Les auteures et auteurs
13 María Eva Duarte (Evita) Perón, Argentine (1919 – 1952)
Marilyn Grenier
Eva Perón a marqué à jamais le cœur du peuple argentin. N’étant pas uniquement la femme derrière l’homme au pouvoir, elle a su livrer un véritable combat en faveur des plus démunis, ceux qu’elle appelait avec affection ses descamisados. Malgré sa mort arrivée trop vite, Evita laisse derrière elle 35 hôpitaux toujours fonctionnels, 450 écoles, 5 foyers pour personnes âgées, 5 foyers pour enfants, sans oublier la féminisation de la politique en Argentine. María Eva Duarte, c’est le visage argentin de l’égalité.
Une enfance illégitime
C’est dans une pauvre ferme de La Unión, le mercredi 7 mai 1919, qu’est née María Eva Duarte. Sa mère célibataire venait de mettre au monde la cinquième enfant de Juan Duarte. Juana Ibarguren eut bien du mal à faire inscrire la petite Eva sur le registre civil de Los Toldos étant donné que son amant refusait de reconnaître sa paternité, bien qu’il ait accepté de le faire pour les frères et sœurs aînés de la fillette. Ceci n’était que le commencement de l’enfance difficile de la jeune Eva. Sa mère, qui avait toujours bien du mal à subvenir aux besoins de ses enfants, était la risée du village qui la traitait souvent de putain en raison de son concubinage.
La relation entre Juana et Juan continua pendant quelques années après la naissance d’Eva, mais s’arrêta brutalement lorsque Duarte mourut dans un accident de voiture. C’est à ce moment que la jeune fille fut pour la première fois exposée à la marginalité sociale de sa famille, puisque les filles légitimes de son père leur refusèrent, à sa mère et ses frères et sœurs, l’accès à la chambre mortuaire.
Une Argentine en grève générale
La situation du pays n’était guère plus réjouissante en 1919. Une grève des acteurs et d’autres catégories de travailleurs paralysait les théâtres et la ville de Buenos Aires. Elle suivait de quelques mois l’hécatombe de la grève des ouvriers des ateliers métallurgiques. En effet, quatre mois auparavant, au cours d’une « semaine tragique », l’armée et la police avaient fait des centaines de morts et de blessés dans les rues de Buenos Aires parmi des travailleurs en grève. Le chômage affectait alors plusieurs milliers de travailleurs, résultat de la baisse des exportations après la fin de la Première Guerre mondiale.
Les années qui suivirent ne furent pas plus reluisantes pour le pays. En 1930, un coup d’État mit fin à 16 années de légalité constitutionnelle et ouvrit une période d’intrusion militaire dans la vie politique. Puis, lors de la Seconde guerre mondiale, l’Argentine fut la plaque tournante du Reich en Amérique latine. Au moment où la victoire s’avérait incontestable, l’Allemagne envisageait un avenir prometteur pour le pays. Or, les années passèrent et la défaite imminente des nazis força l’Argentine, menacée par les Alliés, à réviser ses positions. Ceci eut lieu alors qu’Eva entretenait déjà des relations d’importance avec les dirigeants du pays. Certains racontent même qu’elle aurait fait partie des services secrets allemands.
Une arrivée précaire à Buenos Aires
La pauvreté de sa famille força Eva à quitter son village natal à 15 ans, en 1934. C’est d’ailleurs en raison de cet événement qu’elle a toujours voulu défendre les injustices dont elle a été elle-même souvent victime :
D’aussi loin que je me souvienne, chaque injustice blesse mon âme comme si on y clouait quelque chose. Chaque âge m’a laissé le souvenir d’une injustice qui me bouleversa, me déchirant au plus profond de moi-même.
Elle partit donc pour Buenos Aires afin de devenir actrice, un rêve qu’elle chérissait depuis son plus jeune âge.
Son arrivée en ville n’a pas été facile. Elle n’avait pas d’argent, avait souvent faim et était sans logis. Les contrats se faisaient rares et son état de santé fragile, ainsi que son corps maigre ne l’aidaient en rien. Cependant, la détermination d’Eva allait faire en sorte que sa situation allait s’améliorer. Elle commença à s’impliquer dans le syndicalisme et, en 1943, fut l’une des fondatrices de l’Asociación Radial Argentina (Association radiophonique argentine, syndicat des travailleurs de la radiodiffusion), dont elle fut élue présidente l’année d’après.
Une rencontre prédestinée
Je me marierai avec un prince ou un président.
Elle l’avait choisie, sa route. Et c’est le 22 janvier 1944 que tout se déclencha. Alors qu’un tremblement de terre avait dévasté la ville de San Juan quelques jours auparavant, l’Argentine se mobilisait pour venir en aide aux sinistrés et aux familles des 8 000 disparus. Le secrétariat au Travail et à la Prévision sociale, dirigé par le colonel Juan Perón, fut chargé de centraliser l’aide et de coordonner les initiatives de volontaires. Perón convoqua les artistes de cinéma, de théâtre et de radio et leur demanda d’effectuer une collecte publique dans les rues de Buenos Aires. Le 22 janvier 1944, l’Association Radiophonique Argentine donnait rendez-vous à ses membres pour une soirée de bienfaisance au Luna Park. C’est là qu’Eva et une amie furent présentées à Perón. « Si comme vous l’affirmez la cause du peuple est votre cause, je resterai à vos côtés, quelle que soit l’ampleur du sacrifice exigé, jusqu’à en perdre mes forces. Il accepta mon offre ». Et ils ne se quittèrent plus jamais.
Une femme politique, un espoir du peuple
C’est en faisant des discours à la radio où elle expliquait les enjeux politiques de l’époque qu’Eva s’était ralliée à la cause de Perón qui se présentait comme militant pour les pauvres. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que c’était pour elle-même qu’elle parlait. Elle sut tout de suite gagner le cœur du peuple. Elle ne mit pas de temps à comprendre qu’elle pouvait également avoir une influence importante en politique. Dans un environnement dominé par les hommes, elle s’est immiscée dans les discussions politiques privées de Perón pour faire valoir son point de vue. Bien que son influence sur Juan ne fît pas l’unanimité, elle sut aussitôt capter l’imagination et la sympathie des foules. Partout où elle allait, elle attirait de nombreuses femmes, éblouies par son exubérance et par sa dévotion à des activités politiques que l’on réservait autrefois aux hommes.
Alors qu’elle épaulait la campagne électorale de son mari en 1946, elle prépara soigneusement son premier discours. Prononcé par une femme, ce discours ne fut pas très bien accueilli par les hommes du public qui avaient organisé un chahut pour couvrir sa voix. Mais les femmes ne les laissèrent pas faire. La foule se souleva à un tel point que les policiers furent obligés de lancer les gaz lacrymogènes. Les femmes résistèrent, au grand étonnement des hommes, faisant ainsi naître une Argentine féministe.
Eva joua d’ailleurs un rôle décisif dans le processus d’acceptation de l’égalité politique et civile entre hommes et femmes en Argentine. Alors que le droit de vote fut finalement accordé aux femmes en septembre 1947 par le gouvernement de son mari élu en février 1946, elle fit cette déclaration :
Femmes de ma patrie, je viens de recevoir des mains du gouvernement de la nation la loi consacrant nos droits civiques, et je la reçois devant vous avec la certitude que je le fais au nom et en représentation de toutes les femmes argentines, sentant avec jubilation mes mains trembler au contact de cette consécration qui proclame la victoire. Ici, mes sœurs, se trouve résumée, dans la typographie serrée d’articles peu nombreux, une longue histoire de luttes, contrariétés et espérances, ce pourquoi cette loi est lourde de crispations d’indignation, d’ombres de péripéties hostiles, mais aussi du réveil joyeux d’aurores triomphales, et de ce présent triomphe, qui traduit la victoire de la femme sur les incompréhensions, les refus, et les intérêts établis des castes répudiées par notre réveil national.
Les actions politiques d’Eva se multiplièrent rapidement. Le 20 février 1946 fut constitué le Comité Féminin « María Eva Duarte Perón », un groupement politique faisant la promesse d’éliminer les déséquilibres et de donner le droit de vote aux femmes. Ainsi, les femmes se politisèrent pour la première fois dans l’histoire de l’Argentine en se rangeant derrière Eva qui créa en 1949 un parti politique, le Parti péroniste féminin qui fit élire 23 députées en 1951.
Bien que devenue la première dame d’Argentine et vivant désormais dans le luxe, elle n’oublia jamais ce qu’avait été la vie d’une enfant pauvre et illégitime. Après un voyage en Europe en 1947, elle décida d’entreprendre une campagne pour les pauvres, qui devient une croisade de charité. C’est finalement le 8 juillet 1948 que fut créée la fondation Eva Perón pour coordonner ses efforts de lutte contre la pauvreté en Argentine, allant de la construction d’hôpitaux, de refuges, d’écoles, de colonies de vacances, jusqu’à l’attribution de bourses d’études. Elle invitait les pauvres à la visiter directement à son bureau et à lui écrire. Elle pouvait recevoir des centaines de personnes chaque jour.
Je veux terminer avec une phrase qui est très à moi, et que je dis chaque fois à tous les descamisados de ma patrie, mais je ne veux pas que ce ne soit qu’une phrase de plus, mais que vous y voyiez le sentiment d’une femme au service des humbles et au service de tous ceux qui souffrent : « Je préfère être Evita, plutôt que d’être l’épouse du président, si cet Evita est dit pour apaiser quelque douleur en quelque foyer de ma patrie » (discours du 1er mai 1949).
Une marque indélébile
Le pouvoir et la popularité d’Eva ne cessèrent de grandir, à un point tel que la population souhaita qu’elle soit officiellement nommée vice-présidente du pays. Passionnée, elle laissa entendre qu’elle accepterait. Malheureusement, elle dut se raviser quand elle apprit qu’elle avait un cancer du col de l’utérus. Ce cancer fulgurant l’emporta à l’âge de 33 ans.
L’État organisa des funérailles nationales où tous se ruaient pour pouvoir toucher sa tombe : 200 personnes furent blessées et 8 personnes y perdirent la vie. Perón fut forcé de constater à quel point le peuple l’aimait, ce qu’il n’avait jamais réalisé. Privé de l’adoration du peuple pour sa femme, il perdit de sa popularité. À peine 3 ans après la mort d’Evita, il fut victime d’un complot et son gouvernement fut défait.
Evita a légué au peuple tous ses biens personnels en guise de preuve d’amour. Elle n’a jamais eu d’enfants : dans son autobiographie, elle disait que c’était parce que ses vrais enfants étaient les gens du peuple.
Hommages
Elle fut nommée Chef spirituelle de la Nation (en esp. Jefa Espiritual de la Nación), le 7 mai 1952, sous la présidence de son mari Juan Perón, le jour où elle eut 33 ans. Elle reçut de nombreux autres prix dans d’autres pays en reconnaissance de son œuvre sociale.
De nombreuses statues et images d’Evita parsèment la ville de Buenos Aires où elle est devenue une icône.
Références
Crespo, Alfonso (1982), Evita, Le destin extraordinaire d’Eva Perón. Montréal : France-Amérique, 304 p. (Traduction de : Eva Perón, viva o muerta. Traduit de l’espagnol par Édouard Jimenez)
The official Evita Perón website (2011), E.P. Historical Research Foundation
http://www.evitaperon.org
Eva Perón 1919-1952 https://www.youtube.com/watch?v=o_8JuzC-rDY
Page Wikipedia : Eva Perón (2014), http://fr.wikipedia.org/wiki/Eva_Perón
Eva Perón: Intimate Portrait (1999), Lifetime television
https://www.youtube.com/watch?v=DdPzp6KcQhI