Préface

Le livre de Christophe Fotso intitulé Pour une mathématique au service du développement de l’Afrique est un plaidoyer pour « une action thérapeutique d’urgence » face aux taux d’échecs en mathématiques dans l’enseignement secondaire et à la nécessité d’instaurer une culture mathématique en Afrique. Ce plaidoyer pluridimensionnel s’articule autour des aspects suivants :

  1. État des lieux et analyse de la situation;
  2. Épistémologie et didactique des mathématiques;
  3. Enjeux de la recherche en mathématiques;
  4. Influence du contexte socioculturel et notamment linguistique sur le développement des mathématiques;
  5. Interactions des mathématiques avec d’autres disciplines (la place des mathématiques dans l’univers scientifique);
  6. Applications des mathématiques à la résolution de problèmes sociétaux (agriculteurs-éleveurs par exemple).

D’emblée, dans le premier chapitre, l’auteur écrit :

Dans cette sous-région d’Afrique, beaucoup d’efforts devraient donc être faits au niveau du renforcement des structures pédagogiques pour améliorer l’éducation mathématique par le questionnement, la stratégie et la rendre aussi compétitive, c’est-à-dire capable d’innovations et d’inventions.

Pour ce continent, où au commencement, Dieu révéla la science à l’homme près de 2800 ans avant Jésus-Christ – cela s’est passé dans l’Égypte pharaonique, où Thalès et Platon sont allés se faire initier bien plus tard, respectivement autour de 600 ans et 400 ans avant Jésus-Christ – il faut certainement encore commencer par le propos de Galilée, rappelé dans le second chapitre :

La philosophie est écrite dans un immense livre qui se tient toujours devant nos yeux, je veux dire l’Univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. Sans eux, c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur[1] (Galilée, cité par Chauviré, 1980 : 141).

Les mathématiques participent à la formation du citoyen. L’auteur l’illustre très bien par sa belle application à la résolution du problème de voisinage relatif à une chèvre dont la longueur de la corde permet d’aller brouter jusque dans le terrain du voisin (voir le quatrième chapitre). La solution fait suite à une modélisation mathématique qui comporte des droites, des cercles, des triangles, des bissectrices, etc.; le théorème de Pythagore donnant une relation entre les côtés d’un triangle rectangle. Une autre application est le calcul des intérêts composés dans un livret d’épargne, qui illustre l’étude des suites numériques. Christophe Fotso propose enfin, entre autres « problèmes conceptualisés », le problème des litiges fonciers entre éleveurs et agriculteurs. Le but est d’améliorer les contextes d’apprentissage en présentant tout au long du parcours l’utilité de la discipline.

Bien sûr, il y a les problèmes de développement : santé, infrastructures, éducation, agriculture, élevage, environnement… L’Afrique doit multiplier le nombre de ses médecins et de ses ingénieur·e·s, et cela passe par l’augmentation du nombre de garçons et de filles qui embrassent les séries scientifiques. Il faut pour cela travailler à l’attractivité des enseignements de mathématiques qui sont à la base de ces séries. Ceci constitue l’objectif majeur du livre de Christophe Fotso.

Au sujet des ingénieur·e·s dont l’Afrique a tant besoin pour son développement, nous citons Joseph Kayem, ingénieur et professeur d’université, pionnier de l’École nationale supérieure des sciences agro-industrielles de l’Université de Ngaoundéré (Cameroun) : « Les mathématiques sont le subconscient de l’ingénieur et un ingénieur qui ne les possède plus (les mathématiques) n’est plus un professionnel[2]». L’auteur du présent ouvrage motive son propos en évoquant l’impulsion récente en Afrique de l’ingénierie mathématique, notamment par le développement des modèles mathématiques en épidémiologie et de la cryptographie.

Au-delà, Christophe Fotso parcourt les axes de la recherche en mathématiques et ses interactions avec d’autres sciences. En particulier, de nombreuses références sont faites à la linguistique[3]. Il parle alors d’« interdisciplinarité ». Parmi les réalisations remarquables des Africain·e·s en mathématiques, il cite les travaux du professeur Gabriel Nguetseng (Université de Yaoundé I) dans le cadre de la théorie de l’homogénéisation des équations aux dérivées partielles. Ses successeur·e·s sont exhorté·e·s à participer aux applications en génie civil qui sont activement menées sous d’autres cieux sur la base de ces travaux.

Le livre de Christophe Fotso est, pour une grande part, dédié à la didactique des mathématiques. Il se distingue par un grand nombre de propositions pour l’amélioration des pratiques de classe en rapport avec les contextes d’apprentissage. Le troisième chapitre de l’ouvrage traite précisément de l’importance du contexte socioculturel sur le développement des mathématiques. À mon avis, cet aspect n’est pas le plus facile dans des pays où les « langues de l’école » sont les langues héritées de la colonisation.

Dans nos pays où l’échec est plus souvent la règle et où les mathématiques sont au cœur de cette sélection sociale, le présent ouvrage s’impose comme une contribution importante dans la réflexion et la prise de décision pour établir les mathématiques à la place qui leur revient dans un contexte de développement et de cheminement vers l’émergence. À ce sujet, l’auteur annonce un deuxième ouvrage dans lequel il envisage l’apprentissage des mathématiques en relation avec la question du développement de l’Afrique. En attendant, Christophe Fotso livre déjà ici un remarquable ouvrage de référence.

David Békollè, Professeur de mathématiques

Yaoundé, le 13 juillet 2020


  1. Jusqu’au XVIIe siècle, la physique – les sciences physiques – était appelée « philosophie naturelle ».
  2. Autre nom par lequel se désignent les ingénieur·e·s.
  3. Et parmi les différentes branches de cette discipline, nous relevons particulièrement, dans le quatrième chapitre, une interaction entre les mathématiques et la phonétique (matière de troisième degré d’affinité) qui est apparentée à l’acoustique, et de ce fait, aux séries trigonométriques, aux séries de Fourier et aux intégrales.