2 Mary Anning, paléontologue (1799-1847)

Philippe Baraduc

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Mary Anning découvrit à 12 ans le premier fossile connu d’un Ichtyosaure long de 9m, sur la côte de Lyme Regis dans le sud de l’Angleterre. Cette pionnière de la paléontologie découvrira également le premier squelette d’un Plésiosaure, ainsi que du premier Ptérosaure anglais.

Le poisson lézard

En 1811, Mary et son frère Joseph découvrirent le premier fossile complet d’un Ichtyosaure, un reptile marin âgé de 200 millions d’années qui ressemble à un dauphin avec un long nez pointu.

Cet hiver-là, Joseph tomba sur un crâne de 120 cm de long. Les enfants crurent tout d’abord que c’était la tête d’un crocodile mais l’œil était trop gros, de la taille d’un beignet. Quelques mois plus tard, Mary découvrit le reste du squelette après une forte tempête au même endroit. Henry Hoste Henley l’acheta et le revendit au célèbre collectionneur londonien William Bullock.

Cette importante découverte fut publiée dans Philosophical Transactions of the Royal Society en 1814 par Sir Everard Home qui fournit une description et un dessin du fossile qui n’a pas encore de nom. C’est le conservateur du British Museum Charles Konig qui lui donna le nom Ichtyosaurus ou poisson lézard quand il en fit l’acquisition.

Thomas Birch

La découverte de Mary était l’aboutissement d’un long apprentissage auprès de son père. Toute la famille Anning participait à la chasse aux fossiles le long des plages au pied des falaises pour les revendre aux touristes. Quand leur père Richard décéda de la tuberculose en 1810, les Anning se retrouvèrent sans ressources et endettés. La chasse aux fossiles devint alors un travail à temps complet pour Mary et Joseph.

Mary avait l’œil et la technique pour extraire des fossiles recherchés. Ses talents étaient très appréciés des collectionneurs dont Thomas Birch qui lui en achetait régulièrement. L’année 1820 ayant été fort mauvaise pour les Anning, Birch décida de leur venir en aide. Il mit aux enchères sa propre collection de fossiles « au bénéfice de cette pauvre femme et de son fils et de sa fille de Lyme, qui ont trouvé la plupart des plus belles pièces qui ont été soumises à l’investigation scientifique… Je ne retrouverai jamais ce dont je vais me séparer, mais en le faisant j’ai la satisfaction de savoir que l’argent sera bien dépensé ».

Cette vente rapporta 400£ à son propriétaire et permit de mettre à l’abri du besoin la famille Anning.

Le Plésiosaure

Mary put se consacrer pleinement à des recherches plus conséquentes et découvrit ainsi un squelette presque entier de Plésiosaure en 1821, une découverte qui confirmait les descriptions faites par le paléontologue britannique William Conybeare à partir de fragments qu’il avait découverts. Ce fossile, acheté par le duc de Buckingham, fut mis à la disposition des membres de la Société Géologique de Londres afin qu’il soit décrit et dessiné. Deux ans plus tard, Mary découvrit un deuxième squelette de Plésiosaure. Voici ce qu’en dit Constant Prévost dans sa « Note sur le gisement des ossements fossiles d’Ichthyosaures et de Plésiosaures dans les couches du Lias de Lyme-Regis », parue dans le Bulletin des Sciences de 1824 par la Société Philomathique de Paris :

Le plus bel échantillon de la même espèce de Plésiosaure, après celui dont nous venons de parler, est celui que possède maintenant le Muséum d’histoire naturelle de Paris; nous avons presque été témoin de la découverte qui en fut faite sur la plage de Lyme-Regis par des matelots de ce petit port : ceux-ci, après l’avoir extrait avec tout le soin possible, sous la surveillance de miss Mary Anning, venaient de la céder à cette dernière, lorsque nous visitâmes ce lieu. Nous avons été assez heureux pour pouvoir profiter d’une occasion aussi favorable d’être de quelque utilité aux savants de notre pays, et nous avons fait hommage au Muséum d’anatomie comparée, d’une pièce unique qui aurait pu toujours manquer à sa belle collection sans le hasard qui nous a fait devancer les amateurs et les savants anglais. À l’exception du cou et de la tête qui manquent, le reste du corps est presque entièrement conservé; et cette partie a même sur le fossile du duc de Buckingham cet avantage, que les vertèbres dorsales ne sont pas déplacées.

Dans la même note, il parlait en ces termes de Mary :

Cette jeune anglaise, par son zèle et son intelligence, a su créer avec ces objets un commerce aussi utile pour la science qu’il est honorable et lucratif pour elle. Elle nous a permis de prendre un dessin que nous nous sommes empressés de communiquer à Conybeare et à Cuvier. L’Ichtyosaure qu’il représente est presque complet, et il avait au moins douze pieds de longueur, des dents fines et très courtes sur des mâchoires grêles, étroites, longues de plus de deux pieds.

Quelques années plus tard, en 1828, Mary découvrit un squelette de Ptérosaure, un reptile volant, le premier spécimen trouvé hors d’Allemagne. Exposé au British Museum, il fit sensation auprès du grand public.

Espèces éteintes

Les découvertes de Mary Anning attestèrent finalement l’hypothèse de l’extinction d’espèces inconnues, hypothèse suggérée dès la fin du XVIIIe siècle par le naturaliste français Georges Cuvier – il y a eu « l’âge des reptiles », un âge où les reptiles régnaient en maître – une expression reprise en titre d’une publication par le paléontologue britannique Gideon Mantell en 1831, dans laquelle il exposait les preuves d’un temps géologique où des reptiles géants parcouraient la terre, les mers et le ciel.

Mais comme cela remettait en cause tous les dogmes religieux admis en Europe, l’idée que des espèces aient pu vivre sur terre avant les Hommes ne satisfaisait pas. En effet, jusqu’alors, il était admis que Dieu avait créé tous les êtres vivants au moment de la Création il y a 4 200 ans et en 6 jours et que rien n’avait changé depuis Noé et le déluge. Il était impensable que des espèces vivantes aient pu s’éteindre et disparaître complètement de la surface de la terre.

Bien avant le XIXe siècle, on avait déjà trouvé des os ou des squelettes bizarres, qui avaient suscité des questionnements. Mais on en déduisait que ce squelette appartenait très certainement à une espèce vivant dans une partie inexplorée de la Terre.

La nature particulièrement étrange des squelettes découverts par Mary Anning mais aussi par d’autres paléontologues de l’époque, comme Gideon Mantell, par exemple, qui découvrit le premier squelette d’Iguanodon en Angleterre, donna un sévère coup aux arguments religieux.

Interactions avec la communauté scientifique

Les années 1824 et 1825 apportèrent à Mary Anning un retentissant succès avec les découvertes successives d’un Plésiosaure, un grand reptile marin, d’une Bélemnite complète avec son sac d’encre qui ressemblait à un calmar, d’un Ptérosaure, d’un poisson entre le requin et la raie nommé Squaloraja et d’un Plésiosaure d’une nouvelle sorte.

De nombreuses autres découvertes de moindre importance se retrouvèrent dans les musées ou chez des collectionneurs sans que, la plupart du temps, son nom ne soit mentionné.

Il en est de même pour les articles scientifiques publiés par les géologues basés sur des spécimens qu’elle leur avait vendus. Son nom n’apparaissait pas.

Au moins deux faits expliquent cette absence de reconnaissance : Mary était une femme et issue des classes populaires. La Société géologique de Londres ne donnait pas la possibilité aux femmes d’en être membre et ne les autorisait pas à assister aux assemblées, même en tant qu’invitée. Issue des classes populaires, Mary ne pouvait prétendre à aucun métier scientifique.

Malgré tout, Mary Anning reçut le respect de ses pairs en 1830 lorsque la British Association for the Advancement of Science lui octroya une rente annuelle grâce à la bienveillance de son vieil ami William Buckland, paléontologue et géologue.

Quand elle tomba gravement malade en 1847, la Société Géologique de Londres organisa une souscription auprès de ses membres pour subvenir à ses dépenses et le tout jeune musée du comté du Dorset la fit membre honoraire.

Le naturaliste américano-suisse, Louis Agassiz, particulièrement impressionné par sa rencontre avec Mary en 1834, nomma deux espèces de poissons fossiles de son nom, Acrodus anningiae et Belenostomus anningiae. Il fit connaissance de Mary lors de sa visite à Elizabeth Philpot qu’il relate dans son ouvrage sur les poissons fossiles

J’ai vu dans la collection de miss E. Philpot trente-quatre espèces nouvelles de poissons …. Ne pouvant rester que quelques jours à Lyme-Regis, miss Philpot a bien voulu consentir à me laisser emporter toutes ces espèces pour que je puisse les décrire en détail. Cette collection m’a été d’autant plus précieuse, que miss Philpot et Mary Anning ont pu m’indiquer avec certitude quels sont les ichthyodorulithes qui correspondent aux différents types de dents.

Il donna le nom Eugnathus philpotae à une espèce de poisson fossile en hommage à Elizabeth.

Elizabeth Philpot

Les sœurs Philpot, Elizabeth, Mary et Margaret, s’installèrent à Lyme Regis en 1805. Elles étaient connues pour leur collection de poissons fossiles, collection étudiée par de nombreux géologues comme William Buckland, William Conybeare ou Henry de la Beche.

Elizabeth Philpot se lia d’amitié avec la petite Mary Anning et alla souvent avec elle à la chasse aux curiosités, malgré leur différence de classe sociale et leur différence d’âge.

Elizabeth encouragea Mary à lire des livres de géologie et à comprendre la science qui se cachait derrière les fossiles qu’elle ramassait.

Mary succomba à un cancer du sein à l’âge de 47 ans.

Hommages

Des membres de la Société Géologique décidèrent de lui rendre hommage. Ils firent ériger un vitrail à sa mémoire dans l’église St Michael de Lyme Regis avec l’inscription suivante : « Ce vitrail est dédié à la mémoire de Mary Anning, membre de cette paroisse, décédée le 9 mars 1847, et érigé par le vicaire et des membres de la Société Géologique de Londres pour commémorer son apport et sa pertinence dans l’avancement de la géologie, sa générosité et sa vie intègre. »

Henry De la Beche, président de la Société Géologique, rédigea un éloge qu’il lut à une réunion de la société. Cet éloge fut inscrit dans le rapport de la réunion, un honneur réservé jusque-là à ses membres, uniquement des hommes jusqu’en 1904.

Des espèces fossiles, dont le crustacé Ostracod Cytherelloidea anningi, le reptile thérapside Anningia, et le mollusque bivalve Anningella, portent ces noms en son honneur.

Quant à la collection de fossiles des sœurs Philpot, on peut l’admirer au musée de l’Université d’Oxford. Un musée Philpot, maintenant connu sous le nom de Lyme Regis Museum, fut construit à Lyme Regis en l’honneur des trois sœurs par leur neveu Thomas Philpot en 1900.

Actuellement, un grand nombre de collectionneurs poursuivent l’œuvre de Mary Anning. Certains sont en communication avec des experts mondiaux, d’autres se contentent de garder ou de vendre leurs fossiles. Cependant, tous ont un rôle important à jouer, car ces experts locaux, par leur patientes recherches, aboutissent à de nombreuses et importantes découvertes chaque année.

Sans leurs efforts, de nombreux spécimens rares, voire uniques, seraient perdus à cause des ravages de la mer.

Références

Article de presse, «Mary, Elizabeth et Tracy, trois femmes puissantes»
http://www.sudouest.fr/2010/06/13/mary-elizabeth-et-tracy-trois-femmes-puissantes-115730-4692.php

Catherine Dufour, 2014, Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses, Editions Fayard. À travers des biographies de femmes, Catherine Dufour donne envie de s’intéresser à toutes sortes de métiers pas toujours considérés comme “féminins”.
http://www.babelio.com/livres/Dufour-Guide-des-metiers-pour-les-petites-filles-qui-ne-v/575540

Francis Duranthon, 2004, Histoires de dinosaures Editions Bréal. Mêlant histoire des sciences, biographies de chercheurs, anecdotes et précisions scientifiques, Histoires de dinosaures présente les principaux débats qui animent la paléontologie contemporaine dans un style vivant qui les rend accessibles à un très large public.
http://www.editions-breal.fr

Google fait de Mary Anning sa reine d’un jour! » – Magazine français Le Point
http://www.lepoint.fr/culture/mary-anning-lady-fossiles-fete-ses-215-ans-avec-google-21-05-2014-1826222_3.php

Hugh Torrens, Mary Anning (1799-1847), traduit par Marie Rennard.
http://www.swans.com/library/art18/marier64.html

Joan Thomas, Curiosity Toronto : McClelland & Stewart, 2010, 409 p

La Lady du jour: Mary Anning, la paléontologiste pionnière
http://www.assemblagerequis.com/?p=18128

Les Géologues célèbres : Mary Anning
http://www.paleomania.com/article-3652910.html

Mary Anning, la découvreuse
http://a-little-bit-dramatic.skyrock.com/3214792199-INTERMEDE-HISTOIRE-LX.html

Mony, Olivier, «Entretien avec Tracy Chevalier sur La jeune femme aux fossiles»
http://www.payot.ch/fr/selections/payot-l%27hebdo-/juin-2010-les-meilleurs-livres-de-l%27-eacute-t-eacute-/entretien-tracy-chevalier-la-jeune-femme-aux-fossiles-

Musée de Lyme Regis
http://www.lymeregismuseum.co.uk/

Page Wikipedia sur Mary Anning
http://en.wikipedia.org/wiki/Mary_Anning

Podcast « Ça flotte ou ça coule? » : Émission de sensibilisation à la culture scientifique animée par Docteur Bubble en direction des 10-17 ans. Un podcast avec des vrais morceaux de science dedans!
http://docbubble.eklablog.com/emission-04-c24298251

Tracy Chevalier, Prodigieuses créatures, Editions Quai Voltaire/ La Table ronde, 2010.
http://www.dinosauria.org/blog/2012/05/09/roman-prodigieuses-creatures-la-vie-romancee-de-mary-anning/

William A.S. Sarjeant, The Three Mary Annings, Department of Geological Sciences, University of Saskatchewan
http://www.whaton.uwaterloo.ca/waton/s008.html

BBC News – Audio slideshow : Jurassic woman
http://www.bbc.co.uk/news/science-environment-11590505

BBC – A history of Lyme Regis in 10 objects from the museum
http://news.bbc.co.uk/local/dorset/hi/people_and_places/history/newsid_8562000/8562617.stm

BBC – Mary Anning’s fossil extraction tool is in Lyme Regis
http://news.bbc.co.uk/local/dorset/hi/people_and_places/history/newsid_8504000/8504085.stm

BBC – History of the World in Dorset
http://news.bbc.co.uk/local/dorset/hi/people_and_places/history/newsid_8453000/8453870.stm

BBC – Today – She sells sea shells on the shore
http://news.bbc.co.uk/today/hi/today/newsid_8228000/8228234.stm

BBC News | ENGLAND | ‘Jurassic’ coast tipped as world wonder
http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/england/1692307.stm

BBC News – Jurassic Coast Cultural Olympiad festival in Lyme Regis
http://www.bbc.co.uk/news/uk-england-dorset-17951553

BBC News – Fossil hunter Mary Anning celebrated in Lyme Regis
http://www.bbc.co.uk/news/uk-england-dorset-14987193

BBC News – Ichthyosaur fossil find returns to Lyme Regis
http://www.bbc.co.uk/news/uk-england-hampshire-14430230

BBC News – Ichthyosaur marine reptile fossil goes on display
http://www.bbc.co.uk/news/uk-england-dorset-14386635

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