19 Le tramway au cœur d’un débat démocratique au sein de la métropole bordelaise
Amélie Chansigaud
Petit historique
La métropole de Bordeaux se situe à quelques kilomètres de la côte atlantique, dans le sud-ouest de la France et est constituée de 28 communes. Bordeaux est la ville centrale de la communauté urbaine, mais aussi capitale de la région de Gascogne, et aujourd’hui centre administratif de la Nouvelle-Aquitaine. La ville est connue dans le monde entier pour ses vignobles et ses vins. Ville portuaire, Bordeaux est traversée par le fleuve « la Garonne ». Aussi nommée « la Belle Endormie », du fait qu’elle était protégée jusqu’au 19e siècle par une absence de pont sur la Garonne, c’est une des plus anciennes villes de France, avec un passé remontant à l’Antiquité. Il sera donc fort intéressant de voir l’évolution des transports au sein de la ville et de la communauté urbaine.
Les premiers tramways se trouvaient être des omnibus, puis des omnibus sur rails tirés par des chevaux, concept provenant de la ville de New York aux États-Unis et importé en 1872. La première ligne de tramways électriques sera inaugurée en 1900 par le maire Camille Cousteau. Toutefois, 46 ans plus tard, l’un des maires les plus notables de Bordeaux, monsieur Jacques Chaban-Delmas, décida de mettre fin à l’utilisation des tramways du fait de leur désuétude et à l’utilisation croissante de l’automobile. Ainsi ils disparaissent définitivement de la ville en 1958. Cependant, en 2003, après bien des atermoiements, le nouveau tramway électrique moderne inaugure son premier voyage au travers de la ville. Actuellement, la ville compte trois lignes de tramways et une nouvelle sera construite en 2017-2018.
Le réseau de transport des tramways bordelais est d’une longueur de 66,1 km, mais elle devrait atteindre 77 km d’ici 2019 avec la mise en place d’une nouvelle ligne. Le porteur du projet de la modernisation des transports en commun, conjointement à la modernisation de l’urbanisation de la ville, est monsieur Alain Juppé, et ce, dès 1995 à son arrivée à la mairie de Bordeaux. Il est toujours en poste et proposa en 2015 le nouveau projet de la ligne de tram D.
Nous allons donc voir les différents moments de la réalisation de ce grand projet. Dans un premier temps, nous aborderons sa mise en place qui s’étalera sur plus de deux décennies, puis nous verrons comment la démocratie participative a eu sa place dans la politique bordelaise. Pour finir, nous aborderons le cas du tramway de Québec.
La mise en place du projet, non sans quelques difficultés
En 1980, les élus, conscients du problème croissant que représente l’absence d’une réelle politique pour l’amélioration de la circulation dans l’agglomération bordelaise, se penchaient déjà sur un nouveau projet, celui du VAL, un métro fonctionnant sur des pneumatiques. Toutefois, des associations de riverains ont fait un recours pour éviter et faire avorter ce projet. Il fut donc enterré. Ce n’est donc qu’une dizaine d’années plus tard, avec l’arrivée d’un nouveau maire, que le projet de tramway renaît et connaîtra un avis favorable à la fois de la population et des élus, opposition comprise. On retrouvera le projet VAL dans le futur projet de la ligne tram-train de la ligne E, qui est aujourd’hui soutenu par deux grosses associations.
En 1997, le nouveau maire de Bordeaux, monsieur Alain Juppé, homme politique français ayant déjà été par deux fois ministre, désire améliorer le quotidien de ses concitoyens tout en développant de façon optimale la vie économique de l’agglomération. Les zones industrielles et commerciales se développent, les travailleurs, gens d’affaires, touristes, étudiants sont de plus en plus nombreux, les structures logistiques et urbaines ne satisfont plus à cette croissance. Monsieur Juppé et son équipe entreprennent alors de remettre au goût du jour le projet de tramway tout en travaillant à l’amélioration de l’urbanisation de la ville et de l’ensemble de l’agglomération.
Pour la mise en place du projet de tramway dans la ville de Bordeaux, la CUB (Communauté Urbaine Bordelaise) aura besoin de l’avis des élus de chaque ville de l’agglomération, des acteurs économiques, mais aussi des citoyens. Pour cela il sera mis en place une enquête d’utilité publique, c’est ce qu’on nomme une concertation citoyenne. Mais en réalité, c’est bien plus complexe, car de nombreux acteurs y joueront des rôles prépondérants. Pour la faisabilité du projet, chacun doit pouvoir prendre connaissance de toutes les informations afin qu’il y ait consensus.
Le but de la création des nouvelles lignes de transport en commun
Le but premier de ce projet de réseau de transport est de relier un maximum de communes et ainsi faciliter le mode de vie des habitants, tout en allant petit à petit vers une régression de l’utilisation de la voiture. Il s’inscrit dans un but économique et écologique, ainsi que pour la modernisation des transports en commun.
C’est la constante augmentation de la pollution et de la congestion des axes de circulation due à un flux de circulation toujours croissant qui a été le moteur de cette volonté. La mise en place d’un tel projet prévoit forcément d’importants aménagements routiers, car les tramways devront avoir la priorité sur les voitures. Des espaces spécifiques à leur circulation seront à prévoir, ainsi qu’un réseau de signalisation et donc un nouveau réseau électrique.
L’agrandissement rapide la ville et des communes avoisinantes a créé une séparation entre la rive nord et la rive sud de la Garonne, ainsi l’augmentation du nombre de véhicules qui traversent l’agglomération a participé à la dégradation rapide des bâtiments haussmanniens du centre-ville et de la cathédrale Saint-André, entre autres.
Le maire souhaitait par ce projet revitaliser l’économie de la ville qui comporte la plus grande rue commerciale d’Europe, la rue Sainte-Catherine, et aussi améliorer le quotidien des citoyens de l’ensemble de l’agglomération.
Arguments favorables à la réalisation du réseau
Pour ce faire, des parcs relais ont été pensés pour permettre aux citoyens et aux touristes de prendre le tramway à partir d’une zone parfois un peu éloignée du centre-ville, par exemple à Talence, une petite ville qui jouxte Bordeaux. La ville compte aujourd’hui 12 parcs relais et propose des tarifs attractifs pour les personnes les utilisant. Les déplacements en tramways permettent un gain de temps certain et offrent une certaine liberté de déplacements, sans les contraintes telles que le stationnement, les embouteillages et autres désagréments.
D’autre part, lors de l’étude du projet, le marché national fut mis à contribution au travers de l’entreprise Alsthom, entreprise phare dans le domaine de la construction de rames de wagons et de métros, située dans la ville de La Rochelle/Aytré au cœur du département de Charente-Maritime, rattaché à la région Nouvelle-Aquitaine. L’économie française et le « made in France » seront ainsi mis en valeur.
Ce projet de tramway est basé sur la réalisation d’un réseau totalement électrifié, il n’y aura donc aucun rejet toxique, contrairement aux autobus. Pour des transports en commun, surtout à la fin des années 1990, début 2000, cela était encore quelque peu futuriste, d’autant que toutes les lignes de tramways seront à ciel ouvert et le système électrique du tramway se trouvera dans le sol (système Alimentation par le sol – APS), ainsi les réglementations architecturales ne seront pas mises en défaut et la beauté de la ville ne sera pas affectée.
Le projet a directement permis de construire les trois grandes lignes majeures : A, B et C. Les trois lignes originelles connaîtront tout de même des rallongements pour pouvoir desservir un maximum de quartiers.
Cependant, malgré toutes les garanties d’amélioration du quotidien, de la baisse de la pollution, de l’impact économique positif de l’ensemble du nouveau dispositif de transport en commun de l’agglomération Bordelaise, il a été nécessaire et indispensable de mettre toutes les parties d’accord : les acteurs économiques, administratifs et la population.
Composer avec les différents acteurs bordelais
– La CUB devenue BM pour Bordeaux Métropole depuis 2015 a en charge la planification urbaine, les transports urbains, la voirie d’intérêt communautaire.
Politiquement, la métropole est gérée par les maires de toutes les villes de la métropole et des conseillers municipaux avec, à sa tête, un président élu. Actuellement, c’est le maire de Bordeaux, monsieur Alain Juppé, qui est le président. Cette entité a aussi pour mission de mettre en place toutes les réunions publiques et les consultations avec l’aval des préfets.
– Le SYSDAU (Syndicat mixte responsable du schéma directeur de l’aire métropolitaine bordelaise, approuvé le 26/09/2001) est compétent pour la planification stratégique. C’est le syndicat qui permet la mise en place d’une enquête publique devant durer plus d’un mois, mais moins de deux.
Ce syndicat permet d’informer les citoyens sur divers projets qui peuvent avoir un impact sur l’environnement ou la qualité de leur vie quotidienne. L’enquête publique permet d’informer les personnes, de garantir les droits des propriétaires et de favoriser la discussion sur le projet. En outre, l’information du public passe aussi par des campagnes publicitaires à travers la ville.
Il œuvre à la mise en place d’un Schéma de Cohérence territorial, le SCoT. Le SCoT est un document d’urbanisme et de planification territoriale. Ce document a été créé par la Loi Solidarité et Renouvellement urbain en 2000.
– L’A’URBA (agence d’urbanisme) est une association loi 1901. C’est un outil stratégique de développement des territoires bordelais, girondins et de l’Aquitaine. Cette association/agence œuvre à toutes les échelles : du quartier jusqu’à la métropole. Elle aide énormément au dialogue entre les différents acteurs.
– La CCI (chambre de commerce et d’industrie) est compétente pour le développement économique (zones d’activité, accueil des entreprises, observatoire de l’équipement commercial) et est gestionnaire de l’aéroport international.
– Le Département de la Gironde régit les routes départementales et les transports routiers interurbains de voyageurs.
– La région Aquitaine (dorénavant la Grande Région, ou Nouvelle-Aquitaine) agit pour le développement économique et l’aménagement du territoire, ainsi que pour les transports ferroviaires interurbains de voyageurs.
– L’État est un partenaire financier associé à toutes les démarches de planification en plus d’être garant de la légalité des actes des collectivités territoriales. La communauté se doit de lui rendre des comptes quant à l’argent versé aux projets.
– Le port autonome est un établissement public industriel et commercial de l’État placé sous la tutelle du ministère des Transports.
– Les citoyens sont eux aussi des acteurs principaux des projets de transports et donnent leur voix pour faire changer les choses. Ils se retrouvent dans les associations, les conseils de quartiers, les réunions, les consultations ou encore les concertations publiques.
La concertation avec les citoyens
Il convient, avant d’aller plus avant dans le chapitre qui va nous préoccuper, d’expliquer d’abord le fonctionnement des consultations citoyennes en France. Il faut noter qu’en France, le système politique est décentralisé et qu’il est né d’un mouvement démocratique. Pour schématiser, nous dirons qu’il y a quatre niveaux de consultation et de prise de décisions.
Le niveau national dont le Président de la République, chef de l’état, le premier ministre-chef du gouvernement et le Parlement entérinent les décisions qui engagent la nation.
Le niveau régional dont le Préfet de région en corrélation avec le Président du Conseil Régional et le Conseil Régional assurent le fonctionnement administratif et économique d’une région comprenant alors plusieurs départements limitrophes.
Le niveau départemental avec un Préfet, un président du conseil départemental et les conseillers départementaux qui n’interviennent qu’au sein de leur département en accord avec les communes qui s’y trouvent.
Le niveau communal avec le Maire, les conseillers municipaux et leurs concitoyens qui entretiennent les liens administratifs, économiques et sociaux au sein de leurs municipalités.
Mais lors d’un projet d’une envergure telle que le tramway de Bordeaux, les élus doivent en référer au préfet de département qui en réfère au député régional qui consulte l’État pour obtenir les fonds nécessaires. On constate que même si on parle d’une politique décentralisée en France, on retrouve toujours une hiérarchie dans laquelle le niveau politique le plus bas, le maire, se doit de rendre des comptes à la hiérarchie. Dans le cas de consultations publiques, le maire est dans l’obligation d’envoyer une première demande de consultation publique au préfet, qui acceptera ou non la procédure. Il faut savoir que lors d’une consultation, un vote est effectué. Celui-ci ne se pas fait pas à mains levées, mais de manière légale et dans les mêmes conditions que lors de votes pour des élections municipales, législatives ou présidentielles. Le résultat du vote est celui de la majorité qui l’emporte.
Les consultations sont donc encadrées par des lois, notamment la loi ATR (administration territoriale de la République) autrement dénommée loi Joxe de 1992, du nom du ministre qui l’a initiée, inscrite à l’article L2141-1 du CGCT, qui énonce : « Le droit des habitants de la commune à être informés des affaires de celle-ci et à être consultés sur les décisions qui les concernent, indissociables de la libre administration des collectivités territoriales, est un principe essentiel de la démocratie locale ». Des réformes de la constitution française ont été effectuées pour permettre d’entériner les nouvelles lois et les nouvelles réformes.
Ainsi, la loi du 4 février 1995 introduit la possibilité de créer des consultations publiques. La consultation permet avant tout de connaître l’avis de la population sur des points particuliers d’un projet, mais sans toutefois lui laisser de choix. La concertation permet aux habitants de s’intégrer dans les décisions d’un projet, c’est donc plus prégnant tant sur le plan politique que décisionnel et sociétal. Il faut aussi noter que lors d’un projet, les responsables politiques décideront alors d’utiliser soit l’information, la consultation ou la concertation auprès des populations. Quelle que soit la décision, le budget devra être prévu. Ce budget sera pour un projet de commune, inscrit dans le budget communal que l’état français lui alloue. C’est donc en fonction des élus que la qualité du dialogue avec les citoyens pourra s’instaurer.
Processus constitutionnel de concertation bordelais
Le cas qui nous intéresse ici est le projet de tramway de la ville de Bordeaux qui présente une particularité.
En effet, si la ville a pu réaliser son projet de tramway en utilisant la démocratie participative, c’est qu’elle est précurseur en ce domaine, puisqu’elle possède un processus constitutionnel de concertation.
La ville a donc comme obligation d’informer les citoyens soit directement grâce aux listes détenues par les conseils de quartier ou par la Direction de l’aménagement, soit indirectement par le biais de la lettre d’information de la mairie avec la tenue de réunions publiques qui concernent le ou les projets d’aménagement du quartier.
Il se doit d’y avoir au sein de ces réunions un animateur, qui notera les points importants de discordances présentés par les habitants, ainsi que leurs souhaits. Lors des prochaines réunions, les points litigieux seront alors abordés, les projets repris et corrigés et ainsi menés à bien avec l’assentiment du plus grand nombre.
C’est ce qu’on nomme une participation citoyenne médiée, puisqu’on utilise différentes instances pour faire entendre la voix des citoyens. Les réunions publiques en sont une expression.
Toutes les participations démocratiques citoyennes, aussi nommées « Vox Populi » du latin (la voix du peuple) sont encadrées par une charte : la charte C2D. Cette charte a été rédigée par les citoyens de Bordeaux avec quelques négociateurs et l’aide des élus et des services administratifs.
Cette charte est tripartite et oblige au dialogue. Tripartite, car les décideurs (maîtrise d’ouvrage), les entreprises et les représentants (élus, citoyens) s’y retrouvent.
Il est donc intéressant de constater, d’une part, l’intérêt des élus bordelais à intégrer dès les années 2000 les citoyens dans les projets communs, et, d’autre part, les similitudes temporelles des nouvelles lois dès les débuts du projet.
Ainsi, en ce qui concerne le projet de Bordeaux, les citoyens ont eu la possibilité de faire entendre leur voix via le site participation.bordeaux-metropole.fr qui permet aux personnes de donner leur avis, d’exposer leurs idées et de voter. Mais les citoyens peuvent aussi émettre différentes hypothèses de modification de parcours sur les tracés du projet.
D’autre part, les dates des nombreuses réunions publiques y sont inscrites, elles correspondent à un thème précis de discussion en lien avec le projet de tramway et de ses modifications selon les quartiers, les villes…
On voit là qu’il y a un réel désir de la part des élus de faire en sorte que la population s’investisse dans le projet, et une réelle volonté de concertation. La démocratie participative doit pouvoir ainsi jouer pleinement son rôle.
Monsieur le maire Alain Juppé avait déclaré sur Facebook le 16 octobre 2012 :
« La participation des citoyens à l’évolution de leur ville et de leur vie quotidienne est pour moi l’illustration de la démocratie permanente et c’est ce que nous pratiquons à Bordeaux. La co-construction et la co-élaboration du Bordeaux de demain sont en effet au centre de la politique que je défends dans ma ville. Je veux que, dans l’ensemble des projets (urbains, économiques et sociétaux…), les Bordelaises et Bordelais soient pleinement associés aux décisions. C’est ma façon de concevoir le rôle d’élu local, à la fois porteur d’une vision pour un territoire, mais également moderne dans la façon d’interagir avec ses concitoyens. C’est pourquoi j’ai voulu, avec l’événement “Les participiales”, mettre en lumière l’exemplarité de la “méthode bordelaise” et mettre à l’honneur durant deux jours (les 19 et 20 octobre prochain) les acteurs de cette démocratie participative locale, qu’ils soient citoyens ou membres des services municipaux. ».
Il est donc fort intéressant d’étudier un cas concret de la ville de Bordeaux.
Au regard des archives de la ville, on peut noter de nombreuses dates de réunions, mais aussi la progression de tous les projets qui s’étalent dans le temps, sur deux dizaines d’années.
Tableaux 1 : Projet Tramway et conseils de quartiers dans les archives de la métropole
La mise en place du tramway a connu quelques difficultés et, pour aider à pallier les problèmes rencontrés, les responsables du projet ont désiré faire interagir la population. Des concertations citoyennes ont donc été organisées au moyen d’expositions temporaires ou permanentes et des débats publics autour des expositions. Pour chaque projet, des revues étaient créées : par exemple, pour faire adhérer les enfants au projet et les impliquer, la revue « Sapristi »a été créée, mais aussi des dossiers en ligne ainsi que des forums.
Sur les chantiers, il était possible de s’arrêter dans des cabines « tram info chantier », où se trouvaient des responsables de chantiers aptes à répondre aux questions des habitants, riverains et futurs utilisateurs.
Photo 1 : Cabine de chantier – Tram Info chantier
On peut noter que, déjà entre 1997 et 1998, les élus et les porteurs de projet avaient organisé plus d’une centaine de réunions de concertation et créé un forum d’associations comprenant environ 140 associations. Au vu de l’engouement de la population pour le tramway de nos jours, on peut aisément dire que les concertations et les discussions de l’époque furent un véritable succès.
Schéma 1 : Réseau de transport bordelais
Depuis la remise en fonction des tramways en 2003, les élus se sont mis au diapason de ce que les citoyens désiraient pour orienter au mieux les politiques d’aménagement du territoire.
On peut en conclure que le pacte de concertation a été plutôt bien respecté. Mais des difficultés persistent, car, si le réseau de transport de Bordeaux est géré par une entreprise privée, ce sont les élus locaux qui gèrent la construction, le nombre de tramways, etc.
Les citoyens n’ont qu’un droit de regard. Cependant, un constat positif est à souligner. Grâce à la réalisation du projet, la ville retrouva une attractivité touristique fort intéressante, les pics de pollution dans le centre-ville diminuent, car il y a aujourd’hui un certain désengorgement routier.
Les limites de la concertation
En 2016, les élus de la métropole ont approuvé le prolongement de la ligne A jusqu’à l’aéroport de Mérignac. Ce projet était demandé par le maire de Bordeaux depuis de nombreuses années, le considérant comme indispensable. Cela permet de rendre la ville encore plus attractive pour le tourisme, mais aussi de faciliter les accès vers l’aéroport pour les nombreux gens d’affaires qui viennent en visite, ainsi que pour les nombreux étudiants étrangers et enseignants de l’Université de Bordeaux. Ce projet n’a pas soulevé de contestations et pourra ainsi voir le jour sans qu’il y ait eu une réelle concertation avec la population.
Cependant, certains projets suscitent le rejet, ce qui est le cas pour les deux derniers que nous allons présenter.
Les élus locaux et de la métropole désirent agrandir le réseau de transport vers le nord-est pour desservir une nouvelle population qu’ils estiment lésée.
De par la taille et le nombre de communes qui sont coupées par le trajet du tramway, les élus et les représentants impliqués dans le projet ont eu le désir de mettre en place de nombreuses rencontres entre élus, citoyens et représentants dans les différentes communes touchées. La ligne de tramway traverse quatre communes différentes : Bordeaux, Le Bouscat, Bruges, Eysines. La ligne s’étendrait sur plus de 9,8 kilomètres, pour un total de 15 stations. Les travaux du projet devraient se mettre en place en 2017 ou en janvier 2018 pour une durée d’environ trois ans. Toutefois, dans ce genre de projet, il ne faut pas oublier les travaux supplémentaires pour déplacer des réseaux électriques, de gaz et d’eau, par exemple. Le projet a donc débuté en 2016. La métropole assure à la population locale qu’elle fera tout pour aider au maximum les citoyens et être à leur écoute avec la mise en place du service Médiations riverains qui ne relève pas de la concertation, mais plus de l’explication et de l’apaisement.
Ce service de médiation est constitué par des citoyens impliqués, joignables par téléphone, mais aussi à partir d’une page Facebook, d’un site web et d’un compte Twitter. Des réunions publiques sont aussi mises en place et une enquête publique a eu lieu début 2017.
De nombreuses questions persistent à l’aube du début des grands travaux sur la cohabitation entre le tramway, les piétons et les cyclistes, mais aussi quant aux futurs agrandissements pour desservir les différents départements de l’Université de Bordeaux, qui sont étalés dans différentes communes.
Cependant, jusque-là, le projet avance et prend forme.
Mais le projet qui fait le plus parler les citoyens reste l’agrandissement de la ligne D vers le Haillan et Saint-Médard-en-Jalles.
Il faut noter que ce projet avait été interrompu, car des associations telles que « Trans’CUB » et « Aquitaine alternative » avaient saisi le tribunal et déclaraient que les prévisions en matière de fréquentation du réseau TBM sur la ligne D étaient irréalistes.
Trans’CUB a passé de nombreux mois à étudier les chiffres de la compagnie Keolis qui gère les tramways et les bus de Bordeaux. Il a ainsi été constaté que les nouvelles lignes de tramways, notamment la ligne A, ne transportait que peu de voyageurs et était donc en déficit. Malheureusement, pour combler ce déficit, les collectivités augmenteront les impôts locaux.
L’association a donc porté ces découvertes jusqu’au tribunal de Bordeaux et avait eu gain de cause dans un premier temps en obtenant la suspension des nouveaux projets.
Toutefois en 2014, le tribunal de Bordeaux a annulé la Déclaration d’utilité publique, une procédure administrative en droit français qui permet de créer un projet d’aménagement en enquêtant auprès de la population. En effet, le préfet se doit de lancer une enquête publique qui vise à interroger les citoyens confrontés directement aux problèmes que peut générer le projet. Dans le cas où cette enquête est bien menée, elle peut être considérée comme un outil de démocratie participative, comme les rassemblements pour des discussions entre élus et citoyens.
L’enquête est ensuite étudiée par un comité qui donnera un jugement quant à la poursuite u projet, en l’occurrence la création de la nouvelle ligne D de tramway dans le cas qui nous occupe.
La décision finale revient tout de même au tribunal qui a annulé le premier verdict et a accordé la mise en place des travaux, car les arguments des associations citoyennes ont été jugés peu convaincants. Ainsi, la population n’a pas réussi à faire entendre ses craintes.
Schéma 2 : Le tracé de la ligne de tramway D
Cas de discussion entre la commune du Haillan et de Saint-Médard-en-Jalles pour l’agrandissement de la ligne de tram D
Une autre préoccupation mineure face à l’ensemble du grand projet concerne le prolongement de la ligne de tramway jusqu’à Saint-Médard-en-Jalles en passant par le Haillan. En novembre 2015, la commune du Haillan s’opposait au projet de la ville de Saint-Médard-en-Jalles. Cette dernière voulait construire une nouvelle ligne de tramway qui relierait Saint-Médard-en-Jalles au centre-ville de Bordeaux.
Un an plus tard, l’association « Tram en Jalles » a décidé de mettre en place un « collectif citoyens de propositions et d’action » autour du projet de la ligne D et d’un second projet nommé « Trambus ».
Une rencontre dans la commune du Haillan avait été organisée pour permettre aux citoyens des deux villes de discuter conjointement du projet. La thématique était le refus de la ligne de tramway. La raison première était l’itinéraire emprunté par le futur tramway, qui devait passer sur une piste cyclable. De nombreux élus et représentants de Saint-Médard étaient venus expliquer le projet et tenter de convaincre les citoyens. Ils n’eurent pas gain de cause, les citoyens du Haillan restant sur leurs positions, le tracé était à revoir.
Toutefois, les Haillanais reprochaient aussi au maire de Saint-Médard-en-Jalles d’avoir utilisé de manière agressive les médias et certains groupes de pression pour tenter de faire passer en force le projet, ainsi que d’avoir fait payer le contribuable plus que de raison.
On constate donc dans cette situation deux camps opposés. Mais l’essentiel reste que le plus grand nombre peut accéder à la démocratie participative, même si certains élus n’apprécient pas forcément, du fait des tensions ainsi générées entre les communes et les riverains. Dans ce cas-ci, les élus de Saint-Médard avaient interrogé leurs concitoyens et constaté que 86 % de la population aimerait prendre le tramway plutôt que la voiture pour se rendre au travail ou dans le centre-ville.
Si aux termes des réunions de coalition et concertation les votes restent mitigés, il se pourrait que les élus de la métropole tentent de suppléer les élus des plus petites villes.
Un nouveau projet le, le Tram-Train prend vie
Voici un autre point marquant de la démocratie participative dans ce grand projet de transport.
Le projet de Tram-Train, qui est un agrandissement de la ligne C vers la gare de Blanquefort, vient d’aboutir et est actuellement en service. Le nom de Tram-Train provient de la future circulation du tramway à côté de l’ancienne voie ferrée Bordeaux – Pointe de Grave.
Ce projet s’est déroulé exactement comme pour le projet de la ligne de tramway D. Les responsables du projet sont restés à l’écoute de la population, des lettres d’informations ont été distribuées et des réunions publiques organisées. Toutefois, ce projet n’a pas soulevé les foules, car son tracé ne traversait pas de petites rues, ne coupait pas de pistes cyclables ou autres. Il permet au contraire d’ouvrir encore plus la métropole vers l’extérieur et surtout vers les Charentes (départements de la Charente-Maritime et de la Charente) par la Pointe de Grave. Fin octobre, un premier voyage a été effectué sur la nouvelle ligne et les habitants s’en trouvaient ravis, car cela leur permet maintenant de relier le centre-ville de Bordeaux en moins de 30 minutes, avec la jouissance d’un parc automobiles de 750 places pour y laisser leur voiture avant de prendre le tramway.
Analyse et analogie avec la situation de l’agglomération de Québec
On constate donc dans cette étude de cas que malgré de nombreux acteurs qui s’insèrent dans le projet, les élus, maîtres d’œuvre, architectes, urbanistes, agences, associations et citoyens, tout le monde a pu exprimer ses opinions à travers un processus qui n’était pas uniquement consultatif. On retrouve donc les réunions de quartier, les réunions publiques, mais aussi les projets, les chartes sur Internet avec des sites spécialisés pour voter pour ou contre le projet.
Dans ce cas-là, les citoyens ont la chance d’avoir des médiateurs à qui parler en cas de gêne occasionnée par le projet ou d’incompréhension du projet en cours.
Il est certes vrai que le projet est encore parsemé d’embûches, mais grâce aux désirs d’échanges institués dans la métropole, les élus et les directeurs de projets ont déjà un idée globale des désirs de la population, comme pour reprendre l’exemple des communes du Haillan et de Saint-Médard-en-Jalles.
À l’échelle nationale, de nettes améliorations pour recréer le dialogue avec les citoyens sont en cours depuis quelques années. Les concertations et les conseils publics sont dorénavant inscrits dans la constitution française, ainsi que la rédaction de nouvelles lois. Tout ceci est encadré par des normes, des règles et des procédures.
Aucune démocratie au monde n’est identique, il est donc ardu de pouvoir comparer les pays entre eux sur des sujets politico-économiques tels que la démocratie participative dans le cas d’aménagement du territoire. Toutefois, on peut mettre le projet de Bordeaux en parallèle avec le projet de tramway de la ville de Québec. Toutefois, la Ville de Québec est basée sur un régime parlementaire démocratique, contrairement à la France qui est une démocratie semi-présidentielle basée sur la Constitution de la Ve République. Il est donc intéressant de voir que ces deux pays tendent vers une même similitude de discours, c’est-à-dire en faveur de la démocratie participative. La ville de Québec se trouve confrontée aux détracteurs s’opposant à son projet de tramway.
Le projet de tramway de la ville de Québec devrait permettre de relier deux rives tout comme Bordeaux, la rive sud (Lévis) et la rive nord (Québec et son agglomération). Le maire Régis Labeaume est un fervent défenseur du projet et ses concitoyens aussi, pour la plupart. Toutefois, le gouvernement trouvait le projet beaucoup trop onéreux et a fait front contre. Le maire s’est donc tourné vers le Service rapide par bus (SRB).
Des sondages ont été effectués et certains riverains ont eu peur que les voies pour les automobilistes se trouvent réduites par un tel projet. D’autre part, la ville de Lévis prenait alors le risque de ne plus être aussi bien desservie. Les citoyens avaient eux aussi des requêtes comme l’implantation de nouvelles zones de stationnement pour les automobiles.
Pourtant, tout comme en France, le tramway électrifié était déjà présent entre 1897 et 1948. Il permettait de relier la Basse-Ville et la Haute-Ville en passant par les plaines d’Abraham. En 1910, il est décidé que le réseau de transport sera rallongé jusqu’à Sillery, puis jusqu’à Beauport en 1912. Le tramway couvre ainsi toute la ville, mais en 1937 la popularité de l’autocar prime et, en 1948, la dernière ligne de tramway est fermée.
En 2000, soit au même moment où le tramway de Bordeaux réapparaît, le ministère des Transports québécois donne les pleins pouvoirs au RTC (Réseau des Transports de la Capitale) dans le but d’analyser et monter un dossier sur le projet d’un futur tramway. Trois ans plus tard, l’étude menée par le RTC montre la faisabilité du projet et l’encourage. Ce n’est que deux ans plus tard que la ville l’inscrit dans son plan directeur d’aménagement et de développement de 2005 à 2025. En 2010, le comité sur la mobilité durable préconise la construction du tramway avant 2030. Toutefois, cinq ans après, à la suite d’une nouvelle étude de faisabilité, la ville écarte le projet pour créer le réseau de bus rapide.
Schéma 4 – Trajets du tramway de Québec
Pourquoi le refus du tramway en 2015 à Québec?
Les élus locaux ont pourtant mis en place de nombreuses consultations et audiences publiques pour favoriser l’expression des citoyens qui semblaient ne pas être en faveur du projet. Les explications, les plans, les maquettes ont été présentés à des fins d’explication, mais en vain. La démocratie participative à Québec a joué contre le projet, à l’inverse de Bordeaux.
Une part de la population et des autres acteurs économiques ont perçu le projet de façon négative, tant sur le plan économique que sur le plan social.
Les élus ont donc pour l’instant mis en attente ce projet qui pourrait désengorger les villes de Québec et Lévis, et faciliter la vie des concitoyens dans la mesure où il serait ré étudié afin de présenter plus d’atouts.
On constate donc que pour deux projets similaires de grands travaux, les citoyens ont bien été consultés, mais que le déroulement et le résultat final sont différents. On perçoit une opposition forte et un désir de revenir sur le projet de la part d’Anne Guérette, chef du parti Démocratie Québec opposé au parti de monsieur Régis Labeaume, l’actuel maire de Québec.
Que ce soit à Bordeaux-métropole ou à Québec-Lévis, les citoyens ont le même désir d’amélioration des transports, nul ne peut en douter. Cependant, en ce qui concerne Québec-Lévis, le projet n’est encore qu’au stade de plans et maquettes, tandis que le projet de Bordeaux date de 1997 et est fonctionnel depuis 2003. D’autre part, les financements des deux projets sont bien différents, ainsi que le fonctionnement des gouvernements. Il faut aussi conjuguer avec la géographie et le climat qui sont des éléments indispensables à prendre en compte.
Conclusion
Nombre de paramètres entrent en jeu dans la réalisation des projets de grande ampleur, et la démocratie participative ne peut tout résoudre. Il existe par ailleurs des difficultés à monter financièrement, économiquement, socialement, écologiquement et politiquement les projets. Il est toutefois intéressant de voir que chaque pays a la capacité de s’inspirer de l’autre pour s’améliorer, pour prôner un nouveau moyen de libération de la parole des citoyens et d’écoute pour les élus. On constate à travers cette étude que tout ce système s’appuie sur une volonté des élus, mais que les citoyens ont de plus en plus le désir de s’impliquer dans les grandes prises de décision qui orientent leur vie et ils n’hésitent pas à s’exprimer. Cette expression est un ressort indispensable pour une réelle démocratie, ce n’est pas juste une idéologie, c’est un droit des citoyens inscrits dans la constitution et régi par des lois.
La gestion des projets et la communication vers les habitants des différentes villes de la métropole bordelaise sont très bien gérées et modelées. Savoir que le désir de participer et de faire participer est mutuel ne fait qu’apporter un plus à la dimension de démocratie participative. Il n’est pas rare de voir des projets être réalisés sans l’aval des citoyens.
Lors de la rédaction de ce projet, je dirais qu’une des difficultés rencontrées concernait les différentes informations qui pouvaient parfois se contredire d’un site informationnel à l’autre, mais aussi le manque des points de vue des citoyens comparativement à celui des élus et des directeurs d’associations.
Dû à la distance géographique, je n’ai pas pu consulter les archives, lire les comptes rendus des rencontres et donc d’en savoir davantage sur les moyens réflexifs utilisés.