Introduction
Florence Piron
En 1672, dans sa pièce Les femmes savantes (1672), Molière fait dire ceci à son personnage Chrysale :
Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu’une femme étudie et sache tant de choses.
Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants,
Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens,
Et régler la dépense avec économie,
Doit être son étude et sa philosophie.
Nos pères, sur ce point, étaient gens bien sensés,
Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez
Quand la capacité de son esprit se hausse
À connaitre un pourpoint d’avec un haut de chausse.
Ce point de vue d’un « bon bourgeois » du 17e siècle sur les femmes qui voulaient étudier, apprendre et penser a certainement inspiré Joseph de Maistre qui, en plus, sentait une pointe de danger dans le goût de certaines femmes pour la science ou la pensée :
Quant à la science, c’est une chose très dangereuse pour les femmes. On ne connaît presque pas de femmes savantes qui n’aient été ou malheureuses ou ridicules par la science […] Les femmes qui veulent faire les hommes ne sont que des singes; or c’est vouloir faire l’homme que de vouloir être savante.
Joseph de Maistre (1808), Lettres et opuscules inédits, 2 vol., Paris, A. Vaton, 1861.
Pourtant, à l’époque de Molière et de Maistre ont vécu des femmes remarquables qui ont réussi à contribuer de manière significative au patrimoine scientifique ou littéraire de l’humanité : Sophie Germain et Mary Anning, par exemple, qui sont présentées dans le tome 1 de Femmes savantes, femmes de science, mais aussi Anna Maria Sibylla Merian et Olympe de Gouges dans le présent tome 2. À ces femmes savantes du XVIIIe siècle et des siècles précédents, telle Christine de Pisan aussi évoquée dans ce livre, s’ajoute une liste sans cesse croissante de femmes de science, de lettres ou d’intellectuelles de tous les continents qui ont fait évoluer le savoir de manière marquante ou qui, œuvrant en science et en littérature, ont contribué au bien commun grâce à un engagement social, politique ou éthique remarquable.
Malheureusement, ces femmes sont peu connues et peu visibles dans l’espace public ou dans la mémoire collective, même celle des scientifiques. C’est dans le but de mieux faire connaitre de formidables femmes de lettres et femmes de science parfois oubliées que l’Association science et bien commun a lancé au printemps 2014 son projet d’une série de livres participatifs. Le tome 1 est paru en septembre 2014, le tome 3 s’annonce pour l’hiver 2016.
Son but? Proposer de brefs portraits de femmes savantes et de femmes de science, accompagnés de références pertinentes, pour donner aux lecteurs et lectrices l’envie d’en savoir plus.
La méthode? La science citoyenne, c’est-à-dire le recours au savoir, à la curiosité et à la plume de personnes passionnées de science et d’histoire, qu’elles soient ou non des spécialistes, pour préparer les portraits. Des 21 personnes qui ont contribué à ce collectif, quatorze sont des femmes et des hommes désireux de faire connaitre une femme qui les inspire, alors que sept ont rédigé leur chapitre dans le cadre d’un séminaire de maîtrise en vue d’une publication initiale dans le livre Citoyennes. Portraits de femmes engagées pour le bien commun (2014, Éditions science et bien commun).
Le tome 3 accueillera d’autres portraits! Une liste de plus de 200 noms attend les propositions d’autrices et auteurs.
Les 22 portraits proposés dans ce deuxième tome sont classés par ordre chronologique. À la différence de plusieurs autres anthologies (voir la bibliographie), les femmes présentées ici proviennent de plusieurs continents et de disciplines très variées, incluant la philosophie et les sciences sociales. Plusieurs sont mortes depuis longtemps ou ne sont plus actives en recherche scientifique, mais d’autres sont encore au travail, avec une contribution à la science ou au bien commun qui semble déjà significative.
Les femmes présentées dans ce livre ne sont pas seulement des scientifiques « performantes », des premières de classe ou des détentrices de records. Ce sont des femmes courageuses, qui ont parfois dû affronter l’ordre social dominant, le scepticisme, les moqueries ou l’indifférence de leur entourage et de leurs collègues. En plus de leur travail intellectuel et scientifique, certaines de ces femmes ont choisi de s’engager politiquement, de militer pour un monde plus juste, plus équitable, développant parfois de remarquables talents littéraires qu’elles ont mis au service des causes qui leur tenaient à cœur.
Comme l’ont noté plusieurs spécialistes des rapports entre les femmes et les sciences, de tels récits de vie peuvent être utiles à ceux et celles qui sont à la recherche d’idées pour attirer davantage de femmes dans les disciplines universitaires où elles sont encore minoritaires (technologie, mathématiques, philosophie).
Mais ces récits proposent aussi des modèles, des manières de faire de la science qui ne peuvent plus se limiter au modèle du chercheur masculin en blouse blanche enfermé dans son laboratoire ou sa tour d’ivoire. Ces femmes de science et de lettres savent que la science fait partie de la société et que choisir la science, c’est à la fois changer la société et changer la science, la rendre plus sensible aux enjeux sociaux réels.
Bonne lecture!