État des lieux des politiques publiques haïtiennes en faveur de l’ESS
Introduction
Depuis les années 1990, l’économie sociale et solidaire (ESS) est progressivement reconnue à l’échelle internationale comme un levier stratégique pour atteindre des objectifs de développement durable, de justice sociale et de résilience territoriale. En Amérique latine et dans les Caraïbes, plusieurs pays ont adopté des législations, des politiques nationales ou des dispositifs institutionnels visant à encadrer, soutenir et promouvoir les initiatives relevant de l’ESS. Toutefois, Haïti demeure en retrait dans cette dynamique régionale, malgré la vitalité de son économie populaire, la diversité de ses pratiques de solidarité économique et l’importance du secteur informel (Aspilaire 2017).
L’absence d’un cadre politique structuré en faveur de l’ESS en Haïti ne doit pas être interprétée comme un désintérêt des acteurs publics, mais plutôt comme le symptôme d’un système institutionnel fragmenté, sous-financé et peu articulé aux dynamiques sociales locales. De nombreuses initiatives communautaires, coopératives, associatives ou mutualistes sont soutenues ponctuellement par des projets gouvernementaux ou internationaux, sans pour autant s’inscrire dans une vision d’ensemble ni bénéficier d’un appui cohérent et pérenne (Banque Mondiale 2021). Cette situation pose plusieurs questions :
-
Quelles sont les politiques publiques actuellement en place en Haïti qui soutiennent — ou pourraient soutenir — les principes de l’ESS?
-
Comment ces politiques se positionnent-elles face aux besoins réels des acteurs de terrain?
-
Quelles en sont les limites, les incohérences, les zones aveugles?
-
Et quelles perspectives s’ouvrent pour une intégration stratégique de l’ESS dans le développement national et territorial?
L’économie sociale et solidaire, en tant que champ structuré, repose sur des principes bien établis — gouvernance démocratique, primauté de l’humain sur le capital, utilité sociale, solidarité, ancrage territorial. Or, les politiques publiques haïtiennes, historiquement centrées sur une logique de croissance exogène, d’assistance humanitaire ou de gestion de crise, ont souvent négligé ou instrumentalisé ces principes (Providence 2022). Le soutien à l’ESS s’est fait de manière éclatée, sectorielle ou résiduelle, au sein de politiques agricoles, sociales, ou de lutte contre la pauvreté, sans reconnaissance explicite de l’ESS comme modèle alternatif de développement économique.
Dans un pays marqué par l’exclusion, l’informalité, la précarité institutionnelle et la défiance vis-à-vis de l’État, penser une politique publique en faveur de l’ESS implique de renverser les logiques dominantes : il s’agit de partir des pratiques existantes, des réseaux communautaires, des savoirs locaux, et de construire des outils de soutien adaptés à la diversité des territoires et des acteurs. Cela suppose également une redéfinition du rôle de l’État, non comme prescripteur unique du développement, mais comme partenaire, facilitateur, co-constructeur de dynamiques économiques inclusives (Providence 2025).
Ce chapitre vise ainsi à dresser un état des lieux critique des politiques publiques haïtiennes touchant de près ou de loin au champ de l’ESS. Il s’articulera en trois sections principales :
-
La première section présentera une analyse des dispositifs institutionnels et réglementaires existants pouvant encadrer ou appuyer les initiatives de l’ESS, qu’ils soient formels (lois, décrets, programmes) ou informels (initiatives locales, partenariats publics communautaires). L’objectif est d’évaluer la place de l’ESS dans les textes normatifs et dans les stratégies gouvernementales;
-
La deuxième section sera consacrée à l’examen des politiques sectorielles ayant un impact sur les pratiques de l’ESS : agriculture, microfinance, économie informelle, entrepreneuriat féminin, développement local. On y analysera les opportunités offertes, mais aussi les limites structurelles, les discontinuités et les incohérences institutionnelles;
-
Enfin, la troisième section proposera une réflexion prospective sur les conditions d’émergence d’une politique nationale de l’ESS en Haïti, en s’inspirant des expériences comparées d’autres pays de la région (Brésil, République dominicaine, Québec, Sénégal), et en identifiant les leviers d’action possibles pour une reconnaissance pleine et entière des acteurs de l’économie solidaire.
En adoptant une approche à la fois critique et constructive, ce chapitre entend contribuer au débat sur le rôle de l’État haïtien dans la promotion de formes économiques alternatives. Il mettra en lumière l’écart entre les discours politiques et les réalités de terrain, tout en proposant des pistes concrètes pour faire de l’ESS un axe structurant du développement économique, social et territorial du pays. Ce chapitre s’appuiera sur des documents législatifs, des études institutionnelles et des témoignages d’acteurs locaux pour fournir une analyse approfondie et proposer des recommandations visant à renforcer le rôle des politiques publiques dans le développement de l’ESS en Haïti.
Section 1. Stratégies et programmes de soutien aux entrepreneur·e·s du secteur informel en Haïti
Le secteur informel joue un rôle prépondérant dans l’économie haïtienne, représentant environ 80% de l’emploi total et contribuant à plus de 55% du PIB (Banque Mondiale 2021). Malgré son importance, il demeure sous-structuré, peu soutenu par les institutions publiques et en proie à de nombreuses vulnérabilités, notamment l’absence de protection sociale, un accès limité au financement et une marginalisation économique (Providence 2025). Depuis les années 2000, des programmes de soutien aux micro-entrepreneur·e·s et travaill·eur·euse·s informel·le·s ont été initiés, souvent sous l’impulsion de bailleurs internationaux ou de partenaires techniques, mais leur portée reste limitée, leur cohérence discutable et leur ancrage institutionnel fragile.
Face à ces défis, les politiques publiques haïtiennes et les initiatives internationales ont progressivement développé des stratégies et des programmes visant à soutenir les entrepreneur·e·s du secteur informel. Cependant, leur mise en œuvre reste parfois limitée par des contraintes institutionnelles, un manque de coordination et une faible accessibilité aux populations concernées.
Cette section dresse un état des lieux critique des principales stratégies et programmes publics (ou parapublics) déployés pour soutenir les entrepreneur·e·s du secteur informel en Haïti, en s’intéressant à leurs cibles, leurs approches méthodologiques, leurs limites structurelles, ainsi que les perspectives d’amélioration dans une logique d’inclusion, de reconnaissance et de transition vers une économie sociale et solidaire.
1. Les stratégies nationales pour l’intégration et la structuration du secteur informel
Jusqu’à récemment, le secteur informel a longtemps été perçu par les autorités haïtiennes comme un problème à résoudre plutôt qu’un potentiel à valoriser. Les premières références explicites à l’économie informelle apparaissent dans les documents de politique générale de l’État haïtien à partir des années 2010, notamment dans le Plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH 2012–2030), qui mentionne la nécessité de soutenir les activités génératrices de revenus dans le secteur informel, notamment pour les femmes et les jeunes.
Par ailleurs, certains ministères — tels que le Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI), le Ministère de la Condition féminine et des Droits des femmes (MCFDF), et dans une moindre mesure le Ministère de l’Agriculture (MARNDR) — ont intégré dans leurs discours l’importance de formaliser, d’accompagner ou d’encadrer l’entrepreneuriat informel. Cependant, aucun cadre juridique global ni plan d’action multisectoriel n’a été conçu à ce jour pour appuyer spécifiquement ce secteur, ce qui explique l’éparpillement des initiatives existantes.
Le gouvernement haïtien a adopté diverses stratégies pour tenter d’intégrer progressivement les travaill·eur·euse·s informel·le·s dans un cadre économique structuré, notamment à travers des initiatives législatives, des programmes d’accompagnement et des mesures d’incitation fiscale.
L’État haïtien a pris plusieurs mesures réglementaires et politiques visant à structurer et à accompagner le secteur informel :
-
Le Plan stratégique de Développement d’Haïti (PSDH 2010-2030) : il reconnaît le rôle central du secteur informel et recommande des actions pour faciliter son intégration progressive dans l’économie formelle (MCI 2021).
-
La Loi sur les coopératives (2018) : encourage la structuration des petits entrepreneur·e·s en coopératives pour faciliter leur accès aux financements et aux marchés.
-
Les initiatives de formalisation des entreprises informelles : certaines municipalités ont lancé des projets de recensement et d’enregistrement des commerçants informel·le·s, mais leur impact reste limité en raison du manque d’incitations concrètes (MCI 2021).
Malgré ces efforts, l’absence d’un cadre législatif spécifique régulant le travail informel et la faible application des politiques existantes constituent des obstacles majeurs à une véritable transformation structurelle.
2. Programmes de financement et d’appui aux micro-entrepreneur·e·s informel·le·s
Plusieurs programmes ont vu le jour au cours des deux dernières décennies, portés par des institutions publiques, des agences autonomes ou en partenariat avec des bailleurs internationaux.
a) Le Fonds de Développement Industriel (FDI)
Le FDI, organisme public affilié à la Banque de la République d’Haïti (BRH), a été l’un des premiers instruments de financement destinés aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux micro-entrepreneur·e·s. Il intervient principalement sous forme de microcrédits ou de garanties de prêt à travers des institutions partenaires. Toutefois, les conditions d’accès (formalisme administratif, garanties, domiciliation bancaire) excluent de facto une grande partie des acteurs informel·le·s, qui ne disposent ni de documents légaux ni d’historique bancaire.
b) Le Programme Kore Fanm/Kore Pwodiksyon Lokal
Mis en œuvre après le séisme de 2010 par le Ministère des Affaires sociales et du Travail (MAST) et le Fonds d’assistance économique et sociale (FAES), ce programme visait à soutenir les femmes entrepreneures informelles dans les domaines du commerce, de la transformation agroalimentaire et des services de proximité. Il combinait transferts monétaires, subventions en nature et formation à la gestion de microentreprises. Bien que pertinent, ce programme a souffert de faiblesse de ciblage, d’un manque de suivi post-subvention, et d’un ancrage institutionnel limité, ce qui en a réduit la durabilité (Banque Mondiale 2021).
c) Les interventions de la DINEPA et des programmes d’économie locale
Certains programmes de la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA) ont permis à des groupes de femmes commerçantes informelles de développer des petites entreprises de services d’hygiène, de distribution d’eau ou de gestion de déchets, en zone urbaine. Ces projets, appuyés par la coopération internationale (notamment l’UNICEF et la Banque mondiale), ont été l’occasion d’une formalisation progressive et collective de certaines activités informelles, mais ils n’ont pas été reproduits à grande échelle.
d) Les programmes de microfinance soutenus par l’État et les ONG
La prolifération des institutions de microfinance (IMF), parfois appuyées par des partenariats publics-privés, a constitué l’un des vecteurs de soutien au secteur informel. Plusieurs projets publics ont tenté de faciliter l’accès des femmes commerçantes à des crédits à faibles taux, notamment à travers des programmes conjoints avec Fonkoze, KOTELAM, ou d’autres coopératives de crédit. Toutefois, le système reste concentré en milieu urbain et périurbain, et il ne répond pas aux besoins d’investissement de moyen ou long terme, ni à l’instabilité des revenus en contexte d’informalité (BID 2020).
L’accès au financement est l’un des principaux défis des entrepreneur·e·s du secteur informel, qui peinent à obtenir des prêts bancaires en raison de l’absence de garanties formelles. Face à cette problématique, plusieurs programmes ont été développés pour fournir des solutions alternatives de crédit et de soutien financier. Le système bancaire traditionnel en Haïti n’est pas adapté aux besoins des micro-entrepreneur·e·s informel·le·s, ce qui a conduit au développement de programmes de microfinance et de crédits solidaires (BID 2020).
Les principales institutions de microfinance actives en Haïti :
-
Fonkoze : leader du microcrédit en Haïti, proposant des prêts à faible taux d’intérêt, des formations en gestion financière et des programmes d’épargne pour les petit·e·s entrepreneur·e·s.
-
Kredifanm : initiative spécifiquement dédiée aux femmes entrepreneures du secteur informel, offrant des crédits adaptés et un accompagnement en gestion d’affaires.
-
Le Fonds de Développement Industriel (FDI) : financé par l’État, il vise à faciliter l’accès aux capitaux pour les microentreprises, bien que son impact sur le secteur informel soit encore limité.
Face aux difficultés d’accès aux banques, de nombreux travaill·eur·euse·s informel·le·s s’appuient sur des mécanismes alternatifs de financement communautaire :
-
Les tontines et mutuelles d’épargne : ces associations informelles permettent aux membres de cotiser et d’accéder à des fonds rotatifs pour financer leurs activités.
-
Les caisses populaires et coopératives de crédit : certaines structures, comme la Caisse Populaire Sainte-Anne, offrent des services financiers adaptés aux petit·e·s entrepreneur·e·s informel·le·s.
Bien que ces systèmes constituent une solution de financement essentielle, ils souffrent d’un manque de régulation et de protection juridique, ce qui peut exposer les participants à des risques de faillite et d’escroquerie.
3. Programmes de formation et d’accompagnement des micro-entrepreneur·e·s
L’un des freins majeurs à la croissance du secteur informel en Haïti réside dans le manque de formation en gestion, en comptabilité et en planification d’affaires (MEF 2020). Plusieurs initiatives ont été mises en place pour renforcer les capacités des entrepreneur·e·s informel·le·s et améliorer leur rentabilité.
3.1 Formations en gestion et éducation financières
Plusieurs organismes offrent des programmes de formation dédiés aux travaill·eur·euse·s informel·le·s :
-
Le programme de formation entrepreneuriale de Fonkoze : fournit des outils de gestion simplifiée et d’éducation financière aux commerçants informel·le·s.
-
Les Centres d’Appui aux Petites Entreprises (CAPE) : mis en place par le Ministère du Commerce et de l’Industrie, ils offrent des formations en comptabilité, gestion et accès au marché.
-
Les incubateurs et accélérateurs d’entreprises : certaines ONG et institutions comme « Hope for Haiti » et TechnoServe accompagnent les microentreprises dans leur structuration et leur développement.
3.2 Sensibilisation à la formalisation et à la protection sociale
-
Les campagnes de sensibilisation au statut d’entrepreneur : des programmes visent à encourager les microentrepreneur·e·s informel·le·s à se formaliser en leur expliquant les avantages fiscaux et sociaux.
-
L’intégration progressive à la sécurité sociale : bien que l’accès à la protection sociale reste limité, certaines initiatives, comme celles de l’Office National d’Assurance-Vieillesse (ONA), cherchent à inclure progressivement les travaill·eur·euse·s informel·le·s.
Malgré ces efforts, la couverture de ces programmes reste insuffisante, et le manque de suivi post-formation limite leur impact sur le long terme. Pour passer d’une logique de gestion de la précarité à une véritable stratégie de soutien à l’économie informelle, plusieurs pistes se dessinent :
-
Reconnaître officiellement l’économie informelle comme pilier de l’économie nationale, à travers une loi-cadre ou une politique sectorielle dédiée;
-
Créer des guichets uniques territoriaux d’appui aux microentrepreneur·e·s, en lien avec les collectivités locales, capables de fournir accompagnement, financement, formation et accès à des infrastructures de base;
-
Renforcer les coopératives, mutuelles, associations et autres formes collectives d’organisation comme relais entre les acteurs informel·le·s et les dispositifs institutionnels;
-
Adopter une approche genrée de la politique de soutien, intégrant les besoins spécifiques des femmes, en matière de mobilité, de sécurité, de conciliation travail-domestique, et d’accès à la gouvernance économique locale;
-
Mettre en place un observatoire national de l’économie populaire, chargé de produire des données, d’évaluer les politiques publiques et de promouvoir une lecture fine et dynamique de l’économie informelle haïtienne.
4. Défis et recommandations pour améliorer le soutien aux entrepreneur·e·s du secteur informel
Les programmes identifiés, bien qu’importants, partagent plusieurs limites structurelles :
-
Approche descendante et technocratique : les interventions sont souvent conçues à partir de modèles de gestion formels, sans consultation des bénéficiaires ni adaptation aux pratiques économiques locales (MCI 2021);
-
Fragmentation institutionnelle : l’absence de coordination intersectorielle (entre commerce, agriculture, affaires sociales, condition féminine, etc.) entraîne une dispersion des efforts, un chevauchement des responsabilités et une inefficacité globale;
-
Instabilité politique et dépendance à l’aide internationale : la majorité des programmes dépendent de financements extérieurs et de calendriers politiques, ce qui rend leur pérennité incertaine;
-
Focalisation sur la formalisation individuelle : les démarches de formalisation proposées visent souvent une régularisation juridique sans contrepartie réelle (accès à la protection sociale, à des infrastructures, à des marchés publics), ce qui décourage les acteurs informel·le·s à franchir le pas;
-
Manque d’approche genrée et territorialisée : très peu de programmes tiennent compte des spécificités des femmes entrepreneures, de leur localisation en zones rurales ou enclavées, ou de leur rôle dans l’économie solidaire.
4.1 Défis majeurs
Malgré l’existence de ces programmes, plusieurs défis persistent :
-
Un accès limité aux financements pour les très petit·e·s entrepreneur·e·s, en raison de critères d’éligibilité restrictifs;
-
Un manque de coordination entre les initiatives publiques et privées, ce qui crée des inefficacités dans l’application des politiques;
-
Une faible couverture des programmes de formation et d’accompagnement, touchant un nombre réduit d’entrepreneur·e·s informel·le·s;
-
Un cadre juridique inadapté, qui ne facilite pas la transition des travaill·eur·euse·s informel·le·s vers l’économie formelle.
4.2 Recommandations pour renforcer l’impact des politiques de soutien
-
Créer un fonds de financement spécifique aux entrepreneur·e·s informel·le·s, avec des conditions de prêt plus flexibles;
-
Améliorer la coordination entre les institutions publiques, privées et internationales, pour optimiser les ressources et éviter les duplications d’initiatives;
-
Développer des plateformes numériques d’éducation financière et de formation en gestion, accessibles à tous les entrepreneur·e·s informel·le·s;
-
Encourager l’intégration progressive des entrepreneur·e·s informel·le·s dans le système fiscal et de protection sociale, en proposant des incitations et des régulations adaptées;
-
Renforcer la structuration des coopératives et mutuelles d’épargne, afin de sécuriser les financements communautaires et garantir un accès plus large aux crédits.
Les stratégies et programmes de soutien aux entrepreneur·e·s du secteur informel en Haïti ont permis des avancées significatives, notamment à travers les initiatives de microfinance, les formations en gestion et les programmes de structuration économique. Toutefois, des lacunes persistent en matière de couverture, de coordination et d’adaptation aux réalités locales. Pour renforcer l’intégration et la formalisation progressives du secteur informel, il est essentiel de développer des politiques publiques plus inclusives, d’améliorer l’accès aux financements et d’accompagner les entrepreneur·e·s dans une transition durable vers l’économie formelle.
Or, face aux défis économiques, sociaux et environnementaux du pays, une telle orientation est non seulement nécessaire, mais urgente. Promouvoir l’économie sociale et solidaire en Haïti implique de reconnaître les acteurs informels comme des partenaires à part entière du développement, de leur fournir des outils adaptés et de bâtir une stratégie publique ancrée dans les territoires. Cela suppose un changement de paradigme : passer d’une logique de contrôle ou d’assistance à une logique d’accompagnement, de co-construction et de reconnaissance des initiatives endogènes.
Section 2. Dispositifs spécifiques pour les femmes entrepreneures en Haïti
L’entrepreneuriat féminin joue un rôle crucial dans l’économie haïtienne, en particulier dans les secteurs informel, agricole et de l’économie sociale et solidaire (ESS). Malgré leur forte présence dans les activités économiques, les femmes entrepreneures font face à des obstacles structurels importants, tels que l’accès limité aux financements, le manque de formation en gestion d’entreprise, les contraintes socioculturelles et l’absence de protection sociale.
Les politiques publiques et initiatives privées visant à soutenir l’entrepreneuriat en Haïti restent largement neutres en termes de genre, ne tenant pas toujours compte des spécificités et des besoins des femmes entrepreneures (MCFDF 2020). Toutefois, certaines initiatives ciblées ont émergé, portées par l’État, des ONG et des institutions internationales. Cette section examine l’existence (ou l’absence) de dispositifs spécifiques dédiés aux femmes entrepreneures, en mettant en lumière les programmes existants, leurs limites et les pistes d’amélioration.
1. Cadre législatif et politiques publiques en faveur de l’entrepreneuriat féminin
Haïti ne dispose pas à ce jour d’une politique nationale spécifique de l’entrepreneuriat féminin ni d’une stratégie multisectorielle intégrée visant à soutenir les femmes entrepreneures dans leur diversité (rurales, urbaines, artisanes, commerçantes, productrices, transformatrices, etc.).
1.1 Un cadre juridique insuffisant pour l’inclusion économique des femmes
En Haïti, le cadre législatif relatif à l’entrepreneuriat féminin est encore limité, bien que certaines lois et politiques nationales reconnaissent l’importance des femmes dans le développement économique :
-
La Constitution haïtienne de 1987 affirme l’égalité entre les sexes, mais ne prévoit pas de mesures spécifiques pour garantir l’inclusion des femmes dans l’économie.
-
Le Plan stratégique de Développement d’Haïti (PSDH, 2010-2030) mentionne l’importance d’intégrer les femmes dans l’économie formelle et de soutenir l’entrepreneuriat féminin, mais sans plan d’action détaillé (MPCE 2012).
-
La Loi sur les coopératives (2018) offre une opportunité aux femmes entrepreneures en facilitant la création de coopératives et l’accès au crédit collectif.
-
Le Plan national d’Égalité femmes-hommes (PNEFH, 2014-2034) inclut des recommandations pour favoriser l’inclusion économique des femmes, mais leur mise en œuvre reste limitée (MCFDF 2020).
Bien que ces textes reconnaissent l’importance de l’entrepreneuriat féminin, aucun cadre réglementaire contraignant ne garantit un accès équitable aux financements, aux marchés et aux opportunités économiques pour les femmes entrepreneures.
1.2 Absence de dispositifs fiscaux incitatifs pour les femmes entrepreneures
Contrairement à certains pays où des incitations fiscales existent pour encourager l’entrepreneuriat féminin, Haïti ne propose pas encore d’avantages fiscaux spécifiques pour les entreprises dirigées par des femmes :
-
Les taxes restent uniformes, sans distinction entre les entreprises dirigées par des hommes et celles dirigées par des femmes.
-
Les exonérations fiscales ne concernent pas spécifiquement les entrepreneures, ce qui limite leur compétitivité, notamment dans les secteurs émergents.
Cette absence d’avantages fiscaux ciblés freine l’émergence de structures économiques féminines formalisées et compétitives. Malgré ces déclarations, l’absence de loi-cadre ou de fonds publics pérennes limite la portée de ces orientations politiques, qui restent largement dépendantes de projets internationaux ou de volontés ministérielles non coordonnées.
2. Programmes et initiatives de soutien aux femmes entrepreneures
L’entrepreneuriat féminin en Haïti constitue une composante essentielle de l’économie populaire, particulièrement dans les secteurs du commerce informel, de l’agriculture vivrière, de l’artisanat et des services. Les femmes y représentent non seulement une majorité des acteurs économiques de base, mais également des piliers de la résilience des familles et des communautés. Pourtant, malgré leur rôle crucial, les femmes entrepreneures restent marginalisées dans les politiques économiques traditionnelles et ne bénéficient que de dispositifs publics spécifiques limités, inégalement répartis, souvent ponctuels et peu institutionnalisés.
Cette section examine en profondeur les dispositifs d’appui conçus pour les femmes entrepreneures en Haïti. Elle s’attarde sur les principales initiatives gouvernementales, les programmes en partenariat avec les bailleurs internationaux, les cadres juridiques partiels existants, et les limites structurelles de ces interventions. Elle met également en lumière les opportunités émergentes pour une meilleure inclusion des femmes dans une logique d’économie solidaire et territorialisée.
2.1 Les dispositifs publics de financement et de soutien aux femmes entrepreneures
L’accès au financement est l’un des principaux obstacles au développement des entreprises dirigées par des femmes. L’État haïtien et certaines institutions financières ont mis en place des programmes de financement spécifiques, mais leur impact demeure insuffisant :
-
Le Fonds de Développement Industriel (FDI) : ce programme public vise à soutenir les petites entreprises, mais ne cible pas spécifiquement les femmes. Les conditions d’éligibilité (garantie foncière, apport initial) restent peu adaptées aux entrepreneures, qui détiennent rarement des actifs fonciers.
-
Le Programme national de Microfinance (PNMF) : destiné aux microentreprises, il inclut des prêts à faible taux d’intérêt. Les femmes entrepreneures représentent une part importante des bénéficiaires, mais aucune politique de quotas n’existe pour garantir leur inclusion.
2.2 Les initiatives de microfinance pour les femmes entrepreneures
a) Programme Kore Fanm (2012–2016)
Lancé après le séisme de 2010 avec le soutien du FAES et du MCFDF, Kore Fanm a été l’un des rares programmes à cibler explicitement les femmes entrepreneures informelles. Il combinait : une aide financière directe (subvention ou microcrédit), des formations de base en gestion et un accompagnement post-création d’activité.
Plus de 10 000 femmes auraient été touchées à travers le pays, notamment dans les quartiers populaires urbains et certaines zones rurales. Cependant, l’absence de mécanisme de suivi structuré, la courte durée du programme et le manque d’adossement à un dispositif institutionnel durable en ont limité les effets à long terme (CEPALC 2021).
b) Les initiatives du MCFDF : formations et appuis ponctuels
Le Ministère à la Condition féminine organise régulièrement, en partenariat avec des ONG ou des agences comme le PNUD ou ONU Femmes, des ateliers de formation à l’entrepreneuriat, des foires de produits locaux, ou des campagnes de sensibilisation sur les droits économiques des femmes. Ces actions, bien que pertinentes, restent ponctuelles, faiblement dotées et concentrées dans les zones urbaines, avec peu de continuité (MCFDF 2020). Le MCFDF ne dispose ni de fonds propres ni de représentations techniques décentralisées solides pour animer durablement une politique publique d’autonomisation économique féminine.
c) Accès au financement : microcrédit, tontines et finance solidaire
Le microcrédit constitue la principale modalité d’accès au financement pour les femmes entrepreneures haïtiennes. Des institutions comme Fonkoze, KOTELAM, Sogesol, ou Palmis Mikwofinans ont développé des produits de crédit adaptés aux réalités des femmes en situation d’informalité. Fonkoze, par exemple, dispose d’un programme appelé Ti Krediti Fanm, qui combine prêt, formation et épargne solidaire (Banque Mondiale 2021).
Cependant, ces dispositifs s’adressent surtout à des activités à court terme et à faible intensité capitalistique, et ils impliquent souvent une pression sur le remboursement qui ne prend pas en compte les aléas économiques et personnels des femmes en situation de précarité. Par ailleurs, ces produits ne couvrent qu’une partie restreinte des besoins d’investissement, notamment en matière d’équipement ou d’innovation.
En complément, les femmes s’organisent autour de mécanismes communautaires de crédit tels que les tontines, les « sòl » ou les mutuelles locales, qui constituent des formes d’épargne-rotation traditionnelles. Ces instruments, bien qu’informel·le·s, jouent un rôle fondamental dans la capitalisation de base et le lissage des revenus.
d) Programmes de soutien à l’entrepreneuriat rural féminin
Certains projets pilotes, notamment appuyés par la FAO, le PAM, ou des ONG comme AVSF et CESAL, ont ciblé les femmes rurales à travers : la mise en place de groupements de productrices, la fourniture d’intrants, la formation en agroécologie et l’appui à la commercialisation.
Des expériences notables ont été menées dans l’Artibonite, la Grand’Anse, le Nord-Est et le Plateau Central. Toutefois, ces programmes restent isolés, dépendants de financements extérieurs, et ne sont pas intégrés dans une politique publique agricole nationale genrée (CEPALC 2021).
3. Les réseaux et coopératives féminines comme levier de structuration économique
3.1 Les coopératives agricoles et artisanales dirigées par des femmes
Les coopératives jouent un rôle clé dans l’entrepreneuriat féminin, notamment en facilitant l’accès aux ressources, la formation et la commercialisation des produits :
-
La Coopérative Fanm Vanyan (Artibonite) :
-
Regroupe plus de 300 femmes agricultrices, leur permettant d’optimiser la production, d’accéder à des financements collectifs et de mieux négocier les prix.
-
-
Les coopératives artisanales de Jacmel :
-
Regroupent des créatrices de bijoux, textiles et objets décoratifs, facilitant l’exportation des produits vers l’international.
-
3.2 Associations de soutien aux entrepreneures
Des réseaux d’accompagnement et de plaidoyer existent pour défendre les droits économiques des femmes entrepreneures :
-
Femmes en Démocratie : réseau militant pour l’inclusion des femmes dans l’économie et la politique.
-
Fanm Deside : accompagne les entrepreneures dans l’accès aux financements et aux formations.
Les dispositifs actuels de soutien à l’entrepreneuriat féminin présentent plusieurs faiblesses systémiques :
-
Absence de politique nationale structurée : les actions sont dispersées, sans vision de long terme, sans indicateurs de suivi, ni coordination interinstitutionnelle;
-
Faible territorialisation des dispositifs : la majorité des initiatives est concentrée dans les villes, en particulier dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, laissant les femmes rurales dans une relative invisibilité;
-
Manque d’intégration des approches genre et ESS : les politiques économiques ne prennent que rarement en compte la dimension collective, solidaire et reproductive du travail féminin, se focalisant sur l’individu-entrepreneure au détriment des dynamiques collectives d’entraide, de transformation territoriale et de développement durable;
-
Peu de reconnaissance institutionnelle des savoirs locaux et des pratiques informelles féminines : les marchés de rue, la transformation domestique, les circuits de vente alternatifs sont rarement intégrés aux stratégies nationales de développement économique.
4. Défis et perspectives pour renforcer l’entrepreneuriat féminin
Si l’État haïtien a, par moments, reconnu l’importance de l’entrepreneuriat féminin dans ses politiques, il n’a pas encore su bâtir un cadre institutionnel cohérent, pérenne et inclusif pour soutenir, valoriser et renforcer les initiatives économiques des femmes. Les dispositifs existants, bien qu’utiles, sont dispersés, ponctuels et souvent inadaptés aux réalités sociales et économiques des femmes entrepreneures, en particulier en milieu rural et informel.
4.1 Obstacles persistants
Malgré les avancées, plusieurs défis restent à surmonter :
-
Manque de financements adaptés : peu de fonds publics et privés sont spécifiquement dédiés aux entrepreneures.
-
Absence de formation généralisée en gestion, comptabilité et marketing.
-
Contraintes socioculturelles limitant l’accès des femmes aux opportunités économiques.
-
Faible intégration des femmes aux réseaux d’affaires et aux opportunités d’exportation.
4.2 Recommandations pour un meilleur soutien aux entrepreneures :
Pour renforcer l’autonomisation économique des femmes entrepreneures en Haïti dans une logique de justice sociale et d’économie solidaire, plusieurs leviers peuvent être mobilisés :
-
Élaborer une politique publique nationale de soutien à l’entrepreneuriat féminin, articulée aux politiques sectorielles (agriculture, commerce, ESS, formation professionnelle, aménagement du territoire);
-
Créer un fonds public pour les femmes entrepreneures, avec des lignes spécifiques pour les initiatives collectives, les zones rurales et les activités relevant de l’ESS;
-
Renforcer les dispositifs de formation à l’économie solidaire, en s’appuyant sur les réseaux de coopératives, les associations de femmes, les universités rurales et les savoirs communautaires;
-
Décentraliser les dispositifs d’appui, en créant des guichets territoriaux mixtes (publics et communautaires), où les femmes peuvent accéder à des services adaptés, du conseil, du financement et de la mise en réseau;
-
Intégrer l’analyse de genre dans toutes les politiques de soutien à l’entrepreneuriat, avec des indicateurs de résultats différenciés par sexe, zone géographique, type d’activité et niveau de capitalisation.
Si quelques initiatives en faveur des femmes entrepreneures existent en Haïti, elles restent fragmentées et insuffisamment intégrées dans les politiques publiques. L’absence d’un cadre réglementaire clair et de dispositifs fiscaux incitatifs freine leur inclusion économique. Pour un réel changement, l’État doit structurer des programmes de financement, renforcer la formation et faciliter l’accès aux marchés pour les entreprises dirigées par des femmes.
Promouvoir une véritable stratégie nationale de soutien à l’entrepreneuriat féminin suppose de dépasser les logiques d’assistance ou de micro-intervention, pour construire une politique publique ancrée dans les territoires, sensible au genre, basée sur la reconnaissance des pratiques locales, et ouverte aux formes collectives et solidaires d’économie. C’est à cette condition que l’on pourra envisager une transformation structurelle du développement haïtien, dans une perspective d’équité, de résilience et de durabilité.
Section 3. Comparaison des politiques publiques en faveur de l’ESS et de l’entrepreneuriat féminin en Haïti et dans d’autres pays d’Amérique latine
L’économie sociale et solidaire (ESS) et l’entrepreneuriat féminin jouent un rôle essentiel dans le développement économique et social des pays d’Amérique latine et des Caraïbes (ALC). Plusieurs États de la région ont mis en place des cadres législatifs, des programmes de soutien et des incitations fiscales pour favoriser l’intégration des femmes entrepreneures et des travailleuses du secteur informel dans l’économie formelle (CEPALC 2021).
En Haïti, bien que l’ESS soit reconnue comme un levier de développement, les politiques publiques demeurent fragmentées et insuffisamment mises en œuvre, ce qui limite leur impact. À l’inverse, des pays comme le Brésil, la Colombie et la République dominicaine ont adopté des stratégies structurées pour promouvoir l’entrepreneuriat solidaire et féminin, facilitant ainsi l’accès aux financements, aux marchés et aux opportunités économiques.
Cette section propose une comparaison entre les politiques haïtiennes et celles d’autres pays de la région, en mettant en lumière les bonnes pratiques qui pourraient inspirer des améliorations en Haïti.
1. Cadre législatif et institutionnel : Haïti face aux modèles latino-américains
1.1 Haïti : Un cadre juridique encore embryonnaire
En Haïti, les politiques publiques liées à l’ESS et à l’entrepreneuriat féminin restent limitées (CEPALC 2021). Quelques textes existent, mais ils manquent d’un cadre d’application clair et structuré :
-
Absence de loi spécifique sur l’ESS : contrairement à d’autres pays de la région, Haïti ne possède aucune législation formelle régissant les entreprises sociales, les coopératives et les structures de l’ESS.
-
Loi sur les coopératives (2018) : permet l’enregistrement des coopératives, mais ne prévoit pas de dispositifs incitatifs clairs pour favoriser leur développement.
-
Plan national d’Égalité femmes-hommes (2014-2034) : bien que ce plan mentionne l’inclusion économique des femmes, il manque de mécanismes concrets pour favoriser l’entrepreneuriat féminin (MCFDF 2020).
1.2 Brésil : Une politique publique proactive en faveur de l’ESS
Le Brésil est un modèle en matière de législation et de soutien à l’ESS :
-
Loi sur l’Économie solidaire (2012) : cette loi reconnaît officiellement les entreprises sociales et coopératives, leur donnant accès à des exonérations fiscales, des financements publics et des marchés préférentiels.
-
Programmes de soutien aux femmes entrepreneures : le gouvernement a lancé des fonds de microfinance ciblés pour les femmes, couplés à des formations en gestion d’entreprise.
-
Accès aux marchés publics : une part des marchés publics est réservée aux coopératives et entreprises sociales, favorisant ainsi leur compétitivité.
1.3 Colombie : Un cadre légal renforcé et un soutien aux microentreprises féminines
La Colombie a adopté un cadre législatif spécifique pour l’ESS et l’entrepreneuriat féminin :
-
Loi sur l’ESS (2011) : reconnaît les entreprises sociales et leur permet d’accéder à des avantages fiscaux et à des fonds de développement.
-
Programme « Mujer Emprende » : un programme national offrant des subventions et des crédits à faible taux aux entrepreneures du secteur informel.
-
Inclusion dans le système de protection sociale : les microentreprises féminines bénéficient d’un accès progressif à la sécurité sociale et aux cotisations allégées.
1.4 République dominicaine : Des initiatives en faveur de la formalisation du secteur informel
Pays voisin d’Haïti, la République dominicaine a mis en place des politiques visant à structurer l’ESS et l’entrepreneuriat féminin :
-
Loi sur l’Économie solidaire (2013) : facilite la création et le financement des coopératives et des mutuelles.
-
Programme « Banca Solidaria » : initiative de microfinance permettant aux femmes entrepreneures d’accéder à des crédits à faible taux d’intérêt.
-
Programme de formalisation des entreprises informelles : incitations fiscales et simplification des démarches administratives pour encourager les microentreprises à s’enregistrer officiellement.
2. Accès au financement et aux marchés
L’un des principaux défis des entrepreneures haïtiennes est le manque d’accès au financement. Comparé aux autres pays de la région, Haïti offre très peu de dispositifs spécifiques pour appuyer les femmes entrepreneures.
2.1 Haïti : Un accès limité aux financements dédiés aux femmes
-
Absence de fonds nationaux dédiés aux entrepreneures : contrairement à la Colombie ou au Brésil, Haïti ne dispose pas de fonds de développement spécifiques pour les femmes entrepreneures.
-
Forte dépendance aux institutions de microfinance privées : Fonkoze, Kiva et d’autres organismes comblent en partie ce vide, mais ces financements restent insuffisants pour permettre l’expansion des entreprises dirigées par des femmes.
2.2 Exemples de bonnes pratiques en Amérique latine
-
Brésil : Programme « CrediAmigo »
-
Programme de microcrédit géré par la Banque du Brésil, dédié aux femmes entrepreneures.
-
Offre des crédits à taux réduits, accompagnés de formations en gestion d’entreprise.
-
A permis la création de plus de 1,5 million de microentreprises féminines.
-
-
Colombie : Programme « Fondo Mujer »
-
Fonds de garantie permettant aux femmes sans actifs de bénéficier de prêts bancaires.
-
Accompagnement en marketing, exportation et gestion financière.
-
-
République dominicaine : Incitations fiscales pour les entreprises féminines
-
Exonérations fiscales pour les entreprises dirigées par des femmes durant les cinq premières années.
-
Accès facilité aux marchés publics pour les entreprises appartenant à des femmes.
-
3. Recommandations pour améliorer les politiques haïtiennes
3.1 Renforcement du cadre législatif
-
Adopter une loi sur l’ESS, reconnaissant les entreprises sociales et leur offrant des avantages fiscaux et un accès facilité aux financements.
-
Créer un cadre juridique spécifique pour l’entrepreneuriat féminin, inspiré des modèles colombien et brésilien.
3.2 Amélioration des dispositifs de financement
-
Mettre en place un Fonds National d’Appui aux Femmes Entrepreneures, avec des crédits à faible taux et des garanties publiques.
-
Développer des programmes de microfinance étatiques, en partenariat avec des banques locales.
-
Accorder des incitations fiscales aux entreprises dirigées par des femmes (exonérations temporaires, réductions d’impôts).
3.3 Accès aux marchés et formalisation des entreprises
-
Réserver un pourcentage des marchés publics aux entreprises féminines, comme en Colombie.
-
Simplifier les démarches de formalisation des microentreprises, en s’inspirant du modèle dominicain.
-
Encourager la digitalisation des entreprises féminines, pour leur permettre d’accéder aux marchés internationaux.
L’analyse comparative avec les pays d’Amérique latine et des Caraïbes montre le retard d’Haïti en matière de soutien à l’ESS et à l’entrepreneuriat féminin. Contrairement au Brésil, à la Colombie ou à la République dominicaine, Haïti ne dispose pas encore d’un cadre législatif structuré ni de dispositifs spécifiques de financement et d’incitation fiscale (CEPALC 2021). Pour favoriser une meilleure inclusion économique des femmes et un développement durable de l’ESS, l’État haïtien doit renforcer son cadre réglementaire, développer des fonds d’investissement dédiés et faciliter l’accès aux marchés et à la formalisation des entreprises.

Cette illustration met en évidence l’interaction entre les acteurs publics et les initiatives de l’Économie sociale et solidaire (ESS) en Haïti. Elle représente les opportunités et les défis liés aux politiques publiques visant à structurer l’ESS. Voici les éléments clés représentés :
-
Les Discussions entre les Acteurs publics et les Entrepreneur·e·s ESS. Au premier plan, des fonctionnaires gouvernementaux sont en discussion avec des leaders de coopératives et des micro-entrepreneur·e·s, symbolisant les négociations et le rôle de l’État dans la régulation et le soutien de l’ESS. Cette scène illustre les efforts de dialogue entre les institutions publiques et les acteurs économiques locaux, bien que ces discussions soient souvent limitées par un manque de coordination et de moyens;
-
Les Infrastructures publiques soutenant l’ESS. En arrière-plan, on distingue plusieurs infrastructures publiques essentielles au développement de l’ESS : des bureaux d’aide financière, représentant les fonds publics et programmes de microfinance soutenus par l’État. Des centres de formation et d’accompagnement des entrepreneur·e·s, mettant en avant l’importance du renforcement des capacités pour structurer l’ESS. Des marchés coopératifs, illustrant l’intégration des initiatives locales dans les circuits économiques officiels;
-
Les Obstacles à la Mise en Œuvre des Politiques publiques. L’image montre également des barrières bureaucratiques et des files d’attente, symbolisant les lenteurs administratives et le manque d’accessibilité des dispositifs d’accompagnement. Des entrepreneur·e·s ESS semblent faire face à des difficultés d’accès aux financements, illustrant l’un des principaux défis liés à la formalisation et au développement de ces initiatives;
-
Les Opportunités et Dynamiques de Coopération. L’image traduit également une tentative de structuration du dialogue public-privé, où des initiatives ESS tentent d’accéder aux ressources publiques et aux infrastructures de soutien. Cette coopération est essentielle pour renforcer l’impact des politiques publiques sur l’ESS et favoriser son intégration dans le modèle économique national.
Cette illustration met en lumière les forces et faiblesses des politiques publiques haïtiennes en faveur de l’ESS :
-
Les efforts de structuration existent, mais les initiatives ESS peinent à accéder aux financements et accompagnements institutionnels nécessaires;
-
Le manque d’infrastructures adaptées et la lourdeur bureaucratique freinent l’essor de l’ESS, rendant difficile la mise en place de coopératives et d’entreprises sociales;
-
Les interactions entre les acteurs publics et privés sont encore insuffisamment développées, limitant la reconnaissance institutionnelle et la pérennisation des initiatives solidaires.
Pour renforcer l’impact des politiques publiques sur l’ESS, il est nécessaire de :
-
Améliorer la gouvernance et la coordination entre l’État, les collectivités locales et les acteurs ESS;
-
Faciliter l’accès aux financements publics et privés, notamment via des fonds nationaux dédiés à l’ESS;
-
Réduire la bureaucratie et simplifier les démarches administratives, afin que les entreprises ESS puissent bénéficier plus rapidement des dispositifs de soutien;
-
Encourager la création de plateformes de dialogue et de consultation, permettant aux entrepreneur·e·s ESS de faire entendre leurs besoins et propositions auprès des décideurs politiques.
Cette illustration met ainsi en exergue la nécessité d’une politique publique plus inclusive et proactive, pour permettre à l’ESS de jouer pleinement son rôle dans le développement économique et social d’Haïti.
Conclusion du chapitre
L’analyse des politiques publiques haïtiennes en faveur de l’économie sociale et solidaire (ESS) met en évidence des avancées limitées et un cadre institutionnel encore insuffisant pour soutenir pleinement les initiatives entrepreneuriales féminines et informelles. Bien que certaines lois et stratégies existent sur le papier, leur mise en œuvre demeure incomplète et manque d’un cadre structurant permettant une véritable transformation économique inclusive.
L’ESS est reconnue comme un levier de développement durable en Haïti, mais l’absence d’une loi spécifique encadrant ce secteur limite son essor. Contrairement à des pays comme le Brésil, la Colombie ou la République dominicaine, où des cadres juridiques robustes ont été mis en place pour structurer les coopératives, les entreprises sociales et l’entrepreneuriat féminin, Haïti peine à institutionnaliser et à réglementer l’ESS de manière cohérente. Les dispositifs existants, tels que la Loi sur les coopératives (2018) ou le Plan national d’Égalité femmes-hommes (2014-2034), posent les bases d’une meilleure inclusion économique des femmes, mais leur application reste limitée en raison d’un manque de coordination interinstitutionnelle, de faibles moyens financiers et d’un encadrement insuffisant.
Les stratégies et programmes en faveur des entrepreneur·e·s du secteur informel existent, mais restent sous-financés et mal adaptés aux réalités des bénéficiaires. Les initiatives de microfinance et de formation en gestion (ex. : Fonkoze, Kredifanm, Fonds de Développement industriel) offrent un soutien partiel, mais elles ne touchent qu’une fraction des entrepreneur·e·s en raison de critères d’éligibilité restrictifs et de la difficulté d’accès aux services financiers en milieu rural.
Les femmes entrepreneures, qui constituent une majorité des travaill·eur·euse·s du secteur informel, sont particulièrement vulnérables. Leur accès au crédit est limité, les opportunités de formation sont peu accessibles en dehors des grandes villes, et elles ne bénéficient pas d’incitations fiscales ou de quotas d’accès aux marchés publics, comme c’est le cas en Colombie ou en République dominicaine. L’étude comparative avec d’autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes montre qu’Haïti accuse un retard considérable dans la mise en place de politiques publiques structurantes en faveur de l’ESS. Des pays comme le Brésil et la Colombie ont développé des cadres juridiques solides, des fonds de soutien et des incitations fiscales qui ont favorisé l’inclusion des travaill·eur·euse·s du secteur informel et des femmes entrepreneures.
En République dominicaine, des programmes de formalisation des microentreprises, des fonds de microfinance et des mesures fiscales spécifiques ont permis d’améliorer l’insertion des entrepreneur·e·s informel·le·s et de stimuler l’économie solidaire. Haïti, en revanche, manque encore de dispositifs similaires, ce qui freine le potentiel de structuration et de développement du secteur. Pour renforcer l’ESS et soutenir les femmes entrepreneures en Haïti, plusieurs actions prioritaires devraient être mises en place :
-
Adopter une loi-cadre sur l’ESS, reconnaissant et structurant les entreprises sociales, les coopératives et les mutuelles avec des avantages fiscaux et un accès aux financements publics.
-
Créer un Fonds National d’Appui aux Femmes Entrepreneures, avec des prêts à faible taux et des subventions ciblées, inspiré du modèle colombien.
-
Faciliter l’accès aux marchés publics pour les entreprises féminines, en réservant un quota de contrats gouvernementaux aux structures dirigées par des femmes.
-
Simplifier la formalisation des microentreprises grâce à des démarches administratives allégées et des incitations fiscales, comme en République dominicaine.
-
Développer des formations en gestion, en comptabilité et en digitalisation accessibles aux entrepreneures rurales et urbaines, en intégrant des plateformes numériques et des partenariats avec des ONG spécialisées.
-
Améliorer la coordination entre les institutions publiques et les acteurs privés pour éviter la dispersion des initiatives et garantir une mise en œuvre efficace des politiques de soutien à l’ESS.
L’ESS représente une opportunité majeure pour le développement économique et social d’Haïti, mais son potentiel reste sous-exploité en raison de l’absence de politiques publiques adaptées et structurées. Pour que l’ESS puisse jouer pleinement son rôle en tant que moteur de l’inclusion économique et de la résilience sociale, il est impératif que l’État haïtien mette en place des réformes ambitieuses, s’inspirant des bonnes pratiques mises en œuvre ailleurs dans la région.
Ce chapitre a permis d’identifier les lacunes des politiques publiques actuelles et de mettre en lumière les mesures qui pourraient permettre une meilleure inclusion des femmes entrepreneures et des travailleuses du secteur informel. Le chapitre suivant s’intéressera aux stratégies possibles pour améliorer la gouvernance de l’ESS en Haïti, en analysant les rôles des acteurs publics, privés et internationaux dans la structuration et le renforcement de ce secteur clé.