15 Projet intégré de construction du boulevard René-Lévesque et du prolongement ouest du boulevard de Portland à Sherbrooke
Maxime Roy
Introduction
Les démocraties sont en crise. Nul besoin de regarder bien loin pour comprendre que des changements doivent être apportés dans les démocraties occidentales. Le Canada et le Québec ne font pas exception dans ce débat. Cynisme accru, taux de participation en chute, scandales divers, les exemples se multiplient d’année en année pour corroborer l’affirmation. Si des mouvements sociaux et des groupes de pression prennent la relève et tendent à redorer le blason de la démocratie, les incitatifs pour les simples citoyen-ne-s ne se multiplient pas. Les décideurs et décideuses ne sont toutefois pas muet-te-s dans ce débat. Leur légitimité étant souvent questionnée, ils et elles s’interrogent sur les moyens à prendre pour rendre plus universelles leurs décisions. Une tendance prend, à cet effet, de plus en plus d’ampleur : l’acceptabilité sociale.
Un questionnement se pose voulant que ce ne soit pas nécessairement toujours la qualité d’une décision qui la rendrait légitime, mais que ce soit le soutien général qu’elle suscite qui la rendrait réglementaire, voire légale. Ainsi, « dans un contexte où les projets et décisions publics semblent de plus en plus contestés, à divers degrés et de diverses manières, l’impératif “d’acceptabilité sociale” prend tout son sens » (Fillion, 2015).
L’acceptabilité sociale est essentiellement la résultante d’un processus de consultation dans lequel promoteur, élus, organismes, groupes et citoyens discutent ensemble sur les conditions permettant la réalisation ou non d’un projet de développement (Santerre, 2016).
En d’autres termes, l’idée est donc d’asseoir ensemble tous les acteurs et actrices, touché-e-s de près ou de loin par le projet, afin qu’ils et elles arrivent à un consensus sur les tenants du projet. Par exemple, l’acceptabilité sociale, c’est le fait que Rio Tinto Alcan « en tant que société minière présente dans les pays en développement [garantisse] l’acceptabilité locale […] », que « la mobilisation de la société civile, aussi bien en Inde qu’au Canada, contre les opérations de RTA a abouti à l’abandon du projet minier dans [une région du Ghana] (Eaton, 2016). L’acceptabilité sociale, c’est également que des organismes comme votepour.ca consultent les citoyen-ne-s d’un quartier sur le réaménagement d’une simple rue (votepour.ca, 2017).
Bien que ce concept semble, à première vue, être la panacée à la crise de la démocratie, il importe de saisir le phénomène dans son ensemble afin d’en tirer les bonnes conclusions. Dans cette optique, l’analyse de Bureau d’audience publique sur l’Environnement (BAPE) contribuera à une meilleure compréhension du concept.
Le Projet intégré de construction du boulevard René-Lévesque et du prolongement ouest du boulevard Portland à Sherbrooke sera analysé dans les prochaines pages. D’abord, la présentation du contexte général, en mettant l’accent sur la nécessité du projet ainsi que sur les éléments problématiques de celui-ci, ainsi que des acteurs en cause nous aidera à bien saisir l’impact des travaux. Ensuite, l’explication du processus et de l’environnement politique et médiatique dans lequel le projet évolue rendra plus claire la compréhension des tenants. Finalement, il nous sera possible d’analyser les points positifs et les points à améliorer de ce processus d’acceptabilité sociale.
Contexte général
D’abord, il importe de préciser que plusieurs lois et règlements régissent le développement routier et immobilier au Québec. Le projet étudié dans cet article ne fait pas exception, même si elles ne seront pas étudiées dans cette analyse, les lois et règlements, la nécessité de consultation des citoyen-ne-s quant à ce projet de développement.
Le Projet intégré de construction du boulevard René-Lévesque et du prolongement ouest du boulevard Portland est situé dans la Ville de Sherbrooke, au Québec. Il touche à la fois une zone urbanisée, un ensemble résidentiel, un développement commercial et un développement industriel, ainsi qu’une aire environnementale vierge. Le projet était prévu depuis près de 30 ans avant le dépôt des plans au Bureau d’audience publique sur l’environnement. Ainsi, les travaux toucheront des quartiers résidentiels densément peuplés, ainsi qu’un milieu humide. De surcroît, les conséquences des constructions sont nombreuses : augmentation de la pollution aérienne et sonore, changement de zonage important d’une partie des terrains vacants, augmentations du trafic, augmentation de taxes, etc. L’aspect environnemental est également à considérer puisque certains milieux humides, certaines espèces fauniques ou florales, ainsi qu’un cours d’eau sont touchés par le projet.
Les objectifs du projet tiennent en trois points principaux (BAPE304, 2014). D’abord, le promoteur veut « augmenter la fonctionnalité de l’une des principales portes d’entrée de Sherbrooke ». Ensuite, il veut assurer une meilleure desserte du secteur ouest de son parc industriel afin de contribuer à son développement. Finalement, l’implantation d’un lien routier améliora la desserte immobilière et commerciale dans certains quartiers de la ville.
Les préoccupations
Les préoccupations des citoyen-ne-s, des comités de quartier et des organisations s’opposant, à divers niveaux, au projet du promoteur, sont importantes à analyser afin de bien cerner les lacunes et les bons coups de la consultation publique. Considérant que les besoins sont illimités et les ressources limitées, il va de soi que tous et toutes ne sont pas en accord avec tous les éléments du projet. C’est en fait ces mécontentements ou divergences entre les intervenant-e-s que le concept d’acceptabilité sociale tente d’amenuiser.
Les audiences publiques permettent donc aux gens touchés, de près ou de loin, de donner leur point de vue, de faire part de leur vision. Ce savoir citoyen n’est obtenu que lorsque les institutions et les promoteurs consultent les habitant-e-s. Or donc, en plus de donner plus d’informations ou de connaissances aux promoteurs, les projets gagnent également en légitimité et crédibilité.
La circulation routière
Certains comités et citoyen-ne-s soulignent l’augmentation constante de la circulation dans les quartiers avoisinant la zone où les travaux seraient effectués. Comme quoi, il manque effectivement un axe routier important (boulevard) afin de réduire la circulation locale dans les quartiers résidentiels peuplés par de jeunes familles. Ils soulèvent également l’augmentation des bouchons de circulation et du trafic lors des heures de pointe.
Les milieux naturels
La réalisation du projet « morcèlerait et détruirait l’intégrité et la biodiversité d’un des plus grands milieux humides de la région » (Speidel, 2013), selon une participante. Le détriment environnemental est donc au cœur des préoccupations des citoyen-ne-s. Les participants aux consultations remettent en question les mesures prises par le promoteur quant à la protection de l’environnement.
Le transport actif et collectif
Le projet, pour les citoyen-ne-s de la région, doit intégrer des mesures favorisant le transport actif et collectif. Ils et elles soulignent, notamment, l’aménagement de trottoirs, de pistes cyclables, d’infrastructures de transport en commun, etc.
La pollution
Une autre préoccupation des résident-e-s des quartiers avoisinants concerne l’augmentation de la pollution aérienne et sonore en aval et en amont des travaux projetés. Qui plus est, des intervenant-e-s ont apporté des données scientifiques intéressantes que le promoteur n’avait pas étudiées.
Les acteurs et actrices
Tout projet sous-tend un certain nombre d’acteurs et d’actrices touchés de près ou de loin. Il est presque impossible, d’abord, d’avoir l’opinion de chacun.e sur un projet, ensuite, d’arriver à un consensus. Les mécanismes d’acceptabilité sociale comme les audiences publiques, dont celles du BAPE, semblent primordiaux lorsqu’un promoteur veut s’assurer que le projet réponde à une demande légitime. En étudiant les objectifs et demandes du promoteur et en les comparant à ceux des acteurs citoyens, il sera possible d’identifier où sont les dissonances majeures dans le projet. Le but étant finalement de comprendre où se situent les bons coups et les mauvais coups du promoteur.
Les promoteurs
Le promoteur principal est la Ville de Sherbrooke. La Loi sur les cités et les villes accorde certains pouvoirs aux villes de la province de Québec. Les pouvoirs sont centrés sur la vie urbaine, notamment l’urbanisme, la gestion du transport en commun, l’aménagement et le zonage du territoire, etc.
La responsabilité de l’urbanisme et du zonage permet, entre autres, à la municipalité de contrôler l’usage résidentiel, commercial ou institutionnel des terrains et des bâtiments du territoire. La municipalité exerce ce contrôle selon des critères environnementaux, fonctionnels, esthétiques ou socioéconomiques, qui influenceront la qualité de vie de sa population (MAMROT, 2010).
La Ville de Sherbrooke s’associe avec une firme d’ingénierie, avec l’Université de Sherbrooke, ainsi qu’avec Sherbrooke Innopole. Ces derniers déposent de nombreux mémoires, études, plans, concepts, tracés, etc., concernant le projet intégré. Puisque le promoteur est un acteur institutionnel public, l’organisation d’audiences et l’apport du BAPE sont réglementés par certaines lois. Cependant, la Ville de Sherbrooke ne s’en tient pas au strict minimum concernant le développement du projet. En effet, et il en sera question dans les prochaines sections, la Ville dépasse les attentes sur certains points quant à l’acceptabilité sociale.
D’autres acteurs sont aussi présents dans les pourparlers concernant le projet, mais agissent à moindre mesure, ou agissent par obligation légale. Or donc, il n’en sera pas question dans l’étude. Il est cependant intéressant de constater que plusieurs acteurs institutionnels et privés se penchent sur le projet. Comme mentionné précédemment, les projets de développement de ce genre touchent à une multitude de sujets. Puisque les ressources sont limitées, les audiences publiques, en plus de permettre une plus grande représentation de la citoyenneté, contribuent également à proposer un ensemble de savoirs et de connaissances qui ne sont pas propres aux recherches du promoteur. À titre d’exemple, l’organisme Canards Illimités proposa son expertise en matière de protection et mise en valeur des milieux naturels. En effet, les plans d’aménagements fauniques ont été modifiés sous leur gouverne.
Les comités de quartier et les super citoyens
Un avantage marqué du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement tient dans le fait que tous les mémoires et études déposés lors de ces audiences sont conservés sur la plateforme web du gouvernement. Ainsi, le savoir citoyen et institutionnel n’est pas perdu et peut être consulté par qui le veut bien.
À cet effet, plusieurs comités de quartier et de super citoyens se sont penchés sur le sujet. Leur apport est inestimable, puisqu’ils sont les premiers à être touchés en amont et en aval d’un projet comme celui étudié ici. On définit les comités de quartier comme suit : « Les comités de quartier sont des entités indépendantes, rassemblant des citoyens autour de l’objectif commun d’améliorer le cadre de vie du quartier. Ils sont souvent créés lorsqu’un problème lié à l’aménagement urbain, à l’environnement ou à la mobilité surgit. Le comité de quartier est généralement constitué d’un noyau dur de citoyens motivés et peut également prendre le statut officiel d’une organisation sans but lucratif (OSBL) (Équiterre, 2017).
Les super citoyens, quant à eux, sont définis par leur implication dite « spéciale » concernant un projet ou un autre (Francoeur, 2013). Plus précisément, ce sera un citoyen qui, en plus d’exercer ses devoirs (respecter la loi, préserver son environnement, accepter une tâche de jury, voter, etc.), agira à plus grand égard sur un projet ou un autre. Les avantages de la création ou de l’utilisation de comités de quartier tiennent en fait dans le poids des voix. Ainsi, les comités permettent aux citoyen-ne-s de rassembler leurs connaissances et leurs voix autour de préoccupations communes à leur quartier. Souvent, certains citoyen-ne-s disposent également d’un savoir propre qui contribuera non seulement aux comités, mais également au promoteur. Qu’ils soient institutionnalisés ou non – en OBNL, par exemple –, ponctuelles ou pas, ces entités participent activement au concept d’acceptabilité sociale.
Dans le cadre du projet intégré de la Ville de Sherbrooke, plusieurs comités de quartier se sont créés et ont déposé des mémoires à l’attention du promoteur. On y retrouve plusieurs informations importantes. D’abord, les comités et citoyens y expriment leurs préoccupations en lien direct avec leur quartier de résidence. Les préoccupations de ces derniers rejoignent celles déjà présentées. Ensuite, ils déterminent un périmètre géographique quant à la représentation de la population. Finalement, la plupart posent des questions, expriment leur aval ou non, ou encore proposent de nouvelles pistes de solution.
On s’intéressera donc aux perceptions de ces comités sur le processus d’audiences publiques, ainsi que sur leur sentiment que leurs préoccupations sont prises en considération par le promoteur. La relation varie d’un conseil de quartier à un autre, cependant, les conclusions restent similaires et se résument en quatre constats :
Le premier constat est l’aval que les comités donnent au projet. Bien que tous expriment certaines réserves et questionnent plusieurs dispositions du projet, il semble que le contexte général légitimise la construction d’un nouveau boulevard, ainsi que le prolongement du boulevard existant.
Le second constat réside dans les rencontres en amont du projet. Le mémoire du comité de citoyens des Jardins Marie-Victorin, notamment, explique que plusieurs rencontres ont eu lieu avant le début des audiences publiques sur l’environnement. Ainsi, les démarches entre le promoteur et le comité de quartier ont été vues d’un bon œil de la part du comité : « les rencontres avec les hauts fonctionnaires se sont succédées, menant à des négociations fructueuses vécues dans un climat de respect mutuel » (Fouquet, 2014). Qui plus est, plusieurs ententes dans le cadre des négociations entre le promoteur et le comité ont mené à certaines modifications du projet.
Un troisième constat est l’appréciation de l’exercice des consultations publiques. En ce sens, les commentaires renforcent l’assurance d’être écouté de la part des citoyen-ne-s. On souligne même que, « quelles que soient les recommandations découlant de cette commission d’enquête, elles seront le résultat d’une étude approfondie du projet, ça ne fait aucun doute » (Fouquet, 2014). Selon certains commentaires, des citoyen-ne-s se sont sentis beaucoup plus interpelés lors des consultations que lors des élections, par exemple. Comme quoi, les processus d’acceptabilité sociale seraient peut-être une solution à l’augmentation du cynisme en politique.
Finalement, certains citoyen-ne-s soulignent, comme quatrième constat, que la ville a failli à ses obligations de consultation. Plusieurs questionnent la bonne volonté du promoteur et présentent une certaine problématique allant jusqu’à proposer que le processus politique de la ville en soit un de type « décider avant, informer après » (Nootens, 2014).
Discordances et concordances
À la lumière des visions du promoteur et des citoyen-ne-s, il est possible de reconnaître certaines concordances et discordances quant à leur apport respectif au projet. D’abord, et le fait n’est pas négligeable, la ville est tenue de participer à la commission d’enquête. Comme mentionné précédemment, les audiences publiques sur l’environnement sont commandées par le gouvernement du Québec pour tous les projets touchant le développement durable. La ville aurait-elle, en l’absence d’une telle loi, consulté ses citoyen-ne-s? On ne peut le savoir. Cependant, la mise en place du BAPE adhère à la philosophie d’acceptabilité sociale. Les habitant-e-s semblent heureux et heureuses de sa création. Ensuite, le rapport du BAPE présente une trentaine d’avis entourant des constats réalisés durant les audiences. Bien que le Bureau ne dispose pas de recours coercitif envers le promoteur, plusieurs de ces avis ont été reçus favorablement par la Ville de Sherbrooke, ce qui a mené à des changements dans les plans. Finalement, suivant le soulèvement de plusieurs citoyen-ne-s quant à l’absence de solution de rechange, ainsi qu’aux actions déjà menées en amont des consultations, le Bureau conseille au ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs d’émettre un conseil important au promoteur : « À l’avenir, pour éviter ce genre de situation, qui empêche le public de disposer d’une information complète pour donner son opinion sur un projet, le ministère devrait mettre à l’avant-plan dans la directive du ministre sur le contenu de l’étude d’impactm ainsi que dans l’avis de recevabilité de l’étude d’impact l’importance pour les promoteurs d’évaluer et de comparer diverses solutions pour la réalisation de leur projet, de façon à ce qu’ils démontrent dans leur étude d’impact le bien-fondé de la solution retenue » (BAPE, 2014).
Ainsi, la Ville de Sherbrooke a dû produire de nouveaux documents et informer plus adéquatement sa population.
Le processus
L’analyse du processus de consultations publiques est primordiale afin de comprendre quels sont les éléments porteurs ou encore les freins à l’acceptabilité sociale. Le début des consultations concernant le projet remonte à 2004. Plusieurs plans d’aménagement du territoire sont étudiés au fil des années jusqu’à l’aboutissement du plan présenté par le BAPE en 2014. La Ville, avant la venue du BAPE, organisa des consultations publiques, notamment en 2011, 2012 et plusieurs fois en 2013 (Ville de Sherbrooke, 2017). La salle de presse de la Ville de Sherbrooke informe, sur son site Internet, de la tenue d’audiences et partage les rapports. La Ville ajouta également des rencontres pour les propriétaires commerciaux touchés par le projet au mois mai 2014 (Radio-Canada, 2015).
Pour ce qui a trait au BAPE, le rapport ne détaille pas précisément les lieux, les moments ou le déroulement des audiences publiques. Cependant, plusieurs informations s’y trouvent. Selon la Loi sur la qualité de l’environnement (RLRQ, C. Q -2), la commission d’enquête dispose de quatre mois pour former les audiences publiques.
Les deux parties de l’audience publique ont eu lieu à Sherbrooke. Lors de la première partie, la commission d’enquête a tenu trois séances les 10 et 11 décembre 2013, afin que le promoteur et des personnes-ressources de divers ministères et organismes répondent aux interrogations du public et de la commission. La seconde partie a permis aux participants d’exprimer leurs opinions sur le projet au cours d’une séance qui s’est déroulée le 14 janvier 2014. Au total, 15 mémoires ont été déposés, dont 10 ont été présentés en séance publique, et une opinion a été présentée verbalement (BAPE 304, 2014).
Les mémoires déposés peuvent être consultés sur le site Internet du BAPE, mais également dans plusieurs centres de consultation à travers le Québec. Les transcriptions des séances se retrouvent également sur le site Internet du BAPE.
Les séances ont été tenues au Centre des congrès de l’Hôtel Delta de Sherbrooke. L’emplacement est accessible facilement par voiture ou par le transport en commun de la Ville de Sherbrooke. Les audiences se sont déroulées les mardi et mercredi, en après-midi ainsi qu’en soirée. Il est difficile de porter un jugement clair sur les horaires des audiences, en ce sens où on ne pourrait savoir si des audiences menées le matin ou durant la fin de semaine aurait attiré plus de gens. Cependant, considérant que la ville avait entrepris certaines rencontres depuis près d’une décennie, on peut supposer que les acteurs s’intéressant au projet ont pu se manifester.
Pour ce qui est du déroulement des audiences publiques, le tout est très interactif. D’abord, une première partie regroupant une à plusieurs rencontres, dépendamment du mandat ainsi que des questions du public, est menée sous forme de questions/réponses. En effet, un citoyen pourra s’adresser directement au promoteur ou à une personne-ressource[1] en posant des questions de vive voix lors des audiences publiques. Ensuite, une deuxième partie fait office de dépôt de mémoire. Ces derniers peuvent être transmis par courriel, par télécopieur ou en personne. Le BAPE offre des conseils et de l’aide à la rédaction
C’est finalement le BAPE qui produira un rapport à l’attention d’un ministère et c’est ce dernier qui détermine l’aval ou non du projet.
L’environnement politique et médiatique
Le projet est d’envergure pour une ville de la taille de Sherbrooke (161 000 habitant-e-s), puisqu’il touche à une multitude de préoccupations des citoyens, ainsi qu’au développement économique, industriel et résidentiel de la ville. Il est circonscrit à la région de Sherbrooke, ce pour quoi, au contraire d’autres projets comme le nouveau pont Champlain à Montréal, il n’obtient pas de couverture médiatique hors de l’Estrie. Certains médias reprennent des données publiées par le promoteur ou le BAPE. Les articles rapportent des mécontentements ou expliquent que le prolongement et l’aménagement d’une route dépasseront les coûts initiaux présentés (Radio-Canada, 2016).
Bien que les médias aient repris certaines informations, ils ne sont pas utilisés pour véhiculer la mise en place d’audiences publiques sur le projet. C’est par des rencontres dans les quartiers concernés, à l’aide des conseillers de quartier élus, ainsi que par leur site Internet (salle de presse) que le promoteur tente d’inviter les gens.
L’environnement politique est également à souligner dans cette analyse. D’abord, des élections municipales se sont déroulées le 3 novembre 2013, c’est-à-dire un peu plus d’un mois avant la tenue des audiences organisées par le BAPE. Puisque plusieurs autres rencontres ont été organisées entre 2004 et 2013 par la Ville de Sherbrooke, on peut supposer que le projet intégré de construction des boulevards n’était pas un enjeu électoral important. Cependant, certains commerçants soulevèrent que l’augmentation de taxes était une visée de l’administration de la ville. En effet, il faut rappeler que les « commerçants n’avaient pas été prévenus qu’ils partageraient les coûts d’urbanisation des approches du nouveau carrefour giratoire. Les propriétaires en question devaient se partager une facture de 625 000 $, ce qui avait soulevé leur mécontentement » (Custeau, 2015). Cette augmentation de taxe reliée au changement de zonage, ainsi qu’à l’augmentation de la valeur des terrains où sont construites les entreprises, constituait une faute quant à la gestion de l’affaire par le promoteur. Qui plus est, la rencontre qui avait alors été organisée entre les commerçants et la Ville de Sherbrooke avait été remplacée par un point de presse.
Les manquements
À la lumière des relations entre le promoteur et les acteurs citoyens, ainsi que les commerçants, et suivant le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, il est possible de dresser un portrait des manquements que la Ville de Sherbrooke quant au concept d’acceptabilité sociale. Le processus de consultation dans lequel les différents acteurs touchés de près ou de loin par un projet discutent des modalités de ce dernier doit être mené adéquatement pour assurer l’inclusion du point de vue de chacun. Dans le cas du Projet intégré de construction du boulevard René-Lévesque et du prolongement ouest du boulevard de Portland à Sherbrooke, il semble y avoir quelques lacunes au processus.
D’abord, plusieurs citoyen-ne-s se sont sentis lésé-e-s dans le processus : annulation de rencontres, rejet de mémoires, faux sentiment d’écoute. Si plusieurs individus reconnaissent une bonne volonté de la part du promoteur, pour d’autres, c’est totalement le contraire. C’est notamment le cas des commerçants, comme mentionné précédemment.
Ensuite, l’absence de solution de rechange a été sévèrement questionnée par le BAPE, ainsi que par la population. Si bien que le Bureau recommanda au ministère de mettre en place une prochaine directive à cet effet pour les projets. Qui plus est, cela marque une obstruction du public à disposer d’une information complète sur la situation.
Finalement, considérant que les visées du projet datent de près d’une décennie, la mise à l’horaire des audiences aurait pu être mieux gérée. Ainsi, plusieurs questionnements restent sans réponse. Pourquoi limiter le BAPE à quatre mois? Pourquoi n’avoir organisé que quelques rencontres institutionnelles malgré qu’on connaisse les tenants du projet depuis fort longtemps? Pourquoi ne pas avoir utilisé les médias locaux pour faire la promotion des audiences publiques? Le promoteur, à cet effet, a manqué à son obligation de consultation.
L’acceptabilité sociale
Plusieurs auteurs se sont penchés sur les dilemmes de la participation citoyenne. À cet effet, plusieurs questionnent la représentativité, l’égalité, la compétence et la décision en ce qui a trait au concept d’acceptabilité sociale (Blondiaux, 2007). Dans un cas concret comme celui-ci, il importe d’analyser quels sont les freins à l’entrée des citoyen-ne-s dans le débat démocratique lors de projets d’envergure. En ayant reconnu les manquements du promoteur, il faut aussi identifier où la communauté a manqué dans son devoir. Une problématique de travail en « vase clos » est identifiée d’entrée de jeu. Certes, les municipalités ont été créées dans un contexte où la population demandait à avoir un organe décisionnel plus près de la population. Cependant, et nous l’avons remarqué dans cette analyse, les préoccupations des citoyen-ne-s tiennent en quelques points et ne sont pas différentes d’un quartier à un autre ou encore d’une rue à l’autre à l’intérieur de la ville. À cet effet, n’aurait-il pas été plus efficace d’organiser un consensus plus clair entre les différents comités de quartier? Certaines rencontres ont mené à la création de comités de quartier et on ne peut être contre la vertu, c’est là un exemple probant de projet d’acceptabilité sociale. Mais, lorsqu’un comité géographiquement très près d’un autre le contredit, le message peut avoir tendance à se perdre. L’obtention d’un consensus, en ce sens, me semble souhaitable.
Toutefois, il faut considérer que la population n’a pas les mêmes ressources financières, humaines ou techniques que l’État. En ce sens, dans le cas qui nous intéresse, le gouvernement du Québec devrait avoir l’obligation de participer activement à l’accessibilité des citoyens à ces ressources. Le gouvernement a d’ailleurs déposé en février 2016 un livre vert nommé Orientations du ministère de l’Énergie et des ressources naturelles en matière d’acceptabilité sociale. Il y inclut objectif en ce qui a trait à l’acceptabilité sociale et y explique, sommairement, quels seront les moyens pris à cet effet. Un petit pas, certes, mais un pas vers la bonne direction.
Conclusion
Les démocraties sont en crise. Cependant, à la lumière des actions entreprises par certains citoyen-ne-s, il semble que tout n’est pas perdu. D’abord, les institutions gouvernementales comprennent d’ores et déjà la nécessité de consultation des populations. L’établissement de mécanismes comme le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, le dépôt d’un livre vert sur l’acceptabilité sociale, la mise en place de rencontres en aval des projets d’envergure sont quelques exemples probants de la bonne volonté des institutions. Elles semblent comprendre que la population a le droit de savoir et de comprendre les décisions prises par les différents paliers gouvernementaux. Non seulement le dialogue entre promoteurs et autres acteurs touchés donne un sentiment d’écoute important à la population, il légitimise les décisions, les projets, les plans proposés. Qui plus est, puisque les ressources et les connaissances sont limitées, l’apport des citoyen-ne-s aux débats est inestimable. Le savoir citoyen, en ce sens, est une contribution pratiquement gratuite à l’avantage à la fois du gouvernement et de sa population.
Les préoccupations autour du projet intégré de construction du boulevard René-Lévesque et du prolongement ouest du boulevard de Portland à Sherbrooke sont nombreuses et compréhensibles : pollution, gestion de l’environnement, transport actif et collectif, etc. Ces inquiétudes quant au milieu qui entoure les citoyen-ne-s dans certains quartiers rejoignent celles d’autres individus à travers le Québec, à travers le monde. Nous avons tous un devoir de compréhension, d’étude et d’analyse des processus qui tendent à augmenter le pouvoir des populations sur leur milieu. Si le BAPE contribue activement à la mise en place de processus d’acceptabilité sociale, il n’est pas la panacée à la problématique d’éloignement des décisions avec la population. Le manque de pouvoir coercitif à l’encontre des promoteurs, l’absence de procédés d’évaluation en amont des projets, la ponctualité du dialogue entre les acteurs, le manque de ressources humaines ou financières sont toutes des lacunes à ce processus.
Existe-t-il un consensus sur les solutions à proposer? Bien sûr que non. Cela veut-il dire qu’il faut laisser tomber les actions citoyennes? Assurément pas. L’avènement des communications à notre ère devrait cependant contribuer à un meilleur dialogue entre les titulaires du pouvoir et la population. L’utilisation des ressources communicationnelles doit être utilisée à bon escient en ce sens. Les médias ont un rôle à jouer et ils devraient être utilisés comme un outil important à la fois par le gouvernement et les citoyen-ne-s.
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Viveret Patrick. 2010. Éthique et développement durable. France : L’Harmatta
- Représentant provenant d’un ministère, d’un organisme, d’une municipalité ou tout autre expert ciblé par la commission pour fournir son expertise technique et un éclairage sur les lois, les règlements, les politiques et les programmes applicables à un projet. Cette personne vulgarise l’information scientifique, technique et pratique relativement à son champ de compétence et au projet d’étude (BAPE, 2010) lorsqu’il y a une demande. ↵