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Introduction de la troisième partie

Dans le vaste Soudan, le service médical est une mystification.

Lahille, 1910 : 67.

Que retenir?

À partir de 1905, la mise en place de l’Assistance médicale indigène (AMI) en AOF entraîne la création de dispensaires ruraux, en plus des institutions hospitalières qui bénéficiaient déjà à une partie des populations urbaines. L’AMI a été très étudiée mais rarement sous l’angle financier, car le discours colonial la présentait comme étant gratuite. Pourtant, elle était largement sous-financée et ne répondait pas aux besoins multiples de la population. Mais surtout, les bénéficiaires de l’AMI ont aussi été sollicité·e·s pour des paiements directs dans certaines situations. Comme cela a été généralisé plus tard, dans les années 1980-1990, dans les pays appuyés par l’UNICEF et l’OMS, il arrivait que les malades payent les soins dans ces dispensaires, ce qui ne faisait que renforcer les inégalités déjà constatées dans les hôpitaux, le tout au détriment parfois de la santé des populations.

Ainsi, les populations rurales du Sénégal ont toutes contribué au financement de l’AMI, sans qu’elles ne puissent vraiment en bénéficier. L’administration coloniale a en effet imposé une taxe spécifique de 1930 à 1938 avant de l’intégrer en 1939 à l’impôt de capitation (forfait par personne). Ces taxes, régressives, ne tenaient pas compte des capacités à payer des personnes.

Enfin, dès les années 1920, l’idéologie de la performance et des primes à l’activité, mobilisée plus tard par la Banque mondiale et d’autres organisations dans les années 2000, est déjà bien en place. Des primes sont en effet octroyées aux mamans et aux matrones, notamment pour soutenir la politique coloniale de natalité.

Tout comme dans les hôpitaux à Dakar, la santé des populations locales, notamment rurales, n’était pas une priorité à l’époque coloniale, malgré les discours humanitaires ou les satisfécits administratifs. À titre d’exemple, Arthur Vernes et René Trautmann commencent leur rapport de visite en AOF en décembre 1938 et janvier 1939 par une « impression d’ensemble : magnifique. Tout le monde à son poste. Effort superbe ». Ce genre de commentaire tiré des archives coloniales expliquerait-il pourquoi, plusieurs décennies après, Rouanet (2015) affirme dans sa thèse que l’accès aux soins durant la période coloniale était gratuit et que moins de 0,1% du budget de l’AMI en 1931 provenait du paiement des patient·e·s? Une autre source coloniale nous apprend qu’un médecin exerçant à Boké (Guinée) depuis 1866 ne « s’intéressait pas à la population indigène »… (Bulletin du Comité d’études historiques et scientifiques de l’AOF, 1938, XXI : 280). Il est donc important dans cet ouvrage de briser le mythe de l’AMI, relayé notamment par les archives coloniales, en montrant son fonctionnement dans la réalité de ses dispensaires, en plus du service général (hôpitaux et ambulances) ou militaire que nous venons d’analyser.