Des néo-communs en construction ou l’apprentissage de la compatibilité des communs fonciers avec le droit

Là où, dans les interstices, s’expérimentent de nouvelles juridicités partagées, entre l’État et le marché généralisé

Les pages précédentes ont identifié, avec les primo-communs, des différenciations caractéristiques à partir d’une lecture dualiste mettant en opposition le droit que nous pratiquons dans la modernité et les habitus que valorisent les communs. Ces oppositions doivent être dépassées. La publication des actes de la journée d’études organisée par l’Académie des sciences d’outre-mer (Asom) en novembre 2016 (Delmas et Le Roy, 2019) a apporté des propositions nouvelles, en particulier dans le domaine de l’analyse juridique avec les contributions de Sigrid Aubert et de Philippe Karpe.

Une des oppositions les plus notables concerne le caractère inclusif des communs et le caractère exclusif des droits de propriété : c’est l’exclusivisme qui fut le facteur mortifère des communs. Les travaux d’Alain Karsenty (2019) sur la gestion des forêts d’Afrique centrale illustrent comment on tente de réintroduire l’inclusivisme des communs au centre des modes de gestions forestiers des sociétés capitalistes, au profit tant des populations autochtones que d’une gestion écologiquement raisonnable.

Une autre opposition, peu interrogée, distingue l’endogenèse chez les populations à organisation communautaire et l’exogenèse qui, depuis le mythe fondateur de la création du monde dans la Genèse, est au fondement des conceptions des institutions en Occident. En travaillant sur les nouvelles pratiques foncières en réponse aux stratégies d’accaparement de terres à grande échelle (Land grabbing), j’ai mis en évidence de nouvelles approches qui associent le double mouvement intérieur et extérieur à un processus qui a été qualifié, à la suite de certains auteurs, de « glocalisation » (Le Roy, 2013), un barbarisme qui tente d’expliquer les liens nouveaux entre le global et le local.

La relation entre le partage et l’échange a pu être également réévaluée en examinant des pratiques de troc respectant des conditionnalités qui relient l’idée de gratuité supposée du don (Le Roy, 2012) avec les contraintes du marché plus ou moins généralisé, par exemple dans le cas des banques alimentaires. Le rôle des monnaies a été également singulièrement rediscuté et des expériences de monnaies locales se développent partout dans le monde capitaliste.

Un autre niveau d’analyse, sans doute pas le dernier, tient à la place que prennent les communs immatériels à partir et autour de la révolution numérique. Une révolution de la connaissance est en cours sur la simple base d’algorithmes ou de matériel informatique en 3D qui changent les conditions de prévision ou de construction d’objets.

Comme je le soulignais au terme du chapitre précédent, ce sont bien ces néo-communs qui posent actuellement les questions les plus cruciales quant à l’avenir de nos modèles de sociétés. Dans cette partie, j’explore les implications et les enjeux de plusieurs dispositifs de néo-communs qui, dans leur rencontre et leurs tensions avec l’État et le Marché généralisé, s’inscrivent dans ce qu’on dénomme généralement « des communs administrés » et « des communs marchandisés ».

Je commence par un exemple africain, suivi continument depuis le milieu des années 1980. Le chapitre « Des communs contestés, un État en échec. Le chantier avorté de la décolonisation juridique des politiques foncières, exemple du Mali » analyse la finitude d’un droit positif importé, l’échec de l’État en Afrique et la tragédie vécue des commoneurs et commoneuses face à la diffusion non maîtrisée du droit de propriété privée.

L’exemple comorien du chapitre qui suit est aussi associé à une pratique de terrain que je mène depuis 1986. Le chapitre « Les communs et le marché. Exemples d’hybridations en cours » modifie cependant la vue pessimiste du chapitre précédent en expliquant comment des métissages associant échanges sur le marché et partages solidaires permettent de relancer et de pérenniser des solutions endogènes à l’ombre de l’État et en mobilisant le minimum de droit positif. De tels métissages sont également actifs parmi les Premières nations du Canada. Leur ignorance par les institutions étatiques met à mal la construction d’une citoyenneté interculturelle.

Le dernier chapitre propose une ouverture sur des contextes de crise du modèle d’État protecteur ou du capitalisme. Intitulé « Ici et maintenant« , il présente des thématiques en débat dans ma région, la Picardie, avec les Laboureurs du Vermandois et la fin d’un modèle productiviste. J’y ajoute quelques remarques sur la mobilisation « implicite et inférentielle » des communs et d’une juridicité du « faire » avec quelques propositions de politique juridique émanant de recherches récentes.

La conclusion, « De la procrastination dans les politiques juridiques », propose quelques lignes critiques et stratégiques pour favoriser une réception de la culture des communs.

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La révolution des communs et le droit Droit d'auteur © 2021 par Étienne Le Roy est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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