8 Rachel Carson, biologiste marine et écrivaine (1907-1964)
Antoine Blanchard
Avec son livre Le Printemps silencieux, Rachel Carson a marqué à la fois l’histoire du journalisme scientifique et du mouvement écologiste en dénonçant les ravages des pesticides. Touche-à-tout, passant de l’océanographie à la pollution agricole, cette Américaine a su mettre sa plume au service d’une grande curiosité scientifique.
Enfance et scolarité
Née en 1907, Rachel Carson passa son enfance entourée de 65 acres de forêt et de champs, dans le domaine familial de Pennsylvanie. Très proche de sa maman qui l’initia à la nature et à l’écriture, elle en fit ses deux passions : en publiant sa première histoire à l’âge de 10 ans puis en étudiant l’anglais avant de s’orienter vers la biologie, en suivant un Master en zoologie à l’Université Johns Hopkins. Tout en écrivant dans le journal et la revue littéraire de l’école, elle s’exerça à la recherche en travaillant au laboratoire de biologie marine de Cape Cod, sans obtenir de thèse.
Au service de l’administration américaine
Rachel Carson entra alors au US Bureau of Fisheries comme biologiste aquatique junior, mais ses talents d’écriture furent rapidement mis au service des scripts d’émissions de radio, puis de manuels sur la protection de l’environnement et les ressources naturelles, jusqu’à ce qu’elle fut nommée en 1947 rédactrice en chef des publications du Bureau of Fisheries, devenu US Fish and Wildlife Service.
Premiers livres scientifiques
En parallèle, Rachel Carson exprima son amour de la mer dans deux livres qui lui vaudront un certain succès (Cette mer qui nous entoure est traduit en 30 langues et reste pendant plus de 30 semaines en tête des ventes aux États-Unis). En 1952, elle quitta son travail et se fit construire une petite maison d’été sur la côte, dans le Maine. Son troisième livre, un guide de la faune et de la flore marines publié en 1955, fut jugé « magnifiquement écrit et techniquement correct » par le New York Times.
Le Printemps silencieux
Ayant notamment reçu une lettre d’amis racontant que le DDT était en train de tuer les oiseaux de leur refuge, Rachel Carson se mit à travailler sur cette question que personne ou presque ne se posait. Compilant une documentation extrêmement riche (sa bibliographie fait 55 pages), elle déclara plus tard :
Plus j’en savais sur l’utilisation des pesticides, plus j’étais horrifiée. Je me suis rendu compte qu’il y avait là de quoi écrire un livre. Ce que j’ai découvert, c’est que tout ce qui comptait le plus pour moi en tant que naturaliste était menacé et que je ne pouvais rien faire de plus important.
Après quatre années de travail, elle publia Le Printemps silencieux pour mettre en garde contre un monde où les oiseaux auraient disparu des campagnes.
Réactions hostiles
Sa publication en feuilleton dans le New Yorker déclencha immédiatement la réplique farouche de ceux qui ne voulaient pas ou n’avaient pas intérêt à reconnaître le danger des pesticides. Cette campagne de dénigrement, probablement financée par l’industrie chimique mais à laquelle participèrent des institutions scientifiques réputées comme l’American Medical Association, joua de ce qu’elle était une femme pour l’accuser d’hystérie, lui reprocher de miser sur l’émotion, et mettre en cause ses compétences comme scientifique. En France pourtant, c’est nul autre que Roger Heim, le directeur du Muséum National d’Histoire Naturelle et président de l’Académie des sciences, qui en écrivit la préface.
En tous cas, le livre rencontra un immense succès (plus de 500 000 exemplaires vendus aux États-Unis), et déclencha une prise de conscience : le grand public était prêt à entendre ce que Rachel Carson avait à dire.
Vie familiale
Rachel Carson ne s’est jamais mariée, expliquant en plaisantant à moitié qu’elle avait suffisamment de responsabilités, et a entretenu une amitié fidèle avec les femmes qui ont compté dans sa vie, comme sa professeure de biologie, son agent littéraire et sa voisine. À presque 50 ans, à la mort de sa nièce, elle adopta son petit-neveu âgé de 5 ans.
Maladie et décès
Pendant qu’elle écrivait Le Printemps silencieux, Rachel Carson dut subir une mastectomie et une radiothérapie. Dix-huit mois après la publication du livre, elle mourut d’un cancer du sein. Ironiquement, son livre pointe du doigt les liens entre cette maladie et l’exposition aux substances chimiques.
Postérité
Il y a un avant et un après Le Printemps silencieux : les médias, les scientifiques, les hommes et femmes politiques (dont le président Kennedy lui-même qui mandata une commission pour examiner les faits relatés dans le livre) ne pouvaient plus ignorer la cause écologique. Les apparitions télévisées ou publiques de Rachel Carson assirent son image de scientifique posée et sérieuse, loin de l’hystérique que décrivaient ses opposants. Si bien qu’en 1970 fut créée l’Agence américaine pour la protection de l’environnement, et en 1974 le DDT fut interdit aux États-Unis.
Œuvres principales
Carson, Rachel L. (1952), La Vie de l’océan, (P. de Lanux, trad.), Paris, Amiot-Dumont (ouvrage original publié en 1941 sous le titre Under the Sea Wind, New York, Oxford University Press)
Carson, Rachel L. (1975), Cette mer qui nous entoure, (C. Delavaud, trad.), Paris, Stock (ouvrage original publié en 1951 sous le titre The Sea Around Us, New York, Oxford University Press)
Carson, Rachel L. (1957), Là où finit la mer. Le rivage et ses merveilles, (A. de Cambiasy, trad.), Paris, Amiot-Dumont (ouvrage original publié en 1955 sous le titre The Edge of the Sea, Boston, Houghton Mifflin Company)
Carson, Rachel L. (1963), Le Printemps silencieux, (J.-F. Gravand, trad.), Paris, Plon (ouvrage original publié en 1962 sous le titre Silent Spring, Boston, Houghton Mifflin Company)
Carson, Rachel L. (1965), The Sense of Wonder, New York, Harper & Row
Distinctions et hommages
Al Gore, ancien vice-président des États-Unis et prix Nobel de la paix, déclara :
Rachel Carson’s landmark book offers undeniable proof that the power of an idea can be far greater than the power of politicians. (…) Rachel Carson was one of the reasons I became so conscious of the environment and so involved with environmental issues.
- Presidential Medal of Freedom
- Médaille d’or de la New York Zoological Society
- John Burroughs Medal
- Médaille d’or de la Geographical Society of Philadelphia
- National Book Award
- Achievement Award, American Association of University Women
- Audubon Medal, National Audubon Society
- Cullum Geographical Medal, American Geographical Society
- Spirit of Achievement Award, Albert Einstein College of Medicine
Références
Brooks, Paul (1998), Rachel Carson: The Writer at Work, San Francisco, Sierra Club Books (ouvrage original publié en 1972 sous le titre The House of Life: Rachel Carson at Work, Boston, Houghton Mifflin Company)
Gore, Al (1994), “Introduction”, in Carson, Rachel L., Silent Spring, Boston, Houghton Mifflin Company.
http://clinton2.nara.gov/WH/EOP/OVP/24hours/carson.html
Lear, Linda J. (1997), Rachel Carson: Witness for Nature, New York, Henry Holt & Co.
http://www.washingtonpost.com/wp-srv/style/longterm/books/chap1/rachelcarson.htm
Stoll, Mark (2012), « Rachel Carson’s Silent Spring, A Book that Changed the World ». En ligne.
http://www.environmentandsociety.org/exhibitions/silent-spring/overview
Leonard, Jonathan Norton (1964), « Rachel Carson Dies of Cancer; Silent Spring Author Was 56 », The New York Times, 15 avril.
http://www.nytimes.com/books/97/10/05/reviews/carson-obit.html