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11 Frontières, barrières, limites dans l’architecture et le bâti dans l’imaginaire collectif des peuples de la plaine du Diamaré

HAMADOU

Résumé

La maison est une entité culturelle de l’unité familiale d’un groupe ethnique donné. Elle est conçue et réalisée grâce à des canons culturels, traditionnels et religieux qui sont le reflet du contexte social de l’heure : en temps de paix ou en temps de guerre. L’habitation se déploie et se manifeste au cours du temps et en fonction de l’espace disponible. Les types d’habitation se distinguent les uns des autres par leur façon d’occuper l’espace, les matériaux de construction utilisés, leurs fonctions et le statut dans la société de leurs occupant·e·s.

Mots-clés : architecture bâtie, architecture non bâtie, symbolisme, limites territoriales, interdits culturels.

Abstract

A home is a cultural entity for a family unit in a particular ethnic group. It is planned and built according to the traditions and the religious rules and regulations of each ethnic group. These rules and regulations reflect also the social context during peacetime or wartime when these homes were put in place. A home is the result of its environment through the available building material and the policy of space enhancement. The various types of homes are different from each other according to their ethnic groups, the available spaces or plots of lands and the social status of their owners in the society.

Keywords: built architecture, unbuilt architecture, symbolism, territorial boundaries, prohibited cultural practices.

Introduction

L’architecture est un élément identitaire le plus significatif et le plus expressif dans les sociétés traditionnelles africaines. Elle caractérise et distingue un peuple donné ou un groupe de personnes de diverses origines ethniques vivant dans un même environnement. Cette manière de vivre leur impose un comportement commun pour surmonter les aléas climatiques et le milieu environnemental. Il existe une architecture bâtie, non bâtie et une architecture qui ne sera jamais physique, mais qui existe dans l’imaginaire collectif. C’est une manifestation du vécu quotidien de ces peuples à travers les codes et symboles de la cosmogonie, le culte et le vivre ensemble en rapport avec leurs milieux naturels respectifs. Dans le cadre de ce travail, nous présenterons des cas de figure de cette architecture physique et métaphysique des peuples de la plaine du Diamaré et nous tenterons de les expliquer au cas par cas, surtout pour les grands ensembles ethniques, environnementaux et culturels. Le travail vise ainsi à comprendre les peuples de la plaine du Diamaré à travers leurs différentes architectures qui résultent, d’une part, de la qualité et du type des matériaux qu’offre le milieu naturel et, d’autre part, des cultures et traditions de ces peuples.

En 1894, Siegfried Passarge, le premier explorateur européen à visiter la ville de Maroua, la décrivait comme suit : « Nous n’avions pas encore vu en Afrique une région aussi peuplée… Face à nous se dressait en effet une grande ville de plus de 60 000 habitants, aux concessions dont chacune constituait une forteresse, et pourvue d’une armée d’au moins 10 000 hommes et de plusieurs centaines de cavaliers » (Mohammadou, 1989, p. 118-119). Depuis lors, Maroua a gardé ses traits caractéristiques de ville multiethnique très peuplée, à forte connotation islamique, dont les activités principales sont le commerce, l’agriculture, l’élevage et l’artisanat, entre autres. Les atouts de la ville de Maroua résident dans son passé. De par l’historique de son nom, « territoire de Bi-Marva » en passant par Marva, Marua puis Maroua, on comprend que la ville a hérité d’une histoire de ville de conquêtes interethniques récurrentes et d’une mise en valeur progressive de son environnement soudano-sahélien. La ville présente le paysage urbain le plus agréable du Nord-Cameroun, avec ses avenues ombragées et son habitat de saré (concession clôturée par un mur) en quartiers alignés d’ouest en est, enserrés entre les montagnes de Maroua et de Makabaye et les mayo (cours d’eau temporaires) de Kaliao, Ziling et Tsanaga. La qualité du site est un avantage appréciable non seulement pour les activités touristiques, mais aussi pour l’expansion générale de la ville.

Capitale du département du Diamaré et de la région de l’Extrême-Nord, la ville de Maroua fait face de nos jours à de multiples difficultés telles que l’expansion démographique rapide qui entraîne une urbanisation rapide et souvent incontrôlée de nouveaux quartiers ou quartiers périphériques. La gestion du patrimoine foncier de l’État ou des communautés locales est devenue une grosse épine dans les souliers de la Communauté urbaine de Maroua et de ses trois mairies d’Arrondissement. Si on peut définir l’urbanisation comme un phénomène de concentration croissante de la population dans une ville, qui induit l’effacement progressif du caractère rural d’une zone géographique, il faut noter que ce processus est associé au développement de la civilisation et aux mutations sociales et économiques qu’il entraîne. Tout comme l’histoire de la ville de Maroua elle-même, l’histoire du bâti, l’histoire des styles architecturaux vernaculaires et modernes et de l’urbanisation voulue ou anarchique de la ville de Maroua a connu des mutations importantes.

Types et statuts des villes

Le statut des villes du Cameroun se singularise par un système urbain particulier. On note trois principales catégories de villes. La première est celle des villes précoloniales des cités-États emmuraillées en pays kotoko, à savoir les sultanats de Goulfey, Kousséri, Logone-Birni et Makari, etc., et les cités fondées lors de la conquête peule, au début du XIXe siècle, à l’instar des villes-lamidats comme Banyo, Garoua, Ngaoundéré, Mindif, Wandala, Rey Bouba et Tibati, etc. La ville de Maroua, notre cadre d’étude, était alors plus peuplée que Yola, capitale de la vaste province de l’Adamawa (précolonial). La deuxième catégorie de villes concerne les petites bourgades transformées en villes par le pouvoir colonial. Ce sont des villes moyennes qui sont les plus nombreuses et s’inscrivent dans le cadre de l’économie de traite (arachide, café, cacao et coton, etc.). Au Nord du Cameroun, ces villes sont : Guider, Yagoua, Mokolo, Kaélé et Mora; au Sud et à l’Ouest du pays, l’ensemble de toutes les villes à l’exception de Foumban. D’autres villes ont vu le jour à la faveur des décrets présidentiels ayant transformé des centres ruraux en chefs-lieux administratifs, leur conférant ainsi le statut de ville. Quoiqu’il en soit, dans les années 1980, un certain nombre de petits centres vont se muer en villes, confirmant le caractère dynamique de l’urbanisation au Cameroun (Simeu-Kamdem, 2006, p. 106).

La ville n’est pas seulement un lieu où sont concentrées de nombreuses populations avec des activités liées au statut de ville, mais elle doit avoir un statut socioculturel qui lui confère une valeur intrinsèque en rapport avec son milieu naturel et ses atouts qui vont booster son développement. Comme le dit Georges Balandier dans la préface du livre de Masudi (1978, p. 6), « la ville africaine est encore le lieu des représentations par lesquelles la société et le pouvoir se montrent et se commentent spectaculairement; les palais sont les scènes du pouvoir, les marchés, celles des échanges et des rencontres, les maisons, celles de la vie quotidienne et des forces qui la gouvernent ». Telles sont les activités quotidiennes qui donnent à la ville traditionnelle africaine tout son sens et son originalité et font d’elle une cité digne de ce nom. La ville de Maroua, fondée après les conquêtes peules, doit son développement à son riche passé forgé par les rapports de cohabitation pacifique et/ou conflictuelle entre plusieurs cultures de grands groupes ethniques présents. Les cultures matérielles des Mofou, Guiziga, Peul·e·s et Kanuri, entre autres, sont importantes à mentionner pour bien comprendre la naissance et l’évolution de certains canons architecturaux et les comportements sociaux dans le processus d’« urbanisation » de certains quartiers de la ville de Maroua.

Les principaux styles architecturaux recensés à Maroua

L’une des premières constructions connues dans la ville de Maroua fut la case ronde avec une toiture en paille. Elle fut présente dans la vieille ville et surtout dans les quartiers aux alentours du palais royal. Les maçons locaux, ayant acquis un peu plus d’expérience, construisent des cases carrées avec toiture de paille appelées zaadéré. Les murs comme le toit conique sont très compliqués à réaliser et demandent plus de matériaux de construction et plus de dextérité de la part des mâcons et charpentiers. Ces cases existent encore de nos jours dans les quartiers périphériques de Maroua et dans les maisons des dignitaires autour du palais royal. Elles sont connues pour leur sobriété intérieure et maintiennent une température interne relativement supportable surtout en période de chaleur. Mais, leur défaut est leur vulnérabilité aux attaques des termites et elles sont facilement ravagées par les incendies, surtout dans les quartiers à habitations trop serrées, desservies par des ruelles sinueuses et exiguës. Ces ruelles sont localement appelées loungou. Les Peul·e·s se sont approprié la paternité des techniques de construction de ces cases. Dans la ville de Maroua et dans les villages environnants, comme par exemple à Gayack, à Papata, à Petté, à Balaza Lawane, à Balaza Alkaali, etc., on trouve ces cases qui sont désormais appelées les cases peules.

Après ces deux formes viennent les maisons carrées ou rectangulaires en pisé avec une toiture en tôles avec chambres simples, doubles, triples ou plus, avec des portes en tôles ou en planches à battants extérieurs. Toutes ces chambres ont des portes et fenêtres ouvertes dans la cour interne de la concession. En construisant deux chambres côte à côte, le maçon fait au propriétaire de la maison une économie d’une cloison, un gain en espace et en matériaux de construction. C’est aussi un aspect technique et esthétique qui amène les propriétaires à construire trois ou quatre chambres dans un seul bloc selon les cas. Le plus souvent, ces cases triples ou quadruples sont construites sur les limites des concessions et servent de clôture lorsque le mur mitoyen est long. Un long mur mitoyen construit en argile ne résiste pas à l’érosion des eaux de pluie, car des sections ou les murs entiers tombent après de fortes pluies, d’où la nécessité de construire des chambres à la limite de la concession. Ces chambres permettent aux petites portions restantes du mur de résister. Au niveau de ces portions entre les bâtiments, on construit des cuisines ou des toiles. On note aussi des maisons avec une ou deux chambres internes (salon-chambre). Toutes ces maisons décrites sont construites en pisé pétri monté en colombins ou spirales posés l’un après l’autre, après que la dernière assise eut séché. Ces maisons sont très confortables en période de chaleur, car le mur ne laisse pas passer la chaleur. La charpente du toit, relativement très haute, permet une bonne aération du milieu interne.

Vers les années 1940-1950, l’usage des briques de terre séchées ou cuites fabriquées avec un moule fait son apparition dans les concessions des personnes nanties et dans les bâtiments administratifs tels que les écoles et les dispensaires. Le dimensionnement des maisons permet d’avoir des angles bien droits. Il faut rappeler qu’avant l’usage des briques séchées, les populations locales connaissaient l’usage des briques moulées à la main et séchées au soleil : ce sont les tubali qui ont servi à construire les larges murs des cases à terrasses appelées aussi sifakaré et les murs d’enceinte du palais royal ou des dignitaires du palais. Les personnes nanties ou les fonctionnaires qui ont assez de moyens construisent ces formes sifakaré en copiant les maisons coloniales : salon, chambre, véranda très vaste avec pilonnes de soutènement et un muret d’environ un mètre comme un rempart doté d’une ouverture protégeant la véranda. D’autres vérandas ont des remparts parsemés des trous pour une meilleure aération.

L’apparition et l’usage des matériaux de construction modernes font une différence entre les maisons selon le statut des propriétaires. De ce fait, l’aspect traditionnel lié aux mœurs locales qui faisait une distinction entre le genre et les classes d’âge dans l’utilisation de l’espace va connaître des modifications significatives avec l’avènement des grandes villas construites en matériaux durs et modernes. Les espaces internes et les politiques de mise en valeur de l’espace à l’ancienne vont disparaître au profit de la grande villa qui occupe tout l’espace de la concession, ce qui oblige les habitant·e·s de la maisonnée d’adopter une nouvelle façon de vivre et de se comporter. L’aliénation culturelle entraîne une dépendance à une nouvelle vie copiée chez l’Occident dont la façon de vivre a permis de produire ce nouveau modèle d’habitation avec l’aisance matérielle que procure la villa moderne, ses dépendances et son jardin. La ville, en grandissant, exige l’extension des installations électriques et des canalisations d’eau, des constructions de nouvelles routes et dessertes. Ces extensions ne suivent pas nécessairement face à l’urbanisation galopante, ce qui entraîne des délestages du courant électrique et des suspensions d’approvisionnement en eau courante.

La voirie urbaine et ses problèmes : le non-bâti et ses barrières physiques et psychologiques

Le tracé des routes dans la ville de Maroua présente un plan général en damier. Ces routes sont construites en deux principales phases, puis viennent leurs extensions. La première phase fut tracée par l’administration coloniale pour ses besoins administratifs et pour ouvrir aussi la vieille ville emmurée et bâtie autour du palais royal. Certaines routes principales, notamment celle qui va des services actuels du gouverneur au marché central, en passant par le palais du lamido furent renforcées et élargies sous l’administration de Guy Georgy. Ce dernier avait une étroite collaboration avec le lamido de Maroua, Mohammadou Dahirou (1943-1959) pour l’amélioration des voies principales et de petites dessertes, ainsi que les débuts du tracé de l’actuel aéroport de Maroua-Salak (Hamadou, 2005, p. 231). Parlant de sa collaboration avec le lamido Mohammadou Dahirou, Guy Georgy disait : « Je l’associais, par principe, à mes plans de développement, je lui expliquais longuement la nécessité de moderniser le pays, de tracer de nouvelles routes, de construire un terrain d’aviation, de planter des arbres dans la ville, de créer des dispensaires et des écoles dans les centres ruraux » (Georgy, 1992, p. 1936).

La deuxième phase, celle qui fait la fierté de Maroua, fut réalisée sous l’administration d’Aliou Garga Outsman (1923-2003), premier maire de la ville de Maroua qui a administré la ville de Maroua de juillet 1960 à juin 1967. Les premières routes sont tracées presque à angles droits avec orientation est-ouest pour les principaux axes, lesquels sont plus ou moins parallèles aux lits sinueux des lits des mayo Kaliao, mayo Tsanaga et mayo Ziling. Ces axes est-ouest sont construits en doubles voies et sont goudronnés. Les axes secondaires sont orientés nord-sud allant de la montagne de Maroua vers le mayo Kaliao. Les quartiers Barmaaré, Founangué, Doualaré et Dougoy ont connu une extension récente prolongeant le système en damier de la vieille ville vers l’extérieur. Tous ces axes sont bordés d’arbres en ligne de l’espèce neem (Azadirachta indica). Il y a d’autres espèces comme les caïlcédrats ou acajou du Sénégal (Khaya senegalensis) plantées par l’administration coloniale et les premiers fonctionnaires des services agricoles du Cameroun. Ils sont aussi présents au bord des routes principales et secondaires des quartiers ouest tels que Djarengol Hamadou Dandi, la sortie ouest de Maroua et le quartier Djarengol agricole. Ce dernier quartier est, de nos jours, considéré comme le principal quartier administratif de Maroua. Il abrite entre autres la station agricole et l’École Technique d’Agriculture (services et logements), les services de l’IRAD (services et logements), les délégations régionales des ministères, le FEICOM, l’Hôtel de Ville de Maroua, etc.

Pour lutter contre les inondations, il a fallu aménager des canaux d’écoulement des eaux de ruissellement provenant des montagnes. Il faut donc creuser de vrais ruisseaux et renforcer ceux existant pour collecter ces eaux, car disait-il, respecter le lit d’un cours d’eau ou d’un ruisseau en le renforçant est le meilleur moyen de contrôler l’écoulement des eaux. Dévier leurs lits est dangereux s’il n’y a pas de suivi dans l’entretien de ces canalisations. Il y a un dicton populaire qui dit que « l’eau repasse nécessairement par là où elle est passée, même une seule fois dans l’histoire », et cela peut causer des dégâts pour les populations. C’est ce qui a encouragé la mairie à creuser des rigoles au quartier Doualaré pour drainer les eaux de ruissellement du flanc est de la montagne. Le principal ruisseau, appelé mayel maire (le petit mayo du maire) qui collecte les eaux de petites rigoles, est devenu aujourd’hui un important mayo qui nécessite la construction sur certaines routes de petits ponts. Vu l’importance des eaux et la force du courant, les dalots qui existaient se sont avérés inefficaces.

Le maire Aliou Garga Outsman a aussi creusé une autre rigole pour drainer les eaux du quartier Bongooré, les eaux usées de la prison centrale de Maroua et les eaux des flancs de la montagne avoisinant le siège de l’ancienne mairie et la résidence du gouverneur. Cette deuxième canalisation, enterrée par endroits, traverse des quartiers pour se déverser dans le mayo. En plus des voies de canalisation des eaux et des routes en damier bordées des arbres en ligne à mettre à l’actif de ses innombrables œuvres à la tête de la mairie de Maroua, le maire Aliou Garga Outsman a voulu anticiper pour éviter dans l’avenir des conséquences fâcheuses en développant une pensée et une méthode de gestion de la ville de Maroua. Car, il a compris que l’urbanisme se présente comme la science de l’organisation spatiale et comporte une double face théorique et appliquée. Mieux, c’est l’art d’aménager et d’organiser les agglomérations urbaines et, de façon plus précise, l’art de disposer l’espace urbain ou rural (bâtiments d’habitation, de travail, de loisirs, réseaux de circulation et d’échanges) pour obtenir son meilleur fonctionnement et améliorer les rapports sociaux.

Expansion rapide de la ville

L’aménagement de la ville de Maroua en vue de la fluidité des mouvements de personnes et des biens a toujours été un réel souci de différentes administrations à la tête de la commune urbaine, puis de la communauté urbaine de Maroua. Du tracé des routes à l’aménagement du territoire, en passant par l’initiation et la réalisation des projets de développement, le travail de l’administration municipale et des ministères partenaires fait face à des difficultés financières et des imprévus tels que l’explosion démographique et les crises écologiques (inondations, sécheresse, déboisement, etc.). Les quartiers non lotis et non viabilisés sont occupés par les populations de toutes les couches sociales. Ce sont de nouveaux propriétaires qui sont pour la plupart des personnes qui viennent d’autres villes et villages : exode rural, affectations, personnes retraitées, etc. Il faut tout de même relever que dans ces nouveaux quartiers, les taudis côtoient les villas cossues. Ces terres étaient la propriété des villageois·es et des chefs de quartier. Chacun·e vend ses terres selon ses limites. Personne ne prévoit dans ses terres des dessertes normales et viabilisées comme il se doit. Ces dessertes sinueuses serpentent les quartiers et les propriétés.

Les styles architecturaux et les politiques de mise en valeur de l’espace ont aussi été affectés par l’explosion démographique et l’occupation incontrôlée de l’espace. Malgré l’existence des plans directeurs pour le développement de la ville, les réalisations concrètes ne suivent pas soit par manque de moyens financiers, soit par manque de vision futuriste. La mairie fait souvent appel à des « cabinets spécialisés » pour l’accompagner dans la réalisation de ses projets d’urbanisation. Bien plus, les services publics de l’État, partenaires de la mairie, se distinguent souvent par une lourdeur administrative; ce qui ne permet pas de réaliser à temps des projets adéquats en rapport avec les problèmes de la ville.

Par ailleurs, comme autre difficulté, on peut mentionner les « projets d’État fabriqués »[1] par les services centraux à Yaoundé par des équipes qui ne connaissent pas les réalités et les besoins de la ville, ainsi que son milieu traditionnel et socioculturel. Quelquefois, ces projets arrivent à réalisation quand ils sont dépassés. Pour remédier à ces problèmes, la mairie pourrait, à l’avenir, faire appel aux spécialistes que l’on retrouve entre autres dans les universités d’État, particulièrement celles de Ngaoundéré, de Garoua et de Maroua. Ainsi, les étudiant·e·s, les chercheurs et les chercheuses pourront pointer du doigt les problèmes réels en réalisant des travaux de recherche susceptibles de réveiller les consciences et attirer des partenaires locaux et étrangers. Les universités du Cameroun peuvent être d’un apport certain à l’administration.

Les nouveaux quartiers : une nouvelle forme de politique de mise en valeur de l’espace

En général, les quartiers périphériques de la ville de Maroua ont connu un accroissement rapide et considérable. L’occupation de l’espace, du fait du manque d’investissements tels que les routes, l’extension du réseau électrique et l’adduction d’eau, cause des problèmes dans la gestion actuelle et à venir du patrimoine foncier. Le plus souvent, les populations manquent d’informations utiles en rapport avec leurs droits et devoirs relatifs au plan directeur d’urbanisation de la commune.

Les grandes zones sud, nord, ouest et sud-ouest telles que Makabaye, Godola, Ziling, Miskine et Palar sont par excellence des quartiers favorables à la pratique des jardins maraîchers qui fournissent à la ville de Maroua des légumes et vivres frais (oignons, agrumes, tomates, etc.). Ces produits sont souvent exportés vers Kousseri et Ndjamena. Vu les vastes étendues des vergers et des champs, les délinquants, les enfants désœuvrés et les braqueurs ont élu domicile dans ces lieux qui longent le mayo Tsanaga. Ils opèrent en toute impunité et rendent la vie impossible aux habitant·e·s. De ce fait, on trouve souvent sous les pieds de manguier des coques du muskwari ou mil jaune, mil de contre-saison qui est la base de l’alimentation des populations de l’Extrême-Nord, qui ont visiblement été volés ailleurs et transportés dans ces lieux. Ces bandits volent les épis du mil à des dizaines de kilomètres pour venir les sécher et les battre impunément dans les vergers. Ils ont leur cuisine équipée de très grosses casseroles pour préparer la soupe de viande de mouton ou de chèvre volée.

S’il y avait des routes et de ruelles de dessertes de ces zones trop enclavées, le maraîchage, l’élevage du petit ruminant et l’embauche bovine pratiqués dans ces zones deviendraient des activités bien organisées, hautement rentables et profiteraient mieux à la communauté urbaine qui percevrait davantage de taxes. Les agriculteurs et agricultrices pourraient écouler facilement leurs récoltes et la population grandissante de Maroua pourrait avoir des produits vivriers de bonne qualité à toutes périodes de l’année. Le Fonds national de l’Emploi trouverait une occasion pour inciter l’élite locale et les pouvoirs publics à créer de petites et moyennes entreprises/industries (PME/PMI) pouvant occuper les milliers d’élèves sorti·e·s de l’ÉTACRA (École Technique d’Agriculture) et du CNFZV (Centre National de Formation Zootechnique et Halieutique) de Maroua. L’élevage et l’agriculture sont deux facteurs incontournables pour le développement dans le Nord-Cameroun. Si tous les champs et les vergers étaient occupés par des travailleurs et travailleuses pour rentabiliser ces vastes terres, les voleurs de case et autres bandits et braqueurs n’auraient pas à faire régner leurs lois dans ces lieux. Pour ce faire, la communauté urbaine et les ministères et services concernés par le tracé des routes pourraient délimiter les espaces destinés aux activités agricoles, faire des lotissements pour les habitations, délimiter et tracer les routes en associant les chefs de quartier (djaouro et lawane[2]) dans la gestion et l’application rigoureuse de ces plans, en attendant les fonds nécessaires pour les réaliser dans l’avenir. Ils pourront planter des arbres tels que les neem (Azadirachta indica) pour matérialiser les limites de ces routes. Il se trouve des ONG et des personnes qui ont des moyens et qui veulent investir dans le bâtiment, l’agriculture et l’élevage dans ces zones, mais qui ne savent pas par où passeront les routes, les hypothétiques lignes électriques et les canalisations d’eau. Voilà pourquoi tout est dans l’impasse et le développement de Maroua en souffre.

Conclusion

Le développement de la ville de Maroua et l’amélioration du type d’habitat social ne pourront connaître un succès que si les autorités compétentes mettent en place une feuille de route avec des projets et des programmes d’« urbanisme » ou des Plans directeurs d’urbanisme[3] actualisés et réalisables graduellement et dans un futur proche (voirie urbaine, urbanisme, électrification de nouveaux quartiers, forage des points d’eau, extension des canalisations d’eau, amélioration de l’habitat, commerce et industrie, éducation, culture, etc.). La création de l’Université de Maroua en 2008, qui a contribué à augmenter la population (étudiant·e·s, commerçant·e·s, personnels d’appui et enseignant) dans la ville de Maroua, a rendu nécessaire et urgente l’« urbanisation » des trois arrondissements de la ville de Maroua. Cependant, il faut surtout informer et associer aux projets de développement participatifs les populations locales, les populations cibles, les chercheurs, les chercheuses et les acteurs de la société civile. Une population éduquée et informée rendra moins ardue la tâche des autorités dans leurs activités. Les pays de l’Afrique de l’Ouest connaissent un succès dans la mise en place et l’accomplissement des projets de développement urbains et ruraux parce qu’ils associent et conscientisent les populations concernées de leur importance dans la bonne marche du projet.

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HAMADOU, Université de Maroua – hamadou_sali@yahoo.fr

Références bibliographiques

Hamadou. (2005). Palaces and Residences of the Northern Cameroonian Rulers in the Sixteenth to the Twentieth Centuries [Doctorate]. University of Tromsø, Tromsø.

Mohammadou, E. (1989), Islam et urbanisation dans le Soudan central au XIXe siècle: la cité de Maroua (Nord Cameroun) in Yukawa Takeshi. The Proceedings of International Conference on Urbanism in Islam, 4, Tokyo, The Institute of Oriental Culture, 117-154.

Georgy, G. (1992). Le petit soldat de l’Empire. Flammarion.

Masudi, A. F. (1978). L’architecture en Afrique noire. Cosmoarchitecture. François Maspero.

Simeu-Kamdem, M. (2006). Urbanisation. Atlas du Cameroun. J. A., 106.


  1. C’est à cause de ces projets fabriqués ailleurs que les premiers plans d’urbanisme des grandes villes et capitales africaines ont rencontré des problèmes. À peine construites, ces maisons sont obsolètes et inconfortables. Beaucoup de logements modernes pour les fonctionnaires et agents de l’État étaient construits en étages parce que les autorités avaient voulu avoir des buildings modernes à la hauteur de leur prestige et de leur renommée. Ces étages ont vu leur plancher céder après quelques années sous les coups des pilons des ménagères. Pour les fonctionnaires de cette période, il ne fallait pas construire des maisons en hauteur, mais des concessions plus ou moins à l’africaine étalées horizontalement qui respectent quelques éléments de la culture locale et des modes de vie des populations.
  2. Depuis 2006, nous avons régulièrement mené des enquêtes auprès des chefs de quartiers, des personnalités ressources dans ces quartiers et des potentiels investisseurs. Ces derniers pensent que la Communauté urbaine gagnerait en associant les chefs de quartiers (le pouvoir traditionnel) dans la gestion de l’explosion urbaine des quartiers périphériques de Maroua. Ces chefs de quartiers sont au quotidien au courant de toutes les ventes des parcelles de terre, car ils ont leur personnel qui perçoit pour eux une taxe qui leur revient de droit en fonction de leur rang lors des ventes des parcelles de terre destinées à l’habitation ou à l’agriculture et même pour le pacquage du bétail. Si la communauté urbaine les associe à la gestion des lotissements pour habitat et en les responsabilisant dans le respect de la feuille de route du tracé des routes, le désordre ne serait si embêtant dans la gestion des problèmes fonciers de Maroua.
  3. Ceux qui existent sont obsolètes par rapport à l’évolution rapide des besoins de la ville.

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