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3 Anna Maria Sibylla Merian, artiste et naturaliste (1647-1717)
Catherine Simard
Reconnue d’abord pour ses talents d’artiste-peintre florale, Anna Maria Sibylle Merian a contribué, par ses œuvres et ses méticuleuses observations, au domaine de l’entomologie et plus largement, à celui de l’écologie. Aujourd’hui, elle est considérée comme étant un personnage marquant de l’histoire naturelle pour y avoir consacré sa vie, notamment à l’avancement des connaissances sur la métamorphose d’insectes et de petits animaux.
Jeunesse entre dessin et observation du vivant
Anna Maria Sibylle Merian est née le 2 avril 1647 à Francfort-sur-le-Main. Elle est l’enfant aînée de Matthäus Merian (1593-1650), graveur et éditeur suisse reconnu et de Johanna Sibylla Heim. Elle est issue d’une famille qui se distingue par une longue tradition en arts visuels, composée d’illustrateurs et d’éditeurs. Dès son jeune âge, elle développe un intérêt certain pour le dessin, la peinture et la gravure. Suite au décès de son père (1650), sa mère épouse Jacob Marrel (1614-1681), artiste-peintre floral. Il se chargera de la formation artistique de Merian. Toujours intéressée par la nature qui l’entoure, ses motifs floraux sont agrémentés de chenilles, de papillons et d’autres petits animaux afin de les rendre plus vivants!
La passion d’Anna Maria ne se limite pas à l’art en lui-même et à l’esthétisme des représentations; elle se prolonge dans son désir de mieux connaître ses « petits sujets » tirés de la nature. Démontrant une vive curiosité pour les insectes, elle constituera, à l’âge de 13 ans, ses premiers élevages de vers à soie collectés dans les campagnes de Francfort. Elle dessine et annote soigneusement leur régime alimentaire, leur comportement et les moments de leur métamorphose. Merian a ainsi harmonisé ses intérêts pour la création artistique et pour l’étude de processus naturels caractérisant ces petits organismes.
Je me suis dans ma jeunesse employée à la recherche des insectes. J’ai d’abord commencé avec les vers à soie dans ma ville natale de Francfort-sur-le-Main. J’ai ensuite établi que, à partir des autres chenilles, se développaient beaucoup de beaux papillons de nuit ou papillons de jour, comme à partir des vers à soie. Cela m’entraîna à recueillir toutes les chenilles que je pouvais trouver pour observer leur transformation (Avant-propos dans Metamorphosis Insectorum Surinamensium, 1705).
À l’âge de 28 ans, Anne Maria épouse le peintre Johann Andreas Graff (1636-1701) de Nuremberg, rencontré dans l’atelier de son beau-père. Elle sera mère de deux filles, Johanna Helena (née en 1668) et Dorothea Maria (née en 1678). Entre 1665 et 1670, elle enseigne la peinture et la broderie. Ses gravures de fleurs sont utilisées comme modèles pour les travaux à aiguilles et de broderies, publiés dans Neues Blumenbuch (Nouveau livre de fleurs, 1680).
Métamorphose et cycle de vie
À partir d’observations directes, initiées à Nuremberg, Merian travaille à illustrer des représentations détaillées de la métamorphose des chenilles et papillons européens et à l’identification des plantes hôtes sur lesquelles seront déposés les œufs et ensuite consommées par la chenille. Après cinq années de prise de notes, ses premières études entomologiques sont publiées dans une série de trois volumes, Der Raupen wunderbare Verwandlung und sonderbare Blumen-nahrung (La chenille, merveilleuse transformation et étrange nourriture florale). Le premier volume, publié en 1679, s’adresse aux « amateurs du jardinage » et « amateurs d’art ». Constitué de cinquante gravures, on y retrouve également des données sur la durée des stades larvaire à la forme adulte et d’insectes associés à leur chenille et plantes hôtes. Le deuxième volume, publié en 1683, est composé également de cinquante gravures. Dans le premier volume, Merian met l’emphase sur le ver à soie en tant qu’espèce bénéfique pour l’humain alors que dans son deuxième, elle traite plutôt de l’abeille. Par la suite, ayant déménagé à Francfort et vivant près de marais, la métamorphose de la grenouille a capté son intérêt et est source de nouvelles notes d’études.
Sans articuler nettement le concept du cycle de vie, Merian met en exergue cette idée que toutes les chenilles se développent à partir d’œufs, pourvu que les papillons se soient reproduits d’abord (traduction libre). Cette nouvelle perspective d’un possible « cycle de vie » est en dissonance avec la vision de l’époque, depuis Aristote, selon laquelle les insectes apparaîtraient spontanément sous l’égide de la génération spontanée.
De retour à Amsterdam (1692), où, graduellement, elle prend goût à la liberté de l’esprit de la ville, elle accède à plusieurs collections publiques et privées de coquillages, d’insectes et d’animaux naturalisés, à des jardins naturels et à des publications en entomologie (Blankaerts, Goedaert, Swammerdam, Mouffet, Jonston et van Leeuwenhoek). Elle développe également de nouveaux contacts, notamment avec Frederik Ruysch, médecin et anatomiste, Caspar Commelin, directeur du Jardin botanique d’Amsterdam, ainsi qu’avec Levinus Vincent, collectionneur de coquillages et d’insectes. Ces collections d’espèces exotiques naturalisées présentent des limites qui contribueront à alimenter le désir de Merian de les observer vivants. En effet, il est difficile de préciser leur « vraie » couleur et leur dynamique de vie, éléments essentiels pour cette dernière et inconnus jusque-là! Quels sont leurs stades de transformation, leur milieu de vie et leur interaction avec celui-ci? Ces questions mèneront Merian vers le Nouveau-Monde, dans la jungle humide du Suriname, colonie néerlandaise d’Amérique du Sud.
« Voyage scientifique » dans le Nouveau-Monde
Dans un contexte où les femmes sont exclues du domaine des sciences et surtout, des voyages scientifiques plutôt rares à l’époque, Anna Maria Sibylla Merian est un cas unique. Divorcée depuis 1691, c’est par intérêt personnel qu’à l’âge de 52 ans (1699), Merian, en compagnie de sa fille cadette, part pour le Suriname. Elle est à la recherche de spécimens d’insectes exotiques vivants; on ne sait rien à leur sujet! Elle est donc désireuse de les observer vivants et non sous leur forme naturalisée, retrouvée dans les collections muséales ou privées. Femme entreprenante, elle finance son voyage scientifique par l’entremise d’une bourse de la ville d’Amsterdam, en vendant ses peintures et ses collections d’insectes et en lançant une souscription pour l’ouvrage qu’elle aspire accomplir au terme de cette aventure rêvée. Ce type d’expédition scientifique, basé sur l’observation directe, est presque totalement inconnu à cette époque et fait sourire ses contemporains.
Allant jusqu’à s’aventurer dans la jungle par des chemins improvisés à coup de machette, Merian documente diverses espèces d’insectes et d’animaux en étudiant leur milieu, les stades de leur métamorphose, leurs « vraies » couleurs, leurs sources de nourriture et, selon les cas, leurs parasites et prédateurs. Toutefois, éprouvée par le climat tropical et atteinte du paludisme, elle retourne à Amsterdam après un séjour de 21 mois qui sera tout de même très fructueux. Ses multiples observations et sa collection composée d’une variété de plantes, d’insectes et d’animaux exotiques, ses notes et croquis ont fait de cette aventure risquée un succès scientifique!
Son héritage dans l’histoire naturelle
Pionnières en ce domaine, ses contributions en entomologie et en botanique se retrouvent dans Der Raupen wunderbare Verwandlung und sonderbare Blumen-nahrung (volume 1 et volume 2), ainsi que dans une œuvre post mortem datant du 13 janvier 1717. En effet, à la suite du décès d’Anna Maria Sibylla Merian, sa fille cadette publie le troisième et dernier volume qui débute par la représentation d’une couronne de fleurs ornées des différents stades de développement de la fourmi. Tout comme les précédents, ce volume se démarque par des études et illustrations de fourmis, considérées comme un insecte « utile », notamment pour nourrir les canaris (animal de compagnie). Ses expériences et observations datant de son enfance, ses investigations subséquentes sur les divers insectes et animaux européens, ses études dans la jungle du Suriname et son talent reconnu d’illustratrice ont contribué au déploiement de son œuvre magistrale Metamorphosis Insectorum Surinamensium, publié à Amsterdam en 1705. Dans cette œuvre unique, Merian associe les mots aux illustrations d’organismes tropicaux. Cet ouvrage est composé de soixante gravures et présente le développement et la reproduction de diverses espèces allant du ver à l’araignée, aux fourmis, à la grenouille, du serpent jusqu’aux lézards! On retrouve également de nombreuses études sur les chenilles, les vers et les asticots qui, après une mue, changent de couleur et de forme en poursuivant leur métamorphose jusqu’au stade de papillon, coléoptère, abeille ou de mouche. Également, on y retrouve des données d’observation sur des plantes hôtes et des animaux tropicaux soutirées de ses longues heures de marche dans la jungle du Suriname.
Entre art et science
Atypique pour son temps, Merian a réalisé des études détaillées et longitudinales sur le processus de la métamorphose chez les insectes et les petits organismes. Non seulement elle est pionnière dans la manière d’étudier ces petits organismes, mais le sujet en soi, c’est-à-dire des insectes pour la plupart méprisés et nommés « bêtes du diable », est peu habituel! Première à réaliser des portraits remarquables d’insectes herbivores, de leurs plantes hôtes, de leurs parasites et prédateurs naturels, elle est précurseur d’une vision microcosmique de la nature.
Par ailleurs, Merian a introduit l’idée du « cycle de vie » en faisant état des différents stades de développement, notamment du papillon, en passant par l’œuf et la chrysalide sans omettre l’étape de reproduction! Enfin, par l’entremise de ses multiples observations et représentations graphiques, elle a contribué à l’idée d’une chaîne alimentaire et d’interactions entre vivants, champ d’études méconnu à cette époque.
Reconnaissance
De son vivant, Anna Maria Sibylla Merian a été la première naturaliste à entreprendre une expédition pour le Nouveau-Monde et à dépeindre diverses espèces d’insectes et de plantes tropicales avec précision et selon leurs couleurs naturelles tout en considérant leurs interactions avec leur milieu de vie. Sa principale œuvre, Metamorphosis Insectorum Surinamensium, a été saluée par certains de ses contemporains naturalistes européens. Néanmoins, elle demeura longtemps ignorée en raison du caractère original de son œuvre qui semble davantage de nature artistique que scientifique, de sorte que certains la désigneront comme femme « non savante » en la qualifiant plutôt d’artiste, de mère, de femme au foyer et d’amante de la nature.
Ses contributions exceptionnelles à la science, par l’ensemble de son œuvre, ont influencé et inspiré les générations futures de naturalistes, dont Carl von Linné et René-Antoine Ferchault de Réaumur, et tout spécialement les entomologistes. Le monde scientifique a reconnu sa contribution importante au développement des savoirs et plusieurs espèces ont été baptisées en son honneur dont Metellina merianae (1763), Salvator merianae (1839), Pseudi merianae (1841).
Révolution en image
Enfin, ses illustrations se distinguent par leur finesse et leurs couleurs. D’une part, la grande valeur artistique de son travail lui a valu d’être l’instigatrice d’un nouveau standard dans la qualité des illustrations scientifiques au cours du 18e siècle. D’autre part, ses dessins sont, encore aujourd’hui, considérés comme des chefs-d’œuvre et prisés par de nombreux collectionneurs!
Références
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http://www.humanite-biodiversite.fr/article/maria-sibylla-merian-metamorphose (page consultée le 23/04/2015)
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Wikipédia (2015), « Anna Maria Sibylla Merian »
En ligne. http://fr.wikipedia.org/wiki/Anna_Maria_Sibylla_Merian (page consultée le 10/04/2015)