Les auteures et auteurs
10 Mary Two-Axe Early, Québec (1911-1996)
Marie-Hélène Dubé
Mary Two-Axe Early est une figure de proue du mouvement de mobilisation des femmes autochtones au Canada et aux États-Unis. Dès les années 1960, elle a milité pour que ces femmes aient les mêmes droits que les hommes autochtones. Ses actions ont eu un immense rayonnement dans toute l’Amérique du Nord.
Une jeunesse partagée entre deux pays
Mary Two-Axe est née le 4 octobre 1911 sur la réserve iroquoise de Kahnawake (Canada). Fille d’un père mohawk et d’une mère oneida du Wisconsin, elle a d’abord vécu à Kahnawake avant de déménager dans le Dakota du Nord avec sa mère après la séparation de ses parents. Elle avait alors une dizaine d’années. Sa mère mourut quelques années plus tard de la grippe espagnole. Mary revint alors à Kahnawake où elle vécut avec ses grands-parents. Ceux-ci lui firent découvrir l’histoire de la nation iroquoise et lui transmirent les valeurs d’égalité et de démocratie qui y figuraient. Cette histoire eut beaucoup d’impact sur les décisions à venir de Mary.
À l’âge de 18 ans, Mary Two-Axe déménagea à New York où elle épousa Edward Early, un Américain d’origine irlandaise, avec qui elle eut deux enfants. Elle devint alors Mary Two-Axe Early. Ce mariage avec un homme qui n’était pas un Autochtone lui fit perdre le statut d’Indienne qu’elle détenait selon la Loi sur les Indiens (Indian Act) de 1876, mais elle ne s’en soucia pas dans l’immédiat. Pendant plusieurs années, la famille Early vint tout de même passer tous ses étés à Kahnawake.
Prise de conscience
En 1966, une amie de Mary ayant aussi épousé un homme non-autochtone mourut d’une crise cardiaque. Mary fut alors convaincue que la cause de cette mort était le stress vécu par son amie à la suite de la perte de son statut d’Indienne. En effet, la perte de ce statut avait obligé son amie à déménager, car elle ne pouvait plus habiter à Kahnawake; elle ne put non plus y être enterrée. Outrée, Mary Two-Axe Early entreprit alors un voyage à travers le Canada pour récolter des témoignages de femmes dans la même situation. C’est donc à l’âge de 55 ans que Mary devint véritablement une activiste, fondant entre autres, deux années plus tard, le mouvement Equal Rights for Native Women.
Le statut d’Indien
Selon la Loi sur les Indiens en vigueur à cette époque, un homme d’origine autochtone qui épousait une femme non-autochtone faisait gagner à celle-ci et à leurs enfants le statut d’Indiens. À l’inverse, une femme autochtone qui épousait un homme non-autochtone perdait son statut d’Indienne et leurs enfants n’en héritaient pas. Privées de leurs droits, ces femmes devenaient en quelque sorte des « non-personnes ». Elles n’avaient plus le droit de résider sur une réserve, d’y être propriétaires d’une maison, de voter aux élections de bande, de recevoir des soins de santé ou d’éducation sur la réserve, ni d’y être enterrées. Ce déséquilibre de la Loi n’était pas dû aux conceptions amérindiennes sur les femmes, mais plutôt à celles des Européens de l’ère victorienne qui écrivirent cette loi.
Une lutte pour la reconnaissance
Edward Early mourut en 1969. Mary déménagea alors à Kahnawake où elle avait hérité de la maison de ses grands-parents. Le conseil de bande l’y laissa vivre avec réticence. Finalement, c’est la fille de Mary qui, ayant épousé un homme mohawk et ayant ainsi gagné le statut d’Indienne, devint la propriétaire de la maison. Mary Two-Axe Early se disait alors « invitée dans sa propre maison ».
En 1971, elle participa à la création de l’Association des femmes autochtones du Canada, puis, en 1973, devint la porte-parole officielle de l’Indian Rights for Indian Women – le pendant canadien de l’association Equal Rights for Native Women. Pendant plusieurs années, elle écrivit aux politiciens, aux médias, au gouvernement afin de faire changer les choses. Elle consulta la sénatrice féministe Thérèse Casgrain et déposa une plainte à la Commission royale d’enquête sur le statut de la femme.
Toutefois, en 1975, Année internationale de la femme, alors qu’elle participait à la Conférence de Mexico sur le statut de la femme, Mary apprit que le conseil de bande de Kahnawake avait décidé de l’expulser de la réserve. Elle profita alors de l’occasion créée par la Conférence et de la présence de nombreux médias internationaux pour attirer l’attention sur la situation des femmes amérindiennes ayant perdu leurs droits.
L’aboutissement
En 1982, le Canada adopta sa Charte des droits et libertés. Par la suite, et bénéficiant du soutien du premier ministre québécois René Lévesque, Mary Two-Axe Early put prendre la parole lors de la Conférence constitutionnelle de 1983. Voyant que les politiciens lui refusaient le droit de parole, René Lévesque lui céda son propre siège. Lors de son discours, Mary prononça sa phrase la plus célèbre :
S’il vous plaît, cherchez en vos cœurs et en vos esprits, suivez ce que vous dicte votre conscience, libérez mes sœurs. Please search your hearts and minds, follow the dictates of your conscience, set my sisters free.
En 1985, le gouvernement du Canada adopta la loi C-31 qui redonnait le statut d’Indiennes aux femmes ayant épousé des non-autochtones, ainsi qu’à leurs descendants. Ce furent ainsi 16 000 femmes et 46 000 descendants qui purent demander à récupérer leur statut d’Indiens. Mary Two-Axe Early fut la première dont le statut fut restauré, le 5 juillet 1985, à l’occasion d’une cérémonie spéciale à Toronto. Le ministre des Affaires indiennes et du développement nordique, David Crombie, lui remit en main propre le papier attestant de ce changement.
La lutte de toute une vie
Mary Two-Axe Early n’arrêta pas de se battre à ce moment-là. Comme certaines bandes refusaient de mettre en application les changements légaux, elle continua à lutter. En effet, parmi les principaux opposants que Mary rencontra dans son parcours pour la justice, on retrouve des leaders autochtones de sexe masculin. Ceux-ci prétendaient que les changements dans la reconnaissance du statut d’Indien seraient beaucoup trop coûteux pour les bandes. Ils soutenaient également que cette ouverture pourrait encourager davantage de femmes autochtones à épouser des hommes non-autochtones, ce qui, craignaient-ils, nuirait à l’autonomie et à l’identité des Amérindiens, voire mènerait à leur assimilation.
Mary Two-Axe Early témoigna, entre autres, devant la Cour fédérale à ce sujet, à l’âge de 83 ans. Elle mourut le 21 août 1996 et fut enterrée sur la réserve de Kahnawake, ce qui est considéré comme sa « dernière victoire ».
Prix et hommages
1979 : Prix du Gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne »
1981 : Doctorat honoris causa en droit de l’Université de York
1985 : Officière de l’Ordre du Québec
1996 : National Aboriginal Achievement Award
Références
La citation est extraite de la transcription de la Conférence fédérale-provinciale des premiers ministres sur les questions constitutionnelles intéressant les autochtones, 16 mars 1983, Ottawa.
Indépendantes (2013), « Mary Two-Axe Early ». http://www.independantes.org/2013/01/02/mary-two-axe-early/.
Brown, Wayne (2003), « Mary Two-Axe Earley [sic]. Crusader for Equal Rights for Aboriginal Women », Electoral Insight. http://www.elections.ca/res/eim/article_search/article.asp?id=29&lang=e.
Femmes autochtones du Québec, « Historique. Étapes de la lutte politique, juridique et sociale ». http://www.faq-qnw.org/fr/Qui_sommes-nous/Historique.
Forster, Merna (2011), « Set my Sisters Free. Mary Two-Axe Early. 1911-1996 », 100 More Canadian Heroines. Famous and Forgotten Faces, Toronto, Dundurn, pp. 134-136.
Gouvernement du Canada (2013), Loi sur les Indiens. http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/i-5/.
Gouvernement du Québec, « Mary Two-Axe Early (1911-1996) », Ordre national du Québec. http://www.ordre-national.gouv.qc.ca/membres/membre.asp?id=160.
Mohawk Council of Kahnawá:ke (2014), « Tsi nitiohtón:ne oká:ra. History of Kahnawá:ke ». http://www.kahnawake.com/community/history.asp.
Parlement du Canada (1983), compte rendu textuel de la Conférence fédérale-provinciale des premiers ministres sur les questions constitutionnelles intéressant les autochtones, Ottawa, p. 226.