subissent un ensemble de facteurs de fragilisation qui ont pour origine l’histoire du peuplement de cette région et la dégradation continue des conditions de production, en particulier la raréfaction des ressources fourragères. À cela s’ajoute, depuis plus d’une décennie, le phénomène des « coupeurs de route ». Ces derniers prennent en otage les enfants et les femmes des éleveurs contre le paiement d’une rançon. Et tout récemment, les attaques répétées de la secte Boko Haram touchent considérablement la vie des populations vivant dans les zones frontalières avec le nord du Nigeria. Les différentes formes d’insécurité touchant les éleveurs suscitent des questions sur l’évolution de leur mode de vie, mais plus globalement sur les relations que ces éleveurs entretiennent avec les autres acteurs. Dans une étude, Saïbou Issa note que « les mobilités pastorales en ont souffert, car des zones de pâturages sont inaccessibles, de nombreux pasteurs désormais sans bétails sont contraints de se sédentariser, certains alimentant le crime organisé » (2014, p. 10).

En fait, ce travail aborde de façon systémique la question de la vulnérabilité des éleveurs bovins surtout en décrivant la diversité des formes de violence et d’insécurité qui obligent ces acteurs à développer des stratégies de résilience pour survivre. La violence se rapporte au fait que les agresseurs portent atteinte à l’intégrité physique ou psychique des personnes agressées. L’Extrême-Nord du Cameroun fait face à une insécurité qui va au-delà de ses frontières caractérisées par des prises d’otages, des tueries et destructions des biens sociaux avec des conséquences majeures sur le développement socioéconomique de toute la partie septentrionale du pays.

Il est par ailleurs question dans cette étude d’appréhender les stratégies d’adaptation des populations locales dans leur nouvelle vie socioéconomique. Dans cette dynamique, certains éleveurs sont poussés à la reconversion professionnelle, d’autres à la sédentarisation, tandis qu’une autre catégorie cherche plutôt à redéfinir leur propre identité sociale. Avant de présenter les résultats de cette recherche et la discussion, il nous semble judicieux d’indiquer au préalable le cadre théorique et méthodologique, ainsi que l’état des lieux de la production scientifique sur l’insécurité transfrontalière dans ses rapports avec la résilience socioéconomique.

Cadre conceptuel, théorique et méthodologique

Les notions d’« insécurité » et de « résilience » peuvent donner lieu à des interprétations diverses. Leur appropriation en sciences sociales, notamment en sociologie, demande des précisions sémantiques préalables, surtout lorsqu’il s’agit de parler de l’insécurité transfrontière et de la résilience socioéconomique. Ces quelques précisions sont indispensables avant d’aborder les postures théoriques et la méthode de recherche.

Approche conceptuelle

De façon générale, l’insécurité est l’état d’un lieu qui n’est pas sûr, qui est soumis à la délinquance ou à la criminalité. De plus, l’insécurité s’appréhende alors comme l’état d’une chose qui n’est pas stable, qui est incertain, fugitif et précaire. C’est aussi l’angoisse, l’appréhension ou la crainte résultant du manque de sécurité et de l’éventualité d’un véritable danger. L’insécurité représente toutes sortes de menaces morales, politiques, économiques, physiques, environnementales et culturelles rencontrées au quotidien et qui ont un impact direct sur la sûreté physique et la tranquillité humaine. Pour une personne, un animal ou une collectivité, l’insécurité est l’inquiétude qui résulte du manque de sécurité et de l’éventualité d’un danger réel ou imaginé. Dans notre société, elle est l’ensemble de menaces physiques, morales, économiques, sociales, politiques, environnementales et culturelles rencontrées dans la vie quotidienne et qui font que la sûreté physique et la tranquillité ne sont plus assurées.

Pour sa part, le terme « transfrontalier » désigne ce qui concerne le franchissement d’une frontière, les relations entre deux pays de part et d’autre d’une frontière. Aussi « l’insécurité transfrontalière » constitue-t-elle un ensemble d’actes délictueux dont les auteurs et autrices, les victimes et les répercussions vont au-delà des frontières étatiques; elle s’inscrit dans les réseaux et les sillages de ces allées et venues, dont les auteurs, les autrices et les victimes sont les mêmes acteurs et actrices, à savoir les pêcheurs et pêcheuses, les paysans et paysannes, les cultivateurs et cultivatrices, les éleveurs-pasteurs et les éleveuses-pasteures, jeunes et moins jeunes (Musila, 2012).

La notion de « résilience », quant à elle, s’inscrit dans les préoccupations actuelles des chercheurs et chercheuses de plusieurs disciplines scientifiques telles que la psychologie, l’économie, la psychiatrie, l’éducation, la sociologie, l’anthropologie, la santé mentale, etc. Grâce à sa vision positive quant à la façon de voir et de traiter les expériences humaines, il revêt un grand intérêt en ce sens qu’il permet un changement de regard porté sur le vécu des individus dans différentes situations à risque (Poletti et Dobbs, 2001). Ainsi, la résilience peut être définie comme une capacité qu’ont certains individus à surmonter les obstacles, les conditions difficiles et à poursuivre le cheminement normal de la vie (Vanistendael et Lecomte, 2000). La résilience comme capacité résulterait de l’interaction sujet-environnement. Cette capacité permet à l’individu de percevoir et d’agir sur son environnement de manière significative (Anaut, 2003). Bref, la résilience se rapporte à

la capacité d’adaptation aux circonstances variables et aux contingences environnementales, l’analyse du niveau de correspondance entre les exigences situationnelles et les possibilités comportementales, et l’utilisation souple du répertoire disponible de stratégies de résolution de problèmes (Anaut, 2003, p. 45).

Dans le cadre de cette étude, nous entendons par résilience la capacité des ménages, des éleveurs ou des communautés pastorales tout entière à faire face à la menace sécuritaire, à l’incertitude et aux violences diverses, leur aptitude à répondre efficacement à ces situations contingences, ainsi que les réponses durables qu’ils parviennent à mettre sur pied.

Les postures théoriques

Le courant de l’analyse stratégique et la théorie de la contingence structurelle sont les deux principales postures de cette recherche. Formulée par Crozier et Friedberg Erhard (1977) à la fin des années 1970, l’analyse stratégique tire ses fondements de l’étude des relations de pouvoir dans une organisation. Cette dernière n’est pas un domaine naturel, mais plutôt un construit, partant d’une action collective, qui ne détermine pas totalement le comportement des acteurs; si les contraintes existent, il existe aussi des zones d’incertitudes. C’est dans ce jeu structuré que les acteurs vont choisir une stratégie gagnante au sein de plusieurs possibilités. L’analyse stratégique se fonde aussi sur le rejet de toute idée de déterminisme structurel ou social. C’est cette conception qui a amené Crozier et Friedberg Erhard à affirmer qu’il n’y a pas de systèmes sociaux entièrement réglés ou contrôlés. Les acteurs individuels ou collectifs qui les composent ne peuvent jamais être réduits à des fonctions abstraites et désincarnées. Ce sont des acteurs à part entière qui, à l’intérieur des contraintes souvent très lourdes que leur impose le système, disposent d’une marge de liberté qu’ils utilisent d’une manière stratégique dans leur interaction avec les autres.

Dans le cadre de cette recherche, l’analyse stratégique trouve sa place dans la mesure où elle permet de mieux expliquer le comportement des terroristes dans les enlèvements des populations et le vol de bétail. D’après cette théorie, toute organisation a des objectifs et des principes qui encadrent le comportement des acteurs (individus). Pour éviter les contraintes mises sur pied par l’organisation, les individus développent des stratégies pour atteindre leurs buts. Ainsi, l’État du Cameroun étant une organisation sociale bien structurée, régie par des normes et des valeurs, avec son armée, qui est chargée de maintenir la paix et la sécurité dans le pays, limite la marge de manœuvre des terroristes. Ces derniers sont donc contraints de procéder à des enlèvements, au vol de bétail et aux pillages pour pouvoir se ravitailler. L’analyse stratégique permet également d’appréhender la stratégie des éleveurs bovins pour pouvoir sauver leurs vies et ensuite s’adapter au nouvel environnement dans lequel ils se trouvent : en abandonnant leur mode de vie antérieur et l’activité d’élevage au profit d’autres activités, comme les petits commerces, l’agriculture, etc.

En ce qui concerne la théorie de contingence structurelle, elle est une approche qui envisage les organisations comme des entités ouvertes sur l’environnement (Stratégor, 2001). Ce dernier peut être culturel, social, économique, technique ou politique. Dans cette étude, cette approche théorique est utilisée pour montrer comment les éleveurs bovins parviennent finalement à s’adapter et à s’intégrer dans leur nouvel environnement socioproductif et culturel. La théorie de contingence structurelle donne des clés de compréhension qui sont à la base de la reconstruction identitaire des peuples nomades auprès des communautés d’accueil, surtout après la destruction ou la perte de leur cheptel. Plus concrètement, comment passent-ils de l’élevage bovin à une autre activité? Autrement dit, comment s’opère le passage du nomadisme pastoral à la sédentarisation simple ou pastorale?

La méthodologie utilisée

La méthode de recherche est essentiellement qualitative. Le champ social de l’étude est celui de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun et, plus particulièrement, les départements limitrophes à la République fédérale du Nigeria tels que le Mayo Sava, le Mayo Tsanaga et le Logone et Chari. Ces trois localités ont subi des attaques répétées de groupes armés, notamment des adeptes de la secte Boko Haram venant du nord-est du Nigeria voisin. Les effets économiques et sociaux ont été considérables sur la dynamique globale de l’activité pastorale.

Les outils de collecte des données empiriques sont l’entretien, l’observation et les récits de vie. L’échantillon d’enquête a été constitué de 15 éleveurs bovins en activité, dont 10 en situation de sédentarisation pastorale et 5 en activité de transhumance; puis de 35 ex-éleveurs reconvertis partiellement ou totalement dans d’autres domaines d’activité. La technique d’échantillonnage boule de neige nous a permis de constituer progressivement les différents sous-échantillons dans les trois sites de l’enquête. Pour ce faire, 20 individus ont été interrogés dans le Mayo Sava, 20 autres dans le Mayo Tsanaga et 10 dans le Logone et Chari. Des questions leur ont été posées sur les manifestations de l’insécurité transfrontalière, les types de violences subies et ses conséquences dans leur champ d’activité habituel. La thématique de la reconversion professionnelle a, ensuite, été abordée avec d’anciens éleveurs ayant changé d’activité à cause de l’insécurité et des attaques visant les pâturages. Dans le même sens, ceux qui ont été contraints de se sédentariser ont été questionnés sur les processus de leur implantation durable ou temporaire dans les villages et/ou communautés d’accueil, les formes de cohabitation qui en découlent, les logiques de survie et de réinsertion socioéconomique.

Par ailleurs, les récits de vie obtenus parallèlement dans chaque site ont mis à jour la dimension sociobiographique de ces acteurs partiellement ou totalement décapitalisés, ainsi que les répercussions culturelles ou identitaires issues de leur relation avec les populations d’accueil.

La production scientifique sur l’insécurité transfrontalière et la résilience des populations

Plusieurs travaux scientifiques ont été réalisés par des chercheurs et chercheuses, issu·e·s de différentes disciplines des sciences sociales, sur la problématique de l’insécurité dans les zones frontalières. Nous nous sommes intéressés davantage à ceux qui concernent la zone du bassin du lac Tchad. En effet, selon Roupsard (1987), la frontière ouest qui sépare le Cameroun du Nigeria, longue de 1 690 km est la plus importante. La limite entre le Nord-Cameroun et le Nigeria s’étend sur plus de 1 200 km. Du côté du Nigeria, les localités de Banki et Maiduguri sont les principaux pôles où se déroule la quasi-totalité des échanges commerciaux transfrontaliers.

La région de l’Extrême-Nord du Cameroun est la plus pauvre du pays et la moins scolarisée (Rapport INS, 2020, p. 10). D’après une étude de la Banque mondiale (2015, paragr. 2) : « les régions rurales de l’Extrême-Nord et du Nord affichent un taux de pauvreté de 72 % avec une proportion de 55,8 % de populations pauvres tandis que le taux de pauvreté des zones urbaines est de 4,8 % (3,2 % de pauvres) ». La combinaison d’une faible intégration nationale et la négligence historique de l’État ont, depuis longtemps, exposé aux violences et à la circulation des contrebandiers cet espace où se sont socialisés les coupeurs de route, les trafiquants et les petits délinquants. Et pour ne rien faciliter, Mbarkoutou relève que

Le dépeuplement des zones frontalières du Cameroun et du Nigeria s’accompagne d’un envahissement des localités plus sécurisées par les populations en fuite, soit en s’établissant dans les familles d’accueil proches, soit par des installations précaires sur les axes routiers. La régularité des attaques de Boko Haram dans les villages et sur les cibles militaires au Cameroun se solde par des dégâts collatéraux, l’afflux des réfugiés au camp de Minawawou et les problèmes humanitaires (Mbarkoutou, 2014, p. 12).

Guibbaud (2014) montre que les populations sont installées de part et d’autre à l’intérieur de la zone frontalière Cameroun-Nigeria. Elles partagent les mêmes coutumes, les mêmes langues; ce qui facilite la circulation des personnes et des biens entre les deux États. Selon cette autrice, c’est certainement cette libre circulation qui serait à l’origine de l’insécurité au niveau de cette frontière.

Pour Halirou (2008), la perméabilité des frontières et toutes les conséquences négatives qui y sont rattachées semblent découler de la tiédeur, voire de ce qui s’apparente à l’absence de politique des frontières au Cameroun. En effet, depuis l’accession à l’indépendance en 1960, les autorités camerounaises ne se sont pas dotées de programmes de développement des zones frontalières.

Dans une approche sociohistorique, Saibou Issa (2010) met en exergue le rôle des bandits de grand chemin qui opèrent sur les routes des abords sud du lac Tchad. Selon lui, ce banditisme rural tire ses sources aussi bien dans des impératifs de survie que dans les travers de la modernité qui a érigé l’accumulation spontanée du capital en norme et mis des armes sophistiquées entre les mains des malfrats. Ces véritables « seigneurs de la route » tirent parti de l’absence de banques près des marchés frontaliers, de la porosité des frontières interétatiques, de l’insuffisance des forces de sécurité. Pour ce chercheur, la nouvelle forme de banditisme qui se déroule aux confins du Cameroun, du lac Tchad et de la Centrafrique consiste à la prise en otage des enfants des éleveurs par des ravisseurs afin de recevoir comme contrepartie une forte rançon. Il montre, dans ses analyses, comment les pasteurs mbororo sont les principales victimes de ces enlèvements depuis plusieurs années (Saibou, 2006).

Dans le même ordre d’idées, Saïbou Issa présente « l’histoire du banditisme rural dans les steppes et savanes du lac Tchad » (Saïbou, 2010, p. 18). En effet, au cours des années 1980, l’Afrique subsaharienne est confrontée à la criminalité organisée par des groupes de personnes dont l’activité est connue sous l’appellation de « banditisme de grand chemin ». Cette forme d’insécurité, répandue sous le nom familier de « coupeurs de route », s’est rapidement développée dans les steppes d’Afrique centrale, occidentale et orientale. L’auteur mentionne en outre :

Entre la fin des années 1980 et le début des années 2000, le commerce, l’élevage et le transport ont payé un lourd tribut aux coupeurs de route dont les embuscades ont littéralement « coupé » le passage aux marchands, négociants en bétail et autres voyageurs. De nombreuses victimes ont perdu la vie, d’autres ont été délestées de troupeaux entiers, d’innombrables faillites ont été constatées (Saïbou, 2014, p. 9).

En abordant la question de l’insécurité dans le Nord-Cameroun, Seignobos (2011) montre, pour sa part, comment le phénomène de coupeurs de route s’est développé pour devenir une frayeur pour les populations. Il précise ensuite que les efforts déployés par les autorités traditionnelles et le gouvernement à travers les forces de l’ordre dans la lutte contre ce phénomène ont donné des résultats mitigés. Pour cela, il soutient que le phénomène de coupeurs de route résulte de l’insécurité transfrontalière dans le Nord-Cameroun et se manifeste sous diverses formes à travers les enlèvements, les prises en otage des enfants des éleveurs et des guets-apens. Cette activité, qualifiée de génératrice de revenus et relevant de l’industrie du crime, intègre, selon lui, l’économie réelle et passe par d’autres acteurs selon une logique entrepreneuriale au service de l’activité de commerce et de transport (Seignobos, ibid.).

Dans la même veine, Musila (2012) fait une lecture presque similaire de l’insécurité qui sévit dans le bassin du lac Tchad en insistant sur les dynamiques sociopolitiques et économiques de cet espace qui prend en compte le Cameroun, la Centrafricaine, le Niger, le Nigeria et le Tchad. Le mode de production économique y est massivement fondé sur l’élevage bovin et le nomadisme pastoral. Pour lui, l’insécurité transfrontalière dans la zone autour du lac Tchad peut être qualifiée selon cinq phénomènes principaux que sont : le banditisme militaire transfrontalier et le vagabondage des groupes armés; le trafic d’armes légères et de produits de contrebande (carburant, produits pharmaceutiques, véhicules et pièces détachées); le braconnage transfrontalier et le trafic de bétail; le trafic d’êtres humains et de documents d’identité; l’insécurité foncière transfrontalière.

Par ailleurs, Ankogui-Mpoko et al. (2010) pensent que depuis plus d’une décennie, l’insécurité qui prévaut en zones de savane en Afrique centrale compromet la liberté de circuler, notamment pour les pasteurs transhumants. Ils montrent dans leur analyse que cette insécurité influence les déplacements régionaux du bétail, les migrations des pasteurs et menace la sécurité alimentaire. Ils précisent également que la crise économique, les troubles politico-militaires et la libre circulation des armes sont les principales causes identifiées de l’insécurité dans les terroirs du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad. Les acteurs de cette insécurité (bandits de grands chemins, groupes armés incontrôlés, forces de l’ordre, certains agents de l’administration…) trouvent des complicités au sein des communautés concernées et des commerçants de bétail.

Koungou (2014) indique, pour sa part, que les actions terroristes de Boko Haram provoquent des débordements insécuritaires transfrontaliers qui proviennent de l’intrusion et l’infiltration subversives des combattants djihadistes au Cameroun. En brossant le tableau des politiques sécuritaires de l’État, les travaux de ce chercheur permettent de comprendre les actions criminelles et d’évaluer les conséquences qu’elles peuvent avoir sur le plan politique.

Chez les sociologues, on retient remarquablement les travaux de Ntuda Ebodé (2010) et Abé (2016). Le premier auteur évoque la collaboration entre le Cameroun, le Tchad et le Nigeria, qu’il nomme « triangle de la mort » à cause du crime organisé aux frontières de ces territoires. Ainsi, il met en exergue les formes expressives de l’insécurité dans cette zone et les différents engagements de sécurisation. Il met en outre l’accent sur les différents facteurs et manifestations, sans pour autant mentionner les conséquences du crime organisé.

De son côté, Abé (ibid) fait une étude ethnographique de la pratique et de la productivité de la criminalité transfrontalière en milieu rural nord-camerounais. Il montre, dans ses analyses, toute la complexité de ce phénomène, notamment celui des coupeurs de route, sous un angle culturel. D’après lui, l’idéologie culturelle conduit à la couverture de plusieurs actions qui ne sont pas condamnées par les communautés qui y adhèrent, à l’instar du vol chez les Guiziga (Saïbou et Hamadou, 2002). Cela semble justifier pourquoi le phénomène du crime varie de temps à autre dans le Nord-Cameroun et produit des effets dynamiques dans cette société.

La dimension socioéconomique est mise en évidence par Collier et Hoeffler (1998) et Collier (2000), plus précisément à travers la corrélation qu’ils font entre la criminalité et le revenu des populations. Ils ont montré que les pays disposant d’un faible revenu par habitant·e ont un risque plus élevé de conflit. La faible croissance économique augmente également le risque de conflit, car les possibilités de revenus provenant des activités productrices sont diminuées. Ainsi, l’évidence microéconomique suggère que l’augmentation du taux de croissance et du revenu réduit à la fois le risque de conflit. Bien avant, Boutrais (1999) a tenté d’explorer cette piste en faisant une corrélation intéressante entre la « migration forcée » vécue par les éleveurs peuls et la pauvreté issue des vulnérabilités climatiques. Pour lui, « cette catégorie oubliée de migrants forcés » fait aussi face à des sécheresses sahéliennes qui entraînent, dans leurs mouvements, des rapports difficiles entre les éleveurs, les administrations et les populations sédentaires.

Sous le rapport de ce qui précède, comment les éleveurs bovins font-ils face aux effets de l’insécurité ambiante dans la zone frontalière du Cameroun et du Nigeria? Face aux impératifs de survie, quelle forme de résilience développent-ils dans un contexte de crise sécuritaire? L’enquête qualitative menée dans les départements du Mayo Sava, du Mayo Tsanaga et du Logone et Chari, auprès d’un échantillon de 50 éleveurs et ex-éleveurs, a permis d’apporter des réponses à ces questions. Rappelons qu’avant la recrudescence de l’insécurité, ces localités ont été de grands foyers de pastoralisme du fait de l’abondance des pâturages dans les zones rurales, le climat et la proximité géographique avec le marché du nord du Nigeria.

La résilience socioéconomique des éleveurs bovins face à l’insécurité transfrontalière : résultats et discussion

Au Cameroun, surtout dans sa partie septentrionale, l’insécurité ambiante qui sévit dans les zones frontalières avec le Nigeria telles que le Mayo Sava, le Mayo Tsanaga et le Logone et Chari bouscule les dynamiques migratoires et l’activité économique des communautés pastorales en quête de sécurité. De ce fait, l’activité pastorale, telle qu’observée aujourd’hui, est confrontée à de sérieux problèmes de gestion de l’espace et des ressources naturelles. Les attaques de groupes armés, les enlèvements et les prises d’otage, les tueries et le pillage des troupeaux perturbent significativement les pratiques pastorales dans ces localités. Les enquêtes empiriques ont révélé que les éleveurs essaient, tant bien que mal, de développer des stratégies de survie qui aboutissent, pour certains, à la reconversion professionnelle et, pour d’autres, à la sédentarisation et la reconstitution identitaire.

Décapitalisation, logique de survie et reconversion professionnelle

La crise sécuritaire provoque chez les éleveurs des pertes importantes. Des cheptels entiers ont été emportés ou détruits par les ravisseurs. Rares sont ceux qui détiennent encore du bétail bovin en grand nombre. Beaucoup d’éleveurs se retrouvent aujourd’hui en situation de décapitalisation partielle ou totale de leur cheptel. C’est par exemple le cas de Saly qui a perdu un troupeau de 120 bovins à la suite d’une attaque nocturne de Boko Haram en 2017. Il affirme à ce propos :

Les bandits sont arrivés dans la nuit quand je dormais avec ma famille; ils étaient nombreux et armés; ils tiraient des coups de feu un peu partout. […] Ils m’ont attaché avec les bergers quand ma famille a pris fuite. […] Je ne pouvais rien faire, tous mes bœufs ont été emportés vers le Nigeria. […] Je cherche ce que je peux faire maintenant pour nourrir ma famille. On se débrouille dans les champs et ce n’est pas facile (Saly, 50 ans, ex-éleveur dans le Mayo Sava).

À la suite de la perte de son cheptel, l’éleveur se retrouve dans une situation de vulnérabilité économique. Il doit survivre et trouver les moyens pour nourrir sa famille. Dans l’urgence, l’agriculture de subsistance constitue pour la plupart d’entre eux un secteur refuge de prédilection. Elle s’impose à certains comme la seule activité de survie. La cohabitation avec d’autres populations villageoises leur permet de disposer assez rapidement des surfaces cultivables. Ils y cultivent du mil, du maïs, du coton et des légumes. Certains champs leur sont octroyés gratuitement par l’entremise des chefs traditionnels, tandis que d’autres leur sont loués par les propriétaires terrien·ne·s de la localité.

Les observations de Kossoumna Liba’a (2008) sur le processus de sédentarisation des éleveurs mbororo au Nord-Cameroun vont dans le même sens puisqu’il avait déjà constaté que, par le passé, les éleveurs, disposant encore du bétail, se servaient de la vente de leurs animaux pour acquérir les produits vivriers nécessaires à leur alimentation et pour subvenir aux besoins de leur famille. Aujourd’hui, la décapitalisation oblige les éleveurs à se reconvertir en agriculteurs et à exercer d’autres métiers pour produire eux-mêmes ces produits vivriers et se sédentariser (ibid.).

Outre le secteur agricole, le processus de reconversion s’oriente aussi vers des petits métiers qui structurent l’économie rurale et le secteur informel urbain même si l’hypotrophie du système de production ne leur donne pas assez de choix. On y retrouve ainsi le petit commerce (vente de thé, de légumes-feuilles, d’oignons, d’arachide, de colas, etc.), la vente du carburant frelaté, le transport clandestin sur moto, le gardiennage. Quelques-uns se sont reconvertis dans les activités connexes à la commercialisation des produits bovins en devenant des négociants de bétail, des intermédiaires de la vente le jour du marché ou des convoyeurs de bétail.

La diminution des effectifs de troupeaux, conduisant par la suite à leur disparition, et la transformation progressive des éleveurs en agriculteurs ou en commerçants, ont entraîné l’apparition d’une nouvelle exigence pour les éleveurs appauvris qui doivent désormais assurer, pour l’essentiel, leur propre ravitaillement en aliments de base.

On a aussi observé que le désir de reconversion est aussi déterminé par le besoin de recapitalisation. En effet, les éleveurs appauvris par la situation d’insécurité entreprennent souvent de nouveaux métiers qui constituent non seulement une solution de remplacement à l’élevage bovin, mais leur permettent aussi de retrouver probablement leur niveau de revenu acquis dans le passé. Dans ce cas précis, l’objectif est double : pratiquer une nouvelle activité pour la subsistance et chercher, à travers cette activité, à produire suffisamment de ressources financières en vue d’une recapitalisation. Les enquêtes prouvent que certains éleveurs, surtout les jeunes, et ceux exerçant des activités de prestation de service (mercenariat, gardiennage, petit commerce…) sont motivés par le désir de se reconstituer un capital. C’est dans cette perspective qu’un éleveur reconverti nous a déclaré : « l’activité que je mène actuellement (petit commerce) me réjouit dans la mesure où elle me procure des moyens financiers pour subvenir à mes besoins nécessaires et faire une petite économie » (Mahamat, 45 ans, éleveur reconverti au petit commerce à Aissa-Hardé, Mora).

La durée du processus de reconversion des éleveurs peut être longue (plus de 6 mois) ou courte (moins de 6 mois), car elle dépend, d’une part, de la situation dans laquelle se trouve l’éleveur après l’extinction de ses animaux et, d’autre part, des circonstances du moment. Selon les résultats, un éleveur sur dix estime que la reconversion prend du temps; par contre 90 % déclarent s’être reconvertis dans un délai relativement court.

La connaissance de la durée de reconversion s’avère nécessaire : plus la durée de reconversion est longue, plus l’éleveur subit fortement les conséquences de sa décapitalisation. Il est alors confronté à un chômage de longue durée, source de pauvreté accrue et de déséquilibre social. Roselyne et al. (2015) note, en revanche, qu’une reconversion rapide est synonyme d’allègement d’une partie des difficultés liées à la décapitalisation même si la nouvelle activité embrassée par l’éleveur n’est pas très satisfaisante, en termes de génération de revenu et de création de bien-être social.

Par ailleurs, il a été donné de constater que près de 2/3 de ces éleveurs estiment qu’ils ne sont pas du tout satisfaits dans leurs nouvelles activités professionnelles. C’est pourquoi ils disent : « l’élevage bovin reste la meilleure activité ». En revanche, ils ne sont que 40 % à penser que la nouvelle activité leur procure satisfaction.

Les éleveurs reconvertis en agriculteurs (cas du Mayo Tsanaga), bien que satisfaits en majorité de cette nouvelle activité agricole, considèrent que leur reconversion demeure partielle et ils sont, par conséquent, disposés à reprendre l’élevage si les conditions s’amélioraient. Ce même sentiment est partagé par ceux qui ont davantage opté pour les prestations de service dans le Logone et Chari. Toutefois, il reste que cette volonté de retour à l’élevage est subordonnée à une amélioration de la situation sécuritaire dans les pâturages. Enfin, l’enquête a montré que près de 20 % de ces producteurs bovins ont définitivement tourné le dos à la pratique du nomadisme pastoral à cause de divers risques encourus. D’où l’émergence du comportement de sédentarisation chez les éleveurs nomades.

Crise du nomadisme, sédentarisation et reconstitution identitaire

Le terme « sédentarisation » désigne l’évolution des pratiques et des modes de vie des nomades qui passent de la mobilité permanente (nomadisme), avec toute la famille et le bétail, à l’installation dans un territoire où ils construisent des maisons, combinent élevage et activités agricoles saisonnières, envoient leurs enfants à l’école et diversifient leurs activités. Cependant, cette sédentarisation ne remet pas en cause la mobilité d’une partie de la famille et du troupeau durant toute l’année ou à une période précise. La main-d’œuvre familiale ou salariée est donc repartie entre le « territoire villageois fixe », lieu de sédentarisation, et le territoire pastoral afin de diversifier l’accès aux ressources naturelles pour les animaux.

En effet, les raisons qui poussent les éleveurs à se sédentariser sont de plusieurs ordres. On retient la baisse pluviométrique et la sécheresse due au changement climatique, la diminution du cheptel, mais surtout l’insécurité lors de la recherche des pâturages. Ce dernier facteur est apparu comme la variable lourde à cause de l’émergence du mouvement Boko Haram dans les zones frontalières du nord du Cameroun et du Nigeria.

La combinaison de tous ces facteurs a eu un impact considérable sur les migrations pastorales et sur les conditions économiques et sociales des producteurs bovins. Les éleveurs mbororo du Mayo-Sava, du Mayo Tsanaga et du Logone et Chari qui vivent selon un système plus mobile incriminent surtout l’insécurité physique comme l’un des facteurs principaux de leur sédentarisation. Cette dernière s’impose comme un moyen d’adaptation au contexte sécuritaire puisque les pasteurs subissent, au cours de leurs déplacements, des vols de bétail ou l’enlèvement de leurs enfants contre rançon. Ce qui les oblige à se fixer auprès des villages pour bénéficier de leur protection. À partir des questions adressées aux éleveurs, il ressort que la répétition des crises, à intervalles de plus en plus courts, crée une situation de précarité quasi permanente. Les conditions actuelles de leur exercice sont fortement contraintes par les modifications de leur environnement engendrées surtout par la baisse de la pluviométrie et l’insécurité. Comme réponse à ces contraintes, les éleveurs se sont sédentarisés pour marquer leur espace. Une telle réponse révèle la capacité de ceux-ci à s’adapter face à des changements dynamiques : les politiques publiques en matière d’aménagement du territoire pourraient les accompagner.

La sédentarisation a changé essentiellement les pratiques d’alimentation des animaux par les pasteurs. Le système intégré d’agropastoralisme favorise une plus grande intégration agriculture/élevage, tout en restant très dépendant des parcours et des ressources naturelles : la fumure animale est utilisée pour fertiliser les champs et les ressources fourragères stockées par la plupart des unités couvrent une partie des besoins du cheptel au cours de la saison sèche. Ce nouveau mode de vie basé sur la fixation de résidence a permis également aux éleveurs d’améliorer leur habitat par l’utilisation des matériaux durables, d’accéder facilement aux centres de soins et aux centres de formation pour les enfants et d’intervenir dans la vie associative, notamment par la création de Groupements d’intérêt pastoral (GIP). En outre, ce mode de vie leur a permis de diversifier leurs activités génératrices de revenus telles que le commerce, l’artisanat et la pêche.

Nonobstant ces changements, il s’est aussi révélé dans les entretiens et les récits de certains éleveurs un sentiment de déclassement social à la suite de la redéfinition de leur statut socioprofessionnel. Certains ont déclaré qu’ils ne sont plus considérés, comme par le passé, par les membres de leur communauté avec qui ils se sont déplacés. Dans la communauté d’accueil, ils font désormais l’objet de non-considération. Auparavant, grâce à leurs biens, les éleveurs étaient très admirés et respectés dans leur communauté. Leur prise de parole ne faisait pas l’objet de contestation. Mais aujourd’hui, ils sont diminués du fait que leurs opinions n’ont pas assez d’importance dans les décisions finales. Selon notre constat, nous pouvons en déduire que leurs participations aux réunions n’ont pas de valeur, car leur point de vue est discuté et très souvent rejeté. Ils constatent qu’ils sont finalement au même niveau social que les autres membres. Ils se trouvent alors obligés d’adapter leur comportement en fonction des réalités du système local.

Discussion : fin du nomadisme pastoral ou reconstruction identitaire?

Les conséquences économiques et sociales de l’insécurité (Saibou, 2014) suscitent obligatoirement des questions sur l’avenir de l’élevage dans la partie septentrionale du Cameroun, au regard de la contribution de l’Extrême-Nord dans le cheptel national. La pratique de la transhumance, associée à l’élevage bovin, était considérée jusque-là comme « une activité identitaire » chez les éleveurs mbororo. La survie de ce mode de production structuré par de solides « savoirs locaux et endogènes » (Dili Palaï, 2019) est profondément menacée. En étudiant les fonctions capitalistiques de l’élevage, Duteurtre et Faye (2009) soulignent le rôle symbolique de cette activité, « marqueur identitaire » chez certains peuples. Il s’agit par là d’une pratique historique codifiée par la tradition, mais aussi par les normes culturelles transmises à travers les générations. La mobilité des troupeaux détermine également la mobilité géographique des pasteurs avec leurs familles. Étant donné l’importance de tels changements, n’évolue-t-on pas progressivement vers la fin du nomadisme pastoral traditionnel dans les zones frontalières camerounaises en proie à l’insécurité chronique?

À la lumière des résultats obtenus, il ressort principalement que la conjoncture sécuritaire dans les zones frontalières et la survie des éleveurs les poussent à la sédentarisation. Plusieurs d’entre eux ont été contraints à la reconversion professionnelle. Les effets de l’insécurité transfrontalière (enlèvements des populations, tueries et pillages de bétail…) ont provoqué une panique dans les communautés pastorales évoluant dans les villages frontaliers du Nigeria. Ces attaques et la décapitalisation les poussent à quitter leur village en abandonnant la pratique de la transhumance au profit de la sédentarisation dans des localités plus sécurisées. Pour la plupart, c’est la seule solution pour préserver leur vie et le reste du bétail. Il apparaît, dans les récits des personnes interrogées, que le changement d’activité s’impose parfois comme une solution définitive à cause des contraintes structurelles inhérentes à la production bovine. Il s’agit des variations saisonnières. À Méhé dans le Mayo Sava, par exemple, un éleveur nouvellement installé déclare :

Pendant la saison sèche, nous allons prendre le risque de continuer avec l’activité de transhumance, car ici nous avons des difficultés à nourrir et à faire boire le reste de nos bœufs. S’ils ne mangent pas bien, les bœufs ne vont pas se reproduire (Hamadou, 47 ans, éleveur en sédentarisation pastorale).

La continuité de l’élevage intensif dans une localité où les éleveurs se sont nouvellement établis est parfois très vite compromise par la saison sèche. À défaut de pouvoir se déplacer, c’est la fin programmée de l’activité pastorale au profit d’une activité de reconversion.

Conclusion

En définitive, la menace sécuritaire transfrontalière entraîne de nombreuses conséquences sur la pratique de l’élevage bovin dans les zones à risque. Les déplacements des troupeaux vers les pâturages sont dangereux et périlleux. Le bétail bovin est une rente pour les ravisseurs. La peur psychologique des attaques des groupes armés contraint les éleveurs à limiter leur mouvement dans la région. Dans ce contexte, la pratique de la transhumance s’amenuise de plus en plus au profit de la sédentarisation ou du changement d’activité. Ceux qui persistent dans leur activité traditionnelle sont confrontés désormais à d’autres types de problèmes ou de violence, surtout à la suite de la cohabitation avec des peuples sédentaires pratiquant depuis longtemps l’agriculture. Un nouveau type de conflit agropastoral émerge dans ce contexte. Dès lors, on est conduit à s’interroger sur la dimension symbolique et identitaire du pastoralisme dans cette partie du Cameroun, à partir du moment où les éleveurs mbororo, par exemple, sont poussés vers une reconversion professionnelle involontaire dans des terroirs inhabituels.

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Paul Basile Odilon NYET, Université de Maroua –nyetpaul@gmail.com

 OUSMANOU ABDOU, Université de Maroua – abdou.ousmanou@yahoo.fr

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  1. L’activité d’élevage bovin étant essentiellement réservée aux hommes dans la société peule, nous nous abstiendrons de féminiser lorsque l’utilisation du terme renvoie à cette catégorie.

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