Les auteures et auteurs
17 Wangari Maathai, Kenya (1940-2011)
Julie Lachance-Trottier
Cette femme de sciences kenyane n’était en rien prédisposée à une carrière politique et encore moins à recevoir un prix Nobel de la paix. Pourtant, après des années de travail acharné, c’est ce qu’elle réalisa. Sa lutte pour l’égalité des sexes, la liberté, la justice sociale, l’environnement et la démocratie fut le combat de toute une vie. Face à la discrimination et à l’intimidation perpétrée contre elle, surtout de la part du régime autoritaire d’Arap Moi, elle s’est toujours tenue debout. Portrait d’une femme d’exception dont le courage et la détermination ont été exemplaires.
Enfance kikuyu
Wangari Muta Maathai est née le 1er avril 1940 dans un petit village kenyan du nom d’Ihithe, en plein cœur d’une réserve indigène délimitée par les Britanniques. Muta est le nom de son père et Mathai est le nom de famille de son mari, auquel elle ajouta un « a » après qu’ils aient divorcé.
Ses parents étaient des paysans de la tribu des Kikuyu, l’ethnie majoritaire au Kenya. Elle était la troisième de six enfants. À l’époque, la tribu vivait de la terre fertile, qui leur fournissait de belles récoltes de blé, de maïs et de canne à sucre ainsi que du bétail en abondance. La culture kikuyu inculquait aux enfants, dès leur plus jeune âge, un profond respect de la nature, de l’eau et de la terre. Cette culture a aussi transmis une valeur essentielle à Wangari : le sens de la justice.
École et études universitaires
Comme beaucoup d’enfants de cette époque, Wangari fut scolarisée et évangélisée par des missionnaires britanniques. À 11 ans, elle entra au collège Sainte-Cécile, un pensionnat de filles où elle se convertit au catholicisme et choisit de porter le nom Mary-Jo, diminutif de Mary-Josephine, abandonnant son prénom kikuyu. À 16 ans, elle décida de poursuivre ses études au lycée de filles Loreto à Limuru, dans les environs de Nairobi. Trois ans plus tard, ayant terminé ses études secondaires, elle se trouva devant les deux seules perspectives de carrière possibles pour une fille de son âge : enseignante ou infirmière. Les deux possibilités ne la tentaient guère.
En 1960, Wangari fut sélectionnée pour le « pont aérien » de John F. Kennedy, qui permettait d’envoyer les meilleurs élèves des jeunes nations africaines étudier aux États-Unis. Elle partit donc à l’âge de 20 ans faire ses études universitaires au Mount Saint Scholastica College dans la ville d’Atchison, au Kansas. Sa matière principale était la biologie et les sous-dominantes, la chimie et l’allemand. Elle obtint sa licence de sciences quatre ans plus tard et fut ensuite admise à l’université de Pittsburgh, en Pennsylvanie, pour faire une maîtrise de biologie.
Ses études aux États-Unis lui offrirent une perspective différente; s’ensuivirent réflexions et remises en question. Elle reprit son prénom kikuyu Wangari, ayant compris qu’en favorisant l’anglais, les jeunes générations kenyanes dépréciaient leurs langues maternelles et discréditaient leur culture, et donc, une partie d’eux-mêmes. Les multiples expériences de la vie dans la société américaine avaient nourri en elle « une farouche volonté d’apprendre, d’écouter, de réfléchir avec un esprit critique et analytique et de poser des questions », une volonté qui ne l’a jamais quittée par la suite (Maathai, 2007 : 126).
Wangari retourna au Kenya en 1966 quand elle fut approchée par des représentants de l’Institut universitaire de Nairobi afin d’y être assistante de recherche pour le département de zoologie. Par un concours de circonstances, elle n’obtint pas le poste et dut attendre quelques mois avant d’intégrer l’Institut, mais cette fois-ci à titre d’assistante de laboratoire pour le département d’anatomie vétérinaire.
De 1967 à 1969, elle alla poursuivre une partie de ses études doctorales à l’Université de Giessen, ainsi qu’à celle de Munich, en Allemagne. Finalement, à l’âge de 31 ans, elle fut « la première femme d’Afrique de l’Est et d’Afrique centrale à obtenir le titre de docteur ès sciences » (Maathai, 2007 : 149).
À l’âge de 29 ans, Wangari se maria à un homme politique du nom de Mwangi Mathai. Ils eurent trois enfants ensemble : deux garçons, Waweru et Muta, et une fille, Wanjira. En 1976, elle fut la première femme à accéder à la direction du département d’anatomie vétérinaire de l’Université de Nairobi et, un an plus tard, au poste de professeure associée. Par la suite, son mari demanda le divorce en l’accusant faussement d’adultère et ils divorcèrent en 1979.
Mouvement de la ceinture verte
L’engagement citoyen de Wangari Maathai ne cessa de croître avec le temps. Elle était active dans plusieurs associations telles que la Croix-Rouge du Kenya, l’Association kenyane des femmes universitaires et le Centre de liaison sur l’environnement (CLE). En siégeant au CLE, Wangari comprit que pour proposer « des solutions durables aux problèmes de l’eau et de l’énergie », il fallait d’abord s’attaquer aux causes premières, c’est-à-dire « la déforestation à outrance, le défrichage et les pratiques agricoles non durables » (Wangari, 2007 : 164). Après avoir analysé les problèmes et compris leurs origines, une solution s’imposa d’elle-même, c’est-à-dire planter des arbres à grande échelle. C’est de l’idée de faire participer les femmes au reboisement qu’est né le Mouvement de la ceinture verte, le Green Belt Movement (GBM). À ce sujet, elle a dit :
L’idée, partie de mes racines, s’est nourrie d’autres sources de connaissance et d’action dont la confluence a pris des proportions qui ont dépassé mes plus folles espérances.
Elle put concrétiser son projet en étant élue au comité exécutif du Conseil national des femmes du Kenya (NCWK), puis comme vice-présidente et présidente. En juin 1977, la première ceinture verte fut plantée avec l’opération Save the Land Harambee. Le Mouvement commença à petite échelle, sur une base communautaire, pour ensuite s’agrandir et former de véritables ceintures vertes dans le paysage. Plus de 30 millions d’arbres ont été plantés depuis.
Elle tenta un saut dans l’arène politique aux législatives partielles de 1982 afin de faire avancer la cause des femmes, mais elle fut jugée non habilitée à se présenter par la Commission de surveillance des élections. Pour ce faire, elle avait démissionné de l’université et se retrouva donc sans emploi, sans maison, sans salaire et sans pension à l’âge de 41 ans.
Combat pour la démocratie
Toutes ces années lui prouvèrent que l’action militante était incontournable pour faire avancer les choses. Dès lors, le Mouvement ne sema plus seulement des arbres, mais aussi des idées. Il fit comprendre aux villageois que ceux-ci détenaient un réel pouvoir local et qu’ils pouvaient apporter eux-mêmes des solutions à leurs problèmes sans attendre l’aide du gouvernement. Des séminaires sur la sensibilisation civique et environnementale étaient organisés afin de débattre « de démocratie, de droits de l’homme, d’égalité des sexes et de pouvoir » (Maathai, 2007 : 223). En 1986, le Réseau panafricain de la Ceinture verte vit le jour et le Mouvement s’étendit à l’international.
Avec d’autres associations citoyennes, le Mouvement de la ceinture verte menait diverses actions en faveur de la démocratie, engageant les électeurs à s’inscrire sur les listes et militant activement pour les réformes politiques et le respect des libertés de pensée et d’expression. Au-delà de sa mission écologique, le Mouvement s’engageait ouvertement sur le terrain politique et dans le combat pour la démocratie.
Son propre combat pour la démocratie débuta en 1989 et fut marqué par trois événements majeurs.
Premièrement, elle s’opposa farouchement au projet immobilier de la tour Kenya Times de 60 étages au cœur du parc Uhuru, le seul « poumon vert » de Nairobi. Elle multiplia les lettres adressées au président du Kenya Times, aux administrations concernées et aux investisseurs étrangers. Après un ouragan médiatique, le projet fut totalement abandonné environ deux ans plus tard.
Deuxièmement, elle s’engagea dans l’association Release Political Prisoners (RPP) afin d’appuyer les femmes et les mères qui demandaient la libération de leurs fils. Après une année entière de grève de la faim et plusieurs interventions policières musclées, le régime autoritaire finit par libérer les prisonniers politiques en 1993.
Troisièmement, elle lutta contre le défrichage de la forêt de Karura en 1998. Elle affirma qu’elle ne pouvait pas « rester les bras croisés face à des atteintes aussi flagrantes aux droits des citoyens et à la destruction de l’un [des] plus beaux espaces verts » du Kenya (Maathai, 2007 : 333).
Réussite politique
Wangari tenta sa chance pour une deuxième fois en politique en 1997, alors qu’elle se présenta aux législatives pour la circonscription de Tetu et à la présidence, sous la bannière du parti libéral. Elle prôna le multipartisme, mais rapidement on déforma ses intentions et elle perdit ses élections.
Quelque temps après, elle fonda le parti Vert Mazingira. Son troisième essai fut le bon. Le président Daniel Arap Moi ayant enfin abandonné les rênes du pays et l’opposition ayant accepté de s’unir et de former la Coalition nationale arc-en-ciel (NARC), le rêve d’obtenir une démocratie représentative devint réalité. Wangari se présenta donc aux législatives avec un slogan fort évocateur : « Lève-toi et marche! ». Elle remporta son siège avec 98 % des votes et, en janvier 2003, fut nommée ministre déléguée à l’Environnement et aux Ressources naturelles. Elle resta à ce poste jusqu’en 2005 et décéda en 2011.
Reconnaissance internationale
En 2004, à l’âge de 64 ans, elle reçut le prix Nobel de la paix. Elle était la première Africaine à recevoir cette distinction. Elle fut choisie pour son approche holistique du développement durable et sa contribution à la démocratie et à la paix.
Je ne voyais qu’une façon de fêter dignement l’événement : en plantant un arbre, bien sûr! […] Un employé s’empressa de creuser un trou tandis qu’une foule de curieux et de journalistes s’attroupait pour assister à la scène et l’immortaliser : Wangari Maathai, prix Nobel de la paix, plantant un flamboyant de Nandi. (raconté dans Maathai 2005, p.401)
Elle fut louangée aussi pour sa mentalité « glocale », c’est-à-dire son choix de penser globalement en agissant localement. Elle n’a jamais arrêté de se battre et ne s’est jamais découragée. Elle a sacrifié son confort personnel, son intimité et sa sécurité la majeure partie de sa vie pour défendre ses convictions et pour aider les citoyens. À 52 ans, avec l’arthrite aux jambes et un mal au dos, elle dormait sur le béton froid d’une cellule de prison, qui lui valut un séjour à l’hôpital. Elle eut de nombreux démêlés avec la justice tout au long de sa carrière, ce qui la mit souvent en danger tant physiquement que mentalement. Toutefois, elle sut garder confiance en l’opinion publique et chercher les bons appuis au sein de la population.
Prix obtenus
Outre le prix Nobel, elle a reçu des dizaines de prix tels que le Prix Nobel alternatif (Right Livelihood Award) (1984), le Prix du leadership africain pour la fin durable de la faim (The Hunger Project) (1991), le Prix Goldman pour l’environnement (1991), le Prix Sophie (2004), la Légion d’honneur de la France (2006) et le Grand Cordon de l’Ordre du Soleil Levant du Japon (2009).
Elle a également reçu de nombreux honneurs, titres et doctorats honorifiques notamment d’universités japonaises et américaines.
Depuis 2012, un prix porte son nom, le Wangari Maathai Award. Ce prix a été lancé par le consortium international Collaborative Partnership on Forests. Elle a également obtenu d’autres doctorats honorifiques, tels que celui de la Syracuse University de New York en 2013. L’Université de Pittsburgh lui a rendu hommage en 2013 en créant un monument vivant (arbres et jardins) à sa mémoire.
Œuvres
Maathai, Wangari (2005), Pour l’amour des arbres. Préface de Nicolas Hulot et Gro-Harlem Brundtland. Paris : Éditions de l’Archipel, 164 p.
Maathai, Wangari (2010), Un défi pour l’Afrique. Essai, traduit de l’anglais (Kenya) par Isabelle Taudière. Paris : Éditions Héloïse d’Ormesson, 362 p.
Références
Maathai, Wangari (2007), Celle qui plante les arbres. Autobiographie, traduite de l’anglais (Kenya) par Isabelle Taudière. Paris : Éditions Héloïse d’Ormesson, 380 p.
Nobel Media (2004), « The Nobel Peace Prize for 2004 ». Wangari Maathai. Nobel Prizes and Laureates.
http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/peace/laureates/2004/press.html.
Stiehm, Judith Hicks (2006), Champions for Peace: Women Winners of the Nobel Peace Prize. Maryland : Rowman & Littlefield Publishers, Inc., 233 p.