Vers une politique territoriale de l’ESS en Haïti
Introduction
L’économie sociale et solidaire (ESS) représente une opportunité majeure pour le développement territorial en Haïti. Elle permet de structurer les initiatives locales, de renforcer l’inclusion économique des populations vulnérables et de valoriser les ressources endogènes des territoires (Providence 2022). Cependant, l’ESS ne peut pleinement jouer son rôle que si elle est intégrée dans une politique territoriale cohérente et adaptée aux réalités locales.
Jusqu’à présent, les politiques publiques haïtiennes en faveur de l’ESS ont été fragmentées et peu adaptées aux spécificités des territoires. L’absence d’une approche territorialisée a freiné la structuration des coopératives, l’accès aux financements et l’intégration des initiatives solidaires dans les circuits économiques locaux et nationaux. Pourtant, plusieurs expériences, tant en Haïti que dans d’autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes, montrent que le développement de l’ESS peut être un levier puissant pour réduire les inégalités territoriales et renforcer la résilience des communautés.
L’ESS repose sur des dynamiques de coopération et de solidarité ancrées dans les territoires. Elle se développe principalement à travers les coopératives agricoles, les mutuelles d’épargne, les initiatives communautaires et les réseaux d’échange informels. Ces structures sont particulièrement présentes dans les milieux ruraux et périurbains, où elles pallient les défaillances des marchés traditionnels et l’absence de services publics adaptés.
L’adoption d’une politique territoriale de l’ESS permettrait de :
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Adapter les cadres réglementaires et institutionnels aux réalités locales.
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Renforcer les infrastructures économiques et sociales nécessaires à l’essor des initiatives solidaires.
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Faciliter l’intégration des coopératives et des entreprises sociales dans les chaînes de valeur régionales et nationales.
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Améliorer la coordination entre les acteurs publics, privés et associatifs.
Ce chapitre propose une réflexion sur les moyens d’intégrer l’ESS dans une politique territoriale en Haïti, en s’interrogeant sur :
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Comment adapter les politiques publiques aux spécificités locales pour favoriser le développement de l’ESS?
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Quels dispositifs institutionnels et financiers peuvent être mis en place pour renforcer l’implantation de l’ESS sur les territoires?
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Quels rôles les collectivités locales, les coopératives et les acteurs associatifs peuvent-ils jouer dans la mise en œuvre d’une politique territoriale de l’ESS?
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Quelles stratégies inspirées d’autres pays pourraient être appliquées en Haïti pour structurer l’ESS au niveau territorial?
L’analyse s’organisera autour de trois axes principaux :
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Les enjeux de la territorialisation de l’ESS en Haïti : état des lieux des dynamiques locales et des besoins en structuration.
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Les stratégies et dispositifs pour une meilleure intégration territoriale de l’ESS : mécanismes de gouvernance locale, financement et infrastructures.
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Les expériences réussies dans d’autres pays et les leçons pour Haïti : analyse comparée avec les politiques territoriales de l’ESS en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Ce chapitre s’appuiera sur des études de terrain, des expériences locales et des modèles internationaux pour proposer une feuille de route pour une politique territoriale de l’ESS en Haïti, favorisant une meilleure structuration et une expansion durable de l’économie solidaire à travers le pays.
Section 1. Le rôle des collectivités territoriales et des acteurs locaux dans le développement de l’ESS en Haïti
L’Économie sociale et solidaire (ESS) repose sur des dynamiques territoriales et une forte implication des acteurs locaux. Elle s’appuie sur des structures décentralisées telles que les coopératives, les mutuelles d’épargne et de crédit, les associations locales et les entreprises sociales. Dans un pays comme Haïti, où les inégalités territoriales sont marquées et où l’État central peine à assurer un développement économique équilibré, les collectivités territoriales et les acteurs locaux ont un rôle clé à jouer dans la promotion de l’ESS.
Les expériences internationales montrent que les territoires qui réussissent à structurer un modèle d’ESS efficace sont ceux où les collectivités locales sont impliquées dans :
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La coordination des initiatives locales.
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L’accompagnement des structures de l’ESS par des formations et des financements.
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La création d’un cadre institutionnel favorisant l’émergence de l’ESS au niveau local.
Cette section analyse le rôle que les collectivités territoriales et les acteurs locaux peuvent jouer pour structurer une politique territoriale de l’ESS en Haïti, en s’appuyant sur des références théoriques et des expériences comparées en Amérique latine et dans les Caraïbes.
1. La décentralisation en Haïti : un cadre à renforcer pour l’ESS
La Constitution haïtienne de 1987 a consacré, dans ses articles 61 à 87, le principe de décentralisation administrative, politique et financière de l’État, avec pour objectif de renforcer l’autonomie des collectivités territoriales (communes, départements, sections communales) et d’en faire des acteurs clés du développement local. Ce principe a été réaffirmé dans plusieurs textes législatifs et politiques ultérieurs, notamment la Loi-cadre sur la décentralisation (2006) et le Plan national de décentralisation (Providence 2022).
1.1 Un processus de décentralisation inachevé
La Constitution haïtienne de 1987 a instauré un processus de décentralisation administrative, visant à accorder plus d’autonomie aux collectivités territoriales (communes, départements, sections communales). Cependant, ce processus reste incomplet et peu opérationnel, ce qui limite la capacité des collectivités à jouer un rôle structurant dans le développement économique local.
Les principaux défis du cadre institutionnel haïtien :
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Manque de ressources financières et humaines : les municipalités haïtiennes disposent de budgets très faibles, rendant difficile la mise en œuvre d’initiatives économiques locales.
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Absence de cadre législatif clair sur l’ESS au niveau local : aucune loi ne confère aux collectivités un rôle précis dans le développement de l’ESS.
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Manque de coordination entre les différents échelons territoriaux : les municipalités, les conseils départementaux et l’État central travaillent souvent de manière isolée.
Dans ce contexte, le rôle potentiel des collectivités territoriales dans le soutien à l’ESS reste largement sous-exploité, faute de cadre stratégique, de volonté politique nationale et de moyens d’action autonomes.
1.2 Pourquoi un rôle accru des collectivités territoriales est-il essentiel pour l’ESS?
Dans plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes, les collectivités territoriales jouent un rôle actif dans l’ESS en :
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Soutenant la création et le développement des coopératives et des mutuelles locales;
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Facilitant l’accès aux financements et aux ressources pour les entreprises sociales;
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Favorisant la mise en réseau des acteurs locaux de l’ESS pour mutualiser les compétences et les infrastructures.
En Haïti, les collectivités territoriales pourraient être des acteurs clés pour structurer l’ESS à condition de recevoir des compétences et des moyens adaptés.
2. Les collectivités territoriales comme catalyseurs de l’ESS
2.1 Définir des stratégies locales de développement de l’ESS
Les municipalités et les conseils départementaux peuvent structurer des stratégies locales adaptées aux réalités de chaque territoire en mettant en place :
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Des plans de développement de l’ESS intégrés aux politiques locales (agriculture, artisanat, tourisme durable).
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Des dispositifs d’incubation et de formation pour accompagner les porteurs de projets ESS.
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Des partenariats avec des ONG, des universités et des institutions internationales pour renforcer l’expertise locale en ESS.
Exemple : Le modèle brésilien des « Incubateurs d’ESS »
Au Brésil, plusieurs municipalités ont créé des incubateurs spécialisés dans l’ESS, où les porteurs de projets bénéficient d’un accompagnement technique, juridique et financier. Ce modèle pourrait être adapté en Haïti, notamment pour soutenir les coopératives agricoles et les entreprises sociales dans les zones rurales (Zimmer et Cherfem 2015).
2.2 Mobiliser des financements locaux pour l’ESS
L’un des principaux défis en Haïti est le manque de financements publics pour les initiatives de l’ESS. Les collectivités peuvent jouer un rôle en facilitant :
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L’accès à des fonds de développement local dédiés aux initiatives solidaires.
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La mise en place de financements participatifs et de partenariats public-privé pour renforcer les projets ESS.
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L’accès à des subventions internationales pour soutenir l’ESS à l’échelle locale.
Exemple : Le Fonds Local de l’ESS en Colombie
En Colombie, certaines municipalités ont créé des fonds locaux dédiés au financement des entreprises solidaires, en collaboration avec des banques et des institutions internationales. Haïti pourrait s’inspirer de ce modèle en créant des guichets municipaux de financement pour l’ESS (Gilles et Tadjudje 2019).
2.3 Intégrer l’ESS dans les marchés publics locaux
Les collectivités territoriales peuvent encourager l’ESS en réservant une part de leurs achats publics aux coopératives et entreprises sociales :
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Mise en place de quotas d’achats publics pour les structures de l’ESS (ex. : cantines scolaires fournies par des coopératives agricoles locales).
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Favoriser la commande publique pour des projets de développement durable et socialement responsables.
Exemple : Le programme « Compras Públicas Sustentáveis » en Uruguay
Ce programme a permis d’intégrer les entreprises de l’ESS dans les marchés publics, renforçant ainsi leur viabilité économique. Haïti pourrait adopter un programme similaire en réservant une partie des commandes publiques aux entreprises solidaires locales (Gilles et Tadjudje 2019).
Malgré ces limites, les collectivités territoriales disposent d’un potentiel stratégique unique pour accompagner le développement de l’économie sociale et solidaire à l’échelle locale :
a) Proximité avec les dynamiques de terrain
Les communes, notamment dans les zones rurales et périurbaines, sont en prise directe avec les réalités économiques locales : elles connaissent les associations actives, les groupements de femmes, les coopératives, les zones de production, les marchés populaires. Cette connaissance fine des acteurs et des territoires leur permettrait de concevoir des politiques de soutien adaptées, ciblées et co-construites.
b) Cadres de concertation territoriale
Les collectivités peuvent jouer un rôle de facilitation du dialogue entre les acteurs économiques locaux : product·eur·rice·s, commerçant·e·s, associations, institutions religieuses, ONG, services techniques déconcentrés. En instaurant des espaces de concertation permanente (forums locaux ESS, commissions de développement, plans communaux participatifs), elles peuvent aider à structurer une gouvernance économique plus démocratique.
c) Appui logistique et administratif
Même sans grande autonomie budgétaire, les collectivités peuvent mettre à disposition des espaces publics pour les marchés, offrir un soutien logistique aux initiatives collectives (transport, stockage, organisation d’événements), faciliter la formalisation administrative souple (reconnaissance des groupements, délivrance de certificats, soutien aux démarches coopératives), ou accompagner les démarches de plaidoyer des structures locales.
d) Effet de levier institutionnel
Les collectivités peuvent jouer un rôle d’interface entre les acteurs locaux et les partenaires techniques et financiers (ONG, agences internationales, État central), en portant des projets collectifs à dimension ESS, en cofinançant des projets de coopératives, ou en négociant des conventions tripartites avec la société civile et l’État.
3. Le rôle des autres acteurs locaux dans la structuration de l’ESS
En parallèle des collectivités, les acteurs locaux de la société civile jouent un rôle structurant dans la mise en œuvre de l’ESS à l’échelle des communautés. Il s’agit notamment :
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Des associations de femmes qui organisent des tontines, des groupements d’achat ou de commercialisation;
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Des coopératives agricoles ou artisanales, qui mutualisent les moyens de production, de transformation et de vente;
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Des groupements communautaires d’épargne-crédit, des mutuelles de santé, des associations de product·eur·rice·s;
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Des organisations de base (OB, CBO) actives dans la gestion d’infrastructures communautaires, de jardins collectifs ou de marchés solidaires.
Ces structures, bien que souvent informelles ou sous-dotées, constituent une infrastructure sociale essentielle à la survie économique des territoires. Elles développent des pratiques de solidarité, d’auto-organisation et de gouvernance collectives qui correspondent pleinement aux principes de l’ESS (démocratie économique, utilité sociale, ancrage territorial).
Elles sont aussi des laboratoires d’innovation sociale, où s’expérimentent des pratiques alternatives : circuits courts, production agroécologique, finance solidaire, distribution communautaire de biens de base. Mais faute de reconnaissance institutionnelle, elles peinent à pérenniser leurs activités, à accéder aux financements publics, ou à participer aux processus de planification locale.
3.1 Les organisations de la société civile et les ONG
Les ONG et les associations locales jouent un rôle crucial dans :
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L’accompagnement des entrepreneurs solidaires à travers des formations et du mentorat;
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Le plaidoyer pour une reconnaissance institutionnelle de l’ESS au niveau local et national;
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La structuration des circuits de distribution et des filières de commerce équitable.
Exemple : L’accompagnement des coopératives par Fonkoze en Haïti
Fonkoze soutient les coopératives rurales haïtiennes en facilitant leur accès aux financements et aux marchés, un modèle qui pourrait être renforcé avec un appui institutionnel plus structuré.
3.2 Les universités et les centres de recherche
Les institutions académiques peuvent :
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Contribuer à la formation des acteurs locaux de l’ESS;
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Produire des études et des données sur l’impact de l’ESS à l’échelle territoriale;
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Expérimenter des modèles innovants d’entrepreneuriat solidaire.
Exemple : Les laboratoires d’innovation sociale en Amérique latine
En Argentine et au Mexique, plusieurs universités ont mis en place des laboratoires d’innovation sociale, où chercheurs et entrepreneurs travaillent ensemble sur des solutions adaptées aux besoins des territoires (Gilles et Tadjudje 2019).
L’intégration de l’ESS dans une politique territoriale en Haïti nécessite une implication active des collectivités locales et des acteurs de terrain. Pour y parvenir, il est essentiel de :
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Donner aux collectivités territoriales des compétences et des ressources adaptées pour structurer l’ESS localement;
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Créer des fonds de développement locaux dédiés aux entreprises sociales et aux coopératives;
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Encourager l’intégration de l’ESS dans les marchés publics locaux;
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Renforcer la collaboration entre collectivités, ONG, universités et entreprises solidaires.
Ces actions permettraient de structurer durablement l’ESS en Haïti, en favorisant une croissance économique plus inclusive et territorialisée, au service du développement durable et de la résilience des communautés locales.
Quelques expériences locales méritent d’être soulignées
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À Hinche (Plateau Central), plusieurs groupements de femmes et de jeunes ont mis en place un réseau de distribution de produits agricoles en partenariat avec des écoles et centres de santé. Avec l’appui de la mairie, ils ont pu utiliser un espace public comme dépôt communautaire;
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À Camp-Perrin (Sud), une coopérative agroécologique bénéficie de l’appui du Conseil communal pour l’organisation de formations et la participation à des foires agricoles régionales. Une taxe locale sur les activités agricoles a été affectée au fonds de développement de la coopérative;
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Dans la commune de Limonade (Nord), des organisations communautaires ont mis en place un marché solidaire périodique, avec l’appui technique d’une ONG locale. Le marché permet à des product·eur·rice·s locaux d’écouler leurs produits à des prix équitables, tout en favorisant les échanges non monétaires (troc, partage).
Ces expériences montrent qu’il est possible de développer une gouvernance territoriale solidaire, où les collectivités jouent un rôle de soutien sans captation, et où les acteurs locaux sont co-product·eur·rice·s de politiques économiques.
Le développement de l’économie sociale et solidaire en Haïti ne pourra se faire sans une gouvernance territoriale forte, démocratique, participative et inclusive. Les collectivités territoriales, bien qu’affaiblies institutionnellement, disposent d’un levier stratégique unique pour articuler les politiques publiques aux dynamiques locales. De leur côté, les acteurs communautaires de base sont déjà à l’œuvre dans la production d’une économie de proximité, de résilience et de solidarité, qui constitue un socle tangible pour repenser le développement à partir des territoires.
Reconnaître, appuyer et connecter ces deux échelles — institutions locales et dynamiques populaires — est indispensable pour construire une politique nationale de l’ESS ancrée dans les réalités haïtiennes, capable de répondre aux défis sociaux, économiques, environnementaux et démocratiques du pays.
Section 2. Intégration des modèles de l’ESS dans le cadre de la nouvelle économie géographique
L’économie sociale et solidaire (ESS) dans ses différentes expressions — coopératives, mutuelles, associations, systèmes communautaires de production et d’échange — propose une relecture profonde des finalités économiques : replacer l’humain, les besoins sociaux et l’ancrage territorial au cœur des dynamiques productives. Cette orientation entre en résonance avec certains apports contemporains de la nouvelle économie géographique (NEG), une branche récente de la pensée économique qui cherche à comprendre la formation des pôles de développement, les logiques de concentration et de diffusion spatiale des activités économiques, ainsi que les conditions d’un développement territorial équilibré (Krugman 1991).
Alors que la NEG a souvent été mobilisée pour justifier la croissance des agglomérations ou l’optimisation des coûts logistiques, elle peut également, si l’on en reformule certains postulats, servir de cadre analytique pertinent pour penser l’intégration territoriale de l’ESS, en particulier dans des contextes marqués par de fortes disparités spatiales et un sous-développement institutionnel, comme c’est le cas d’Haïti.
Cette section propose donc d’articuler les principes de l’ESS avec ceux de la nouvelle économie géographique, afin de dégager des pistes d’opérationnalisation territoriale de l’ESS, et de démontrer comment elle peut contribuer à un développement polycentrique, inclusif et durable des territoires haïtiens.
1. Les principes de la Nouvelle Économie géographique et leur application à l’ESS
La Nouvelle Économie géographique repose sur plusieurs mécanismes expliquant la concentration et la dispersion des activités économiques :
1.1 Effets d’agglomération et d’économie d’échelle
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La NEG postule que les activités économiques tendent à se concentrer dans certaines régions où elles bénéficient d’économies d’échelle, d’infrastructures adaptées et de réseaux de production bien structurés.
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L’ESS, en revanche, adopte une approche plus décentralisée et solidaire, cherchant à renforcer les circuits courts et les économies locales.
Exemple : Les coopératives agricoles en Haïti
Contrairement aux grandes industries agroalimentaires qui se concentrent autour des villes principales, les coopératives agricoles haïtiennes fonctionnent en réseaux décentralisés. Elles permettent d’éviter une trop grande dépendance aux marchés urbains et favorisent la création de pôles économiques locaux dans les zones rurales (Lamaute-Brisson 2003).
1.2 Réduction des coûts de transaction et coordination locale
Dans la NEG, la proximité géographique des entreprises réduit les coûts de transport, facilite la circulation des travaill·eur·euse·s et renforce les externalités positives. L’ESS adopte une approche similaire en mettant en place des réseaux de coopération territoriale qui renforcent la structuration locale de l’économie.
Exemple : Les mutuelles d’épargne et de crédit en Haïti
Ces institutions permettent aux entrepreneures locales d’accéder à des financements sans dépendre des banques commerciales, souvent absentes des zones rurales. Leur implantation repose sur un modèle de proximité et de confiance, réduisant les asymétries d’information et les coûts liés aux transactions financières.
La nouvelle économie géographique, développée notamment par Paul Krugman dans les années 1990, part d’un constat : les activités économiques tendent à se concentrer dans certains lieux en raison d’économies d’échelle, d’effets d’agglomération et de rendements croissants (Krugman 1991). Cette concentration génère des pôles de développement attractifs, mais crée aussi des déséquilibres territoriaux majeurs entre centres et périphéries.
Dans le cas d’Haïti, ce phénomène est particulièrement accentué :
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Port-au-Prince concentre plus de 65% des activités économiques formelles, tandis que les campagnes et petites villes sont reléguées dans des logiques de sous-développement structurel (IHSI 2020);
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Les investissements publics et privés sont majoritairement orientés vers la capitale, exacerbant les inégalités spatiales et les migrations internes.
En réponse à cette centralisation excessive, la NEG offre aussi des outils pour penser la diffusion territoriale des activités, à condition d’y intégrer la logique des proximités, qui mettent l’accent sur les ressources immatérielles (confiance, culture, solidarité) et les logiques coopératives (Providence 2022).
L’ESS s’inscrit précisément dans cette perspective :
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Elle repose sur des ancrages locaux forts, des réseaux de confiance, une mobilisation des ressources endogènes, et une économie de la proximité ;
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Elle favorise le développement de bassins économiques intermédiaires, articulés autour d’initiatives collectives, de circuits courts, de partenariats communautaires, et de logiques de mutualisation.
Ainsi, là où la NEG propose un cadre de lecture des dynamiques spatiales, l’ESS en constitue une réponse concrète et opératoire, permettant de rééquilibrer le développement au profit des territoires périphériques.
2. L’ESS comme levier de réduction des inégalités spatiales en Haïti
Une autre contribution de la NEG est l’analyse des effets de polarisation : certains territoires deviennent des pôles de développement (clusters, districts industriels), concentrant ressources, compétences et innovations. L’enjeu est alors de penser des formes alternatives de polarité, fondées non sur la maximisation du profit, mais sur la création de valeur sociale et territoriale. L’économie sociale et solidaire peut être mobilisée pour créer des centralités économiques alternatives, notamment dans des espaces ruraux, périurbains ou transfrontaliers.
2.1 L’ESS contre la polarisation économique excessive
Selon la NEG, les économies en développement comme Haïti sont souvent caractérisées par une forte concentration des activités économiques dans les grands pôles urbains (ex. : Port-au-Prince, Cap-Haïtien, Les Cayes), au détriment des territoires ruraux. L’ESS propose une alternative en favorisant une répartition plus équilibrée des activités productives sur le territoire, en valorisant les ressources locales et les savoir-faire traditionnels.
Exemple : L’intégration de l’artisanat dans les circuits de commerce équitable
Les coopératives artisanales de Jacmel et du Plateau Central démontrent que l’ESS peut être un outil de développement local, en créant des emplois stables et en structurant une production non délocalisable. Contrairement aux industries classiques, ces initiatives maintiennent les richesses sur place et évitent l’exode rural.
2.2 Les infrastructures et l’aménagement territorial au service de l’ESS
La NEG souligne l’importance des infrastructures de transport, de communication et de distribution dans la répartition des activités économiques. L’ESS peut contribuer à structurer un aménagement territorial plus inclusif, en renforçant les marchés locaux, les circuits de distribution courts et l’accessibilité aux financements solidaires.
Proposition pour Haïti : Création de pôles d’ESS territorialisés
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Développer des zones économiques solidaires dans chaque département, où les entreprises sociales et coopératives bénéficieraient d’un accompagnement institutionnel, de financements adaptés et de débouchés garantis.
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Exemple d’application : Le modèle des « territoires de l’ESS » en France, où certaines régions ont mis en place des espaces dédiés aux initiatives économiques solidaires avec un soutien actif des collectivités locales.
L’économie sociale et solidaire peut être mobilisée pour créer des centralités économiques alternatives, notamment dans des espaces ruraux, périurbains ou transfrontaliers. En Haïti, plusieurs formes de centralités solidaires émergent :
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Marchés communautaires périodiques, organisés par des associations de femmes rurales (Grand’Anse, Sud-Est);
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Pôles artisanaux ou agroécologiques portés par des coopératives, qui valorisent les savoirs locaux et les produits du terroir;
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Espaces de mutualisation (centres de transformation, dépôts collectifs, coopératives de crédit), qui agissent comme catalyseurs d’activités.
Ces dispositifs ne génèrent pas nécessairement des « effets d’échelle » au sens classique, mais produisent des effets d’entrainement social et territorial : renforcement des liens de solidarité, sécurisation des revenus, autonomisation des femmes, revalorisation des savoir-faire et ancrage économique dans les territoires.
Ces noyaux de développement solidaire pourraient être pensés comme des « grappes ESS territorialisées », analogues aux clusters économiques classiques, mais avec des finalités sociales, environnementales et démocratiques (Chaves et Monzón 2012).
3. Stratégies d’intégration de l’ESS dans la Nouvelle Économie géographique en Haïti
Dans une optique critique de la NEG, plusieurs auteurs insistent sur la nécessité d’intégrer les notions de justice spatiale et de résilience territoriale. Il ne suffit pas d’observer où se concentrent les activités, il faut aussi comprendre qui en bénéficie, qui en est exclu, et comment redistribuer les externalités positives.
3.1 Adapter les politiques publiques aux réalités locales
La NEG montre que les politiques centralisées sont souvent inefficaces pour corriger les déséquilibres territoriaux. L’ESS, en revanche, repose sur une approche participative et locale, ce qui nécessite une meilleure prise en compte des réalités territoriales dans les politiques publiques haïtiennes.
Recommandation : Décentralisation des dispositifs de soutien à l’ESS
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Création de fonds régionaux de soutien aux entreprises solidaires, gérés par les collectivités locales;
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Développement de centres d’incubation d’entreprises sociales en dehors de la capitale, pour dynamiser l’économie locale et réduire la dépendance à Port-au-Prince.
3.2 Favoriser l’interconnexion des pôles ESS et des marchés urbains
Pour maximiser leur impact, les initiatives de l’ESS doivent être intégrées dans des chaînes de valeur nationales et internationales. La mise en place de plateformes numériques de mise en relation entre product·eur·rice·s et achet·eur·euse·s peut aider à réduire les coûts de transaction et améliorer la visibilité des produits issus de l’ESS.
Exemple : Le succès des circuits courts en Amérique latine
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En Argentine, des programmes de commerce équitable ont permis d’intégrer les agriculteurs des zones rurales dans des circuits de distribution alternatifs, réduisant ainsi la dépendance aux intermédiaires et favorisant une rémunération plus juste.
3.3 Développer des infrastructures adaptées à l’ESS
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L’ESS nécessite des espaces adaptés de production, de transformation et de distribution;
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Investir dans des marchés locaux, des coopératives de distribution et des plateformes logistiques solidaires permettrait de mieux structurer le secteur.
Exemple : Les marchés solidaires en Colombie
Les gouvernements locaux ont mis en place des marchés dédiés aux product·eur·rice·s de l’ESS, garantissant une rémunération équitable et une visibilité accrue aux initiatives solidaires. Un tel modèle pourrait être adapté en Haïti, en intégrant des marchés ESS dans les grandes villes et les zones rurales.
L’intégration des modèles de l’ESS dans le cadre de la Nouvelle Économie géographique permettrait à Haïti de mieux structurer une répartition équilibrée des activités économiques sur le territoire. En s’appuyant sur les principes d’agglomération, de réduction des coûts de transaction et de structuration locale des marchés, l’ESS peut :
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Réduire les inégalités territoriales, en favorisant le développement des zones rurales;
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Renforcer les infrastructures locales, pour améliorer l’intégration des product·eur·rice·s solidaires aux marchés nationaux et internationaux;
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Soutenir la décentralisation économique, en créant des pôles régionaux ESS.
La mise en œuvre de ces stratégies nécessite un engagement des pouvoirs publics, une coordination des collectivités territoriales et des investissements ciblés pour faire de l’ESS un véritable levier de développement territorial durable en Haïti.
L’économie sociale et solidaire, en tant que mode d’organisation territorialisé, démocratique et ancré dans les besoins réels des populations, trouve toute sa légitimité dans le cadre théorique et pratique de la nouvelle économie géographique, à condition d’en renouveler les approches et de replacer l’équité spatiale, la proximité et la justice sociale au cœur des dynamiques de développement.
En Haïti, l’intégration de ces modèles ouvre la voie à une reconstruction territoriale fondée sur la solidarité, la réciprocité et la valorisation des ressources locales. Elle permet de penser un développement qui ne se contente plus de reproduire les déséquilibres hérités, mais qui redistribue les opportunités économiques sur l’ensemble du territoire, en renforçant la capacité des populations à produire, décider et vivre dans la dignité, là où elles sont.
Section 3. Recommandations pour un développement territorial inclusif de l’ESS en Haïti
L’Économie sociale et solidaire (ESS) représente un levier stratégique pour réduire les inégalités territoriales, stimuler l’économie locale et favoriser un développement équilibré en Haïti. Toutefois, son essor est limité par un manque d’infrastructures adaptées, un cadre réglementaire insuffisant, une faible coordination des acteurs locaux et des difficultés d’accès aux financements.
Pour qu’une politique territoriale de l’ESS puisse pleinement contribuer au développement inclusif du pays, il est essentiel de mettre en place des stratégies adaptées aux réalités locales, en s’inspirant des bonnes pratiques mises en œuvre dans d’autres pays et en mobilisant les ressources locales et internationales.
Cette section propose des recommandations concrètes et opérationnelles pour favoriser un développement territorial inclusif fondé sur l’ESS en Haïti, en s’appuyant sur des références théoriques et des expériences comparées.
1. Renforcer le cadre institutionnel et législatif pour une ESS territorialisée
1.1 Élaborer une loi-cadre sur l’ESS intégrant la dimension territoriale
Haïti ne dispose pas encore d’une législation spécifique encadrant l’ESS, ce qui freine son développement et sa reconnaissance officielle. Une loi-cadre sur l’ESS devrait être adoptée pour :
- Définir les statuts légaux des coopératives, mutuelles et entreprises sociales.
- Intégrer des mécanismes fiscaux incitatifs (exonérations temporaires, allégements fiscaux pour les structures ESS).
- Garantir un accès simplifié aux financements publics et privés pour les acteurs de l’ESS.
Exemple : Le Brésil et la Loi sur l’ESS (2012)
Le Brésil a adopté une loi reconnaissant l’ESS comme un secteur à part entière, permettant ainsi l’accès aux marchés publics et la mise en place de financements spécifiques. Un modèle similaire en Haïti permettrait de favoriser la reconnaissance officielle des initiatives locales et leur donner plus de visibilité.
1.2 Décentraliser les politiques publiques en faveur de l’ESS
Les collectivités territoriales doivent disposer de compétences renforcées pour accompagner les initiatives ESS :
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Création de comités locaux de l’ESS au niveau communal et départemental pour assurer un suivi des initiatives locales et une coordination des acteurs.
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Développement de pôles ESS régionaux, regroupant des coopératives, des entreprises sociales et des structures de financement solidaire.
Exemple : Les « Pôles territoriaux de Coopération économique » en France
En France, ces pôles regroupent des entreprises de l’ESS, des collectivités locales et des associations autour de projets économiques territoriaux. Un modèle similaire en Haïti permettrait de dynamiser les économies locales en créant des réseaux de coopération économique.
2. Développer des infrastructures et des financements adaptés aux territoires
2.1 Améliorer l’accès aux infrastructures pour soutenir l’ESS
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Créer des marchés locaux ESS, où les coopératives et entreprises sociales peuvent vendre leurs produits sans intermédiaires.
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Développer des centres de transformation agroalimentaire en milieu rural pour valoriser les produits agricoles locaux et éviter les pertes post-récolte.
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Mettre en place des espaces de coworking et d’incubation pour accompagner les porteurs de projets ESS.
Exemple : Les centres de transformation au Pérou
Au Pérou, l’État a investi dans des unités locales de transformation agroalimentaire, permettant aux agriculteurs de valoriser leurs produits et d’accéder à des circuits commerciaux plus rémunérateurs. Haïti pourrait développer des infrastructures similaires dans chaque département, en partenariat avec les collectivités locales.
2.2 Développer des financements adaptés aux territoires
L’accès au financement reste l’un des principaux freins au développement de l’ESS en Haïti. Pour y remédier :
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Créer un Fonds National d’Appui à l’ESS, alimenté par des ressources publiques et privées.
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Encourager les banques locales et les institutions de microfinance à proposer des crédits à taux réduit pour les structures ESS.
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Développer des mécanismes de financement participatif, notamment via des plateformes numériques.
Exemple : Le programme « Fondo Mujer » en Colombie
Ce fonds de garantie facilite l’accès aux financements pour les femmes entrepreneures du secteur ESS. Un dispositif similaire en Haïti permettrait de soutenir les initiatives féminines dans les zones rurales et périurbaines.
3. Structurer des filières économiques locales et favoriser les circuits courts
3.1 Encourager la structuration des filières locales de production
Développer des filières économiques basées sur les ressources locales, comme :
- L’agroécologie et la transformation agroalimentaire.
- L’artisanat et les produits culturels.
- Les énergies renouvelables locales (biogaz, solaire).
Exemple : Les clusters ESS en Argentine
En Argentine, des clusters ont été créés pour structurer des filières agricoles et artisanales, avec un soutien technique et financier des collectivités locales.
3.2 Favoriser les circuits courts et les marchés solidaires
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Mettre en place du marché ESS municipal, où les producteurs locaux peuvent vendre directement aux consommateurs.
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Développer des programmes d’achat public en faveur des structures ESS (ex. : approvisionnement des cantines scolaires par des coopératives agricoles).
Exemple : Les marchés solidaires en République dominicaine
Le gouvernement dominicain a mis en place des marchés solidaires réservés aux coopératives, permettant une meilleure rémunération des product·eur·rice·s locaux. Haïti pourrait adapter ce modèle pour encourager une consommation locale et responsable.
4. Renforcer la formation et la gouvernance locale de l’ESS
4.1 Intégrer l’ESS dans les programmes de formation
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Développer des cursus universitaires et des formations professionnelles sur l’ESS.
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Former les agents des collectivités locales à la gestion et l’accompagnement des initiatives ESS.
Exemple : Les formations ESS au Mexique
Au Mexique, plusieurs universités ont intégré des formations en gestion coopérative et en entrepreneuriat social pour professionnaliser le secteur.
4.2 Impliquer les collectivités et les citoyens dans la gouvernance de l’ESS
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Mettre en place des conseils consultatifs de l’ESS, regroupant collectivités locales, entrepreneurs sociaux et citoyens.
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Encourager les consultations publiques et les budgets participatifs pour orienter les financements de l’ESS vers les besoins réels des territoires.
Exemple : Le budget participatif en Bolivie
En Bolivie, les citoyens participent à la définition des priorités d’investissement des collectivités, favorisant des projets locaux et solidaires.
Un développement territorial inclusif de l’ESS en Haïti repose sur quatre axes fondamentaux :
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Renforcer le cadre institutionnel et législatif, en adoptant une loi-cadre sur l’ESS et en impliquant les collectivités locales.
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Développer des infrastructures et des financements adaptés, en créant un Fonds National ESS et en renforçant les marchés locaux.
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Structurer les filières économiques locales et favoriser les circuits courts, pour garantir une meilleure distribution de la richesse territoriale.
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Renforcer la formation et la gouvernance locale de l’ESS, en impliquant les universités, les collectivités et les citoyens dans le processus.
Ces recommandations visent à faire de l’ESS un véritable moteur de développement territorial en Haïti, en s’appuyant sur une approche inclusive, solidaire et durable.

Source : Conception de l’auteur avec Canva
Cette illustration met en avant l’intégration de l’Économie sociale et solidaire (ESS) dans les politiques territoriales en Haïti. Elle montre comment les initiatives ESS peuvent être intégrées dans un développement local structuré, combinant coopératives, infrastructures et politiques publiques locales. Voici les éléments clés représentés :
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Les Projets de Développement local et l’ESS. Des fermes coopératives gérées par des collectifs de travaill·eur·euse·s illustrent l’importance de l’agriculture solidaire dans le développement rural. Des initiatives de production d’énergie renouvelable à petite échelle (comme des panneaux solaires ou des éoliennes) mettent en avant le lien entre ESS et développement durable. Des petites entreprises locales et des ateliers communautaires montrent comment l’ESS peut dynamiser l’économie locale en favorisant l’inclusion économique et la résilience territoriale;
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La Collaboration entre les Acteurs publics et privés. On observe des représentants du gouvernement en discussion avec des leaders de coopératives et des entrepreneurs locaux, ce qui souligne le rôle de la gouvernance territoriale dans le soutien à l’ESS. Cette scène illustre l’importance du dialogue entre les collectivités locales et les acteurs économiques pour garantir une planification territoriale adaptée aux besoins locaux;
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Les Infrastructures au Service du Développement territorial. De nouvelles routes et infrastructures améliorées indiquent que l’investissement dans les infrastructures publiques est crucial pour soutenir l’ESS. Des marchés publics bien organisés illustrent le rôle des marchés locaux dans la structuration des circuits courts et l’intégration des produits issus de l’ESS dans l’économie locale;
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Un Modèle de Développement territorial durable. L’image met en évidence une approche intégrée du développement, combinant l’ESS, la protection environnementale et la résilience économique. Elle traduit la nécessité de politiques publiques plus inclusives et territorialisées pour structurer l’ESS et encourager son expansion à l’échelle locale.
Cette illustration met en lumière plusieurs principes essentiels pour une politique territoriale efficace de l’ESS en Haïti :
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L’ESS doit être intégrée dans une approche de développement régional afin d’assurer une répartition équitable des activités économiques sur le territoire;
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Les infrastructures et les politiques locales doivent soutenir les coopératives et entreprises solidaires, en facilitant leur accès aux financements, aux marchés et aux services publics;
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La collaboration entre les collectivités locales et les acteurs de l’ESS est cruciale pour garantir une gouvernance plus inclusive et adaptée aux spécificités de chaque région.
Pour que l’ESS joue pleinement son rôle dans le développement territorial haïtien, il est nécessaire de :
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Développer des pôles régionaux ESS, intégrant coopératives, infrastructures et accompagnement institutionnel;
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Faciliter les connexions entre les zones rurales et urbaines, en investissant dans les infrastructures de transport et de distribution;
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Encourager une gouvernance locale plus participative, en associant les autorités locales, les entrepreneurs sociaux et les citoyens dans l’élaboration des politiques publiques;
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Mettre en place des financements adaptés aux réalités territoriales, favorisant le renforcement des initiatives ESS à travers le pays.
Cette illustration souligne ainsi l’importance d’une politique territoriale intégrée pour faire de l’ESS un moteur de développement durable, inclusif et structurant en Haïti.
Conclusion du chapitre
L’Économie sociale et solidaire (ESS) représente un levier stratégique pour réduire les inégalités territoriales, favoriser l’inclusion économique et encourager un développement durable et équitable en Haïti. Toutefois, son intégration dans une politique territoriale cohérente reste encore limitée par l’absence de cadre institutionnel structuré, de financements adaptés et d’un manque de coordination entre les différents acteurs locaux et nationaux.
Ce chapitre a démontré que l’ESS peut jouer un rôle clé dans la structuration économique des territoires, à condition que les politiques publiques tiennent compte des réalités locales et des potentialités des différentes régions du pays. À travers une approche territoriale renforcée, il est possible de faire de l’ESS un vecteur puissant de résilience économique et sociale.
L’ESS repose sur des valeurs de solidarité, de coopération et de participation locale qui correspondent aux besoins spécifiques des territoires haïtiens. Son implantation dans un cadre territorial permettrait :
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De réduire les inégalités spatiales en valorisant les ressources locales et en limitant l’exode rural;
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De créer des pôles économiques décentralisés, permettant une meilleure répartition des activités productives sur l’ensemble du territoire;
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De renforcer les liens entre les collectivités locales, les entreprises sociales et les coopératives, garantissant une économie plus résiliente face aux crises économiques et climatiques.
L’intégration territoriale de l’ESS en Haïti nécessite de surmonter plusieurs obstacles structurels :
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L’absence de cadre législatif clair et de reconnaissance officielle de l’ESS dans les politiques nationales;
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Le manque d’infrastructures adaptées pour faciliter la production et la commercialisation des biens et services issus de l’ESS;
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Des financements encore trop faibles et peu accessibles aux acteurs locaux;
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Un déficit de formation et d’accompagnement des entrepreneurs solidaires pour structurer leurs initiatives.
Pour renforcer l’impact de l’ESS à l’échelle territoriale, quatre axes stratégiques doivent être privilégiés :
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Élaborer un cadre législatif clair et une stratégie nationale de l’ESS, en intégrant les spécificités territoriales et en garantissant un soutien institutionnel aux initiatives locales;
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Développer des infrastructures adaptées et des financements dédiés, en créant un Fonds National de l’ESS, des marchés locaux solidaires et des centres de transformation pour les produits agricoles et artisanaux;
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Structurer les filières économiques locales, en favorisant les circuits courts, la consommation responsable et l’intégration des coopératives aux marchés publics;
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Renforcer la formation et l’accompagnement des acteurs de l’ESS, en impliquant les universités, les collectivités territoriales et les ONG dans un programme national de formation et d’incubation pour les entreprises sociales et solidaires.
L’ESS ne pourra pleinement jouer son rôle que si elle s’appuie sur une gouvernance locale inclusive et participative. Il est essentiel de décentraliser les politiques publiques, en donnant plus de responsabilités aux collectivités territoriales pour gérer et promouvoir l’ESS.
Des conseils consultatifs de l’ESS devraient être créés dans chaque département, associant les élus locaux, les entrepreneurs solidaires, les coopératives, les associations et les citoyens, afin d’orienter les politiques de développement territorial en fonction des réalités locales.
L’ESS peut devenir un pilier central d’un modèle économique haïtien plus équitable, inclusif et résilient. À travers une approche territorialisée, elle peut répondre aux défis majeurs du pays en offrant des opportunités économiques aux populations rurales, en renforçant l’autonomie des collectivités et en créant un tissu économique plus stable et moins dépendant des importations.
La mise en place d’une véritable politique territoriale de l’ESS en Haïti permettra non seulement de structurer un développement plus équilibré du pays, mais aussi d’inscrire durablement l’ESS comme une alternative crédible et efficace au modèle économique dominant.