Introduction de la sixième partie
Que retenir?
Dans cette partie, je montre que les mêmes approches mises au jour pour le Sénégal se retrouvent ailleurs en AOF et dans les territoires de l’Empire français. La présence de la financiarisation de la santé est donc globale, y compris à cette époque. Les archives confirment qu’elle s’est développée dans de nombreux pays de la planète au cours de la période coloniale. Elle a poursuivi son emprise sur nos systèmes de santé jusqu’à maintenant.
Il est toujours délicat de conclure une histoire aussi longue, surtout face aux défis permanents de disposer de sources fiables, détaillées et corroborées par des spécialistes de l’époque (Fauvelle-Aymar, 2022). L’analyse que je propose dans cet ouvrage, sans être produite par un historien, cherche cependant à contribuer modestement à cette histoire originale. J’ai fait tout mon possible pour m’assurer de la validité des sources et des données, ainsi que tenter d’assembler les pièces du puzzle comme le propose Fauvelle-Aymar (2022). En outre, me concentrant sur des aspects presque uniquement financiers, j’ai pris un peu de distance avec les défis des analyses historiques sur les maladies ou le recours aux soins où il faut employer les archives coloniales avec prudence tant elles sont remplies de biais idéologiques, culturels et racistes ( Ngalamulume, 2012). Mais j’ai pu aussi confirmer combien les biais culturels, pour ne pas évoquer le racisme de l’époque (Peiretti-Courtis, 2021) étaient aussi incorporés, non seulement dans les corps (Fassin, 2006), mais aussi dans la comptabilité, les finances, la prévention, la perception du risque ou de la solidarité, à l’image de tous les empires coloniaux (Frémeaux, 2012; Vrooman, 2023). Il n’y avait évidemment aucune raison d’en douter, mais cette étude permet de le montrer dans un champ encore peu exploré et confirme donc l’ampleur et la profondeur des préjugés à l’égard des Autres. Nous verrons dans cette dernière partie de l’ouvrage que les choix de l’époque coloniale semblent perdurer à propos des instruments financiers des systèmes de santé et donc des catégories sociales. Cette permanence de l’héritage colonial s’inscrit, encore aujourd’hui, dans la perpétuation des catégories « raciales » ou racialisées lors des soins, comme au Burkina Faso (Belaid, Cloos & Ridde, 2017) ou des pratiques de recherche en santé mondiale (Quashie, 2019; Ridde, Fillol, Kirakoya-Samadoulougou & Hane, 2023).
Pour l’Afrique de l’Ouest, au moins quatre thèses sur les politiques de santé durant la période coloniale au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Togo confirment mon analyse sur le manque de financement pour le secteur de la santé (Alonou, 1994; Domergue-Cloarec, 1986; Hien, 2022; Touré, 1991). En outre, deux récentes études sur l’Algérie confirment aussi parfaitement la tendance de mes résultats (Clark, 2021; Kitts, 2024) que je mettrais en perspective dans cette dernière partie de l’ouvrage.
Entrons maintenant dans le détail de la présence des instruments de financiarisation des soins dans les autres pays de l’Empire français, et au-delà. Il ne s’agit évidemment pas d’écrire un nouvel ouvrage sur ces sujets pour chacun des pays concernés (ce qui devrait être entrepris dans de nouvelles études), mais de fournir quelques exemples empiriques pour confirmer la circulation de ces idées et donner du crédit à l’hypothèse d’une généralisation de la financiarisation durant la période coloniale.