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L’émergence de la participation citoyenne à Québec. Récit d’un acteur

Jacques Fiset

Le texte qui suit est la transcription d’une conférence donnée par Jacques Fiset dans le séminaire « Communication publique, citoyenneté et démocratie » à l’automne 2017. Dans cette conférence, il raconte, à travers ses souvenirs d’acteur engagé dans la société civile et dans l’administration municipale, l’émergence de la participation citoyenne à Québec.

J’aimerais d’abord vous dire qui je suis. Je suis un gars de Saint-Roch à Québec qui a émigré jusqu’au quartier Saint-Sauveur. Ça a été tout le cheminement de ma vie. Donc, vous comprenez que mon expérience vient de Québec et je vais vous parler uniquement de Québec.

Je vais d’abord commencer par vous expliquer pourquoi ce parti politique auquel j’appartenais avait comme article 1 la création des conseils de quartier. Je voudrais montrer à quel point ce n’est pas une chose née de façon spontanée.

J’ai commencé ma carrière comme enseignant au secondaire en 1968, à 21 ans. À ce moment-là, je n’avais pas de notion très claire de ce qu’était un quartier défavorisé, je n’avais pas cette conscience. Et à l’époque, on pouvait devenir enseignant sans aller à l’université, ce que j’ai fait. J’enseignais dans une école uniquement de garçons (les sexes étaient encore séparés dans les écoles). Environ 1 200 gars des quartiers Saint-Sauveur, Saint-Roch et Vanier : voilà la clientèle. Petit à petit, je découvre, en regardant les statistiques, que 72 % des élèves ont des parents bénéficiant de l’aide sociale. Je m’aperçois donc que nous sommes dans un quartier défavorisé. C’est un premier choc, car je ne connaissais pas ça. Je découvre d’où je viens d’une certaine façon. Même si j’étais entouré de gens qui vivaient de l’aide sociale, je n’avais pas cette conscience. Tout le monde était pareil pour moi. Mon père travaillait, mais c’était un travailleur à petit salaire.

Ma conscience sociale s’est faite là. Et, à partir de là, j’ai commencé à m’intéresser à ce qui se passait dans ce quartier. Et tranquillement, avec un de mes amis enseignants, j’ai allumé. Mon ami, avec d’autres citoyens du quartier, travaillait à mettre sur pied un comité de citoyens à Saint-Sauveur.

L’année précédente, un autre comité de citoyens s’était créé dans le quartier Saint-Roch, le Comité de citoyens de l’Aire 10. Pourquoi l’Aire 10? Parce qu’à l’époque, le zonage de la ville de Québec était divisé en quartiers, en aires et en zones. Donc l’Aire 10 était quelque chose d’assez précis, correspondant à peu près au carré dans lequel Saint-Roch s’est reconstruit au cours des années 1990. Le comité de citoyens y avait été créé. Ceci parce qu’il y avait, dans cette zone, un projet annoncé par le maire Gilles Lamontagne qui proposait de démolir une rangée de deux pâtés de maisons en largeur entre l’arrivée des autoroutes que vous voyez aujourd’hui jusqu’au boulevard Saint-Sacrement, entre Saint-Vallier et Sainte-Hélène, et ensuite le long de la falaise. Imaginez la quantité de dizaines de milliers de logements qu’on voulait mettre à terre. Pourquoi? Pour faire une autoroute qui nous permettait d’arriver de Beauport et de passer à travers la ville.

Les gens se sont levés. En effet, la mobilisation tient à deux choses : mon milieu de vie est touché directement ou mon portefeuille est touché directement. Plus je suis pauvre, plus c’est mon milieu de vie. Plus je suis riche, plus c’est mon portefeuille.

De 1968-1969 à 1976, ce sont des mouvements citoyens qui se sont opposés. Je me souviens qu’il se faisait beaucoup d’actions de nuit. Puis, la population a été mobilisée à tous les niveaux. Un des plus importants acteurs de cette période-là, c’était le curé de Saint-Roch (bien connu d’ailleurs, il est mort aujourd’hui). Il a bloqué des voies ferrées, il a bouché des rues. L’idée était d’écœurer les décideurs pour forcer des décisions ou le retrait de d’autres pour préserver le bâti existant et soutenir sa rénovation.

Pour ma part, je me suis retrouvé à Saint-Sauveur après avoir déménagé, où un changement de zonage était envisagé. Il allait passer de trois étages et demi à six étages, à l’échelle du quartier. Ça veut dire que demain matin, mon terrain aurait valu plus cher que ma maison. Si j’avais vendu ma maison de trois étages, je gagnais de l’argent, mais les promoteurs allaient la démolir pour construire six étages. Nous voyions tranquillement notre quartier se démolir petit à petit pour être remplacé par un quartier avec six étages. À ce moment-là, les gens se mobilisent aussi, puisque leur milieu de vie est touché. Ces gens n’avaient pas beaucoup d’argent, mais ils voulaient rester là. L’idée de quitter un endroit comme ça, comme cela avait été fait avec les gens de Saint-Roch (8 000 logements avaient été démolis lors de la construction de l’autoroute, en un mois et demi, deux mois).

J’ai assisté à cela à l’époque. Les maisons étaient démolies, elles tombaient comme des mouches. Là, dans le quartier, les gens réagissaient en disant qu’ils ne voulaient pas qu’il leur arrive la même chose qu’à Saint-Roch. La mobilisation citoyenne s’est faite dans ces quartiers, parce que ces quartiers étaient directement touchés par les décisions de l’administration municipale.

Vous voyez les tours Pie X, les HLM dans Limoilou? Et la tour au coin de Marie-de-L’Incarnation? Ces tours ont été construites spécifiquement pour reloger les gens qui demeuraient dans les 8 000 logements de Saint-Roch. Vous vous imaginez? Des gens qui sont là depuis une, deux, trois générations sont déracinés, envoyés dans des HLM parce qu’on veut démolir leur maison. Ils sont expropriés, tout simplement.

Dans Saint-Sauveur, il n’était pas question qu’il arrive la même chose. Et comme par hasard, la ville décide de construire un premier HLM qui devait avoir, si je me souviens bien, une quinzaine d’étages. Actuellement, il en possède six ou sept, mais sa construction a justement été bloquée par les citoyens. La mobilisation est donc venue des citoyens parce qu’ils se sentaient attaqués dans leurs tripes.

Je me souviens, au départ, durant les mobilisations, c’était la confrontation. De nuit avec le curé, les manifs sont devenues beaucoup plus publiques, de jour. Nous faisions des contremarches, bloquions la circulation, empêchions même des travaux de se faire. Nous organisions aussi des réunions, mais dans ce temps-là, nous ramassions facilement 300 ou 400 personnes dans un sous-sol d’église, parce que les gens voulaient qu’il se passe quelque chose, mais nous avions l’impression que dans nos quartiers, nous n’avions aucun poids sur l’administration.

Les belles affaires se faisaient sur le plateau. Nous, nous devions disparaître. Le but était de démolir et de remplacer les maisons par des immeubles plus importants, modernes pour faire venir de la population avec de l’argent. La création du centre Fleur de Lys s’est faite dans la perspective de permettre à la population d’avoir son centre d’achats. Il fallait que le centre-ville ait un centre d’achats.

Beaucoup de décisions municipales étaient vraiment perçues comme une attaque directe aux gens des quartiers de la Basse-Ville, en particulier. Vanier était moins attaquée, parce que c’était une petite ville à part.

La ville, elle, ne s’occupait pas vraiment de ces contestations au début., mais petit à petit, elle a été obligée de réagir parce que la mobilisation était trop importante. En autres, sur la question de l’autoroute, elle a été obligée de mettre fin au projet parce que la démolition n’avait plus de sens.

Les décisions étaient prises depuis un certain temps, mais les gens ne suivent pas la politique municipale, ça ne faisait pas partie de l’actualité autant que ça peut en faire partie aujourd’hui. Ils étaient peu informés des décisions qui avaient été prises. Cette fois, davantage de gens étaient informés, je pense à deux architectes qui suivaient l’évolution des projets et avaient vu venir la catastrophe, mais ce n’était pas eux qui savaient mobiliser des foules. La mobilisation est venue par des gestes qui sont apparus quand on a vu des démolitions. Et petit à petit, les gens ont vu l’extension possible à l’extérieur de la Basse-Ville. La mobilisation s’est cristallisée autour d’un certain nombre de personnes qui ont créé les Comités de citoyens. Quatre Comités sont apparus dans les quartiers, le premier était celui de l’Aire 10, le deuxième celui de Saint-Sauveur, et puis un qui s’est créé plus tard dans Saint-Jean-Baptiste et un autre à peu près en même temps, à Limoilou. Ils se sont créés de façon séparée. Ils ne se connaissaient pas forcément entre eux et, petit à petit, ont rapidement créé un réseau entre eux pour se mobiliser. À travers ces réseaux, une discussion a commencé où les gens ont dit : « Il ne faut pas se contenter de faire des actions comme ça parce qu’on ne gagnera pas, il faut vraiment aller du côté politique ».

Ce cheminement a été amplifié par quatre intellectuels qui ont écrit un rapport, le rapport Ezop. Il était possible de voir avec les administrations, d’abord avec le maire Gilles La Montagne, puis avec Jean Pelletier, une collusion entre ces administrations et des promoteurs qui pouvaient être éventuellement les réalisateurs de leurs projets urbanistiques. Donc là, l’organisation des comités de citoyens ne suffisait plus, parce qu’il fallait une organisation qui allait au-delà des quartiers.

Le rapport a donné l’occasion de faire avancer la réflexion pour savoir comment on allait s’introduire dans le pouvoir politique municipal. De là est sorti le rassemblement populaire. Il se voulait au début seulement un mouvement politique, mais il est devenu au fil du temps un parti politique. Pierre Racicot a été le premier chef de parti du mouvement populaire, il était un des quatre intellectuels qui avaient écrit le rapport. À la suite des rassemblements citoyens, à la contestation populaire, on voulait au moins pouvoir poser des questions à l’Hôtel de Ville, car, à ce moment-là, on ne pouvait pas parler ni poser des questions. Puis, il y a eu une petite ouverture, il était permis de poser des questions, il fallait les écrire à l’avance, les envoyer à l’Hôtel de Ville et là, s’ils décidaient de laisser parler la personne, quelqu’un avait préparé une réponse de trois pages pour lui expliquer qu’il avait tort.

C’était la seule place que le citoyen avait pour essayer de questionner ou de contrer la municipalité. Ce n’est donc pas par hasard que le mouvement citoyen a été créé pour laisser une place aux citoyens pour qu’ils puissent avoir un certain regard sur l’évolution de l’aménagement de leur quartier. D’où l’idée que le premier article du rassemblement populaire soit devenu assez rapidement la création de conseils de quartiers.

Le premier embryon du rassemblement populaire est né en 1971. Il est né assez rapidement, finalement, parce qu’il n’y avait pas d’autre possibilité de faire bouger le pouvoir municipal. Nous voyions que les actions des Comités de citoyens avec leurs manifestations étaient limitées. Et la première élection à laquelle nous avons participé était en 1977.

En 1971, nous étions dans un mouvement politique, nous n’avions pas encore décidé de nous faire élire, ce n’était pas encore un parti politique. La discussion a encore duré assez longtemps, mais en 1973, lors des élections où nous ne nous étions pas présentés, nous nous sommes rendu compte que nous n’avions pas d’impact sur la population, sauf dans nos quartiers, mais ce n’était pas comme ça que nous réussirions à battre le pouvoir en place. Nous avons réfléchi et il me semble que c’est en 1976 que nous avons officiellement déposé l’existence du rassemblement populaire au DGE à l’époque. Et la première élection à laquelle nous avons participé était en 1977 et, ensuite, tous les quatre ans. Pierre Racicot est demeuré chef de parti en 1977 et 1981, et en 1985, Pierre Mainguy a pris la relève, et en 1989, Jean-Paul L’Allier.

Il s’agit toujours d’un parti qui veut donner d’abord une place aux citoyens. Par contre, il n’était pas possible de nous occuper seulement de ça, en politique, on embrasse large : il y a la question du patrimoine, de l’aménagement urbain, de la restauration, des permis, de la police, des pompiers. Pour s’occuper de quelque chose qui semble central, il a fallu s’occuper de tout le reste.

Dans notre parti, il y a eu beaucoup de discussions, de colloques, d’assemblées générales pour définir le programme, mais jamais les conseils de quartier n’ont bougé de leur place en tant que priorité, mais une fois que cette priorité a été définie, il a fallu s’occuper de toutes les autres préoccupations.

Nous nous sommes donc présentés en 1977 et nous ne sommes pas élus du tout. En 1981, trois conseillers municipaux sont élus dans l’opposition et, en 1985, trois autres, dans l’opposition toujours. Tranquillement, l’esprit dans lequel le parti veut se présenter avance. Finalement, il nous fallait un porteur qui avait du charisme pour expliquer le projet à la population et attirer son attention. Ça a été Jean-Paul L’Allier.

Pour ma part, je me suis présenté en 1985 avec Pierre Mainguy, j’ai été battu, puis en 1989 avec Jean-Paul L’Allier, j’ai été élu.

Pour parler un peu de Jean-Paul L’Allier, à 27 ans, il a été ministre de la Jeunesse et des Loisirs avec Robert Bourassa. C’est un libéral, mais quand est arrivée la question du référendum, tout en étant libéral, il s’est positionné du côté du « oui » clairement, donc il a été un peu mis de côté par les libéraux. Après cela, il a été représentant du Québec en Belgique, au Maroc et dans divers pays. En 1987, nous avons pris contact avec lui, car nous connaissions sa vision des choses qui était très proche de la nôtre. Il a accepté en 1988 et la campagne a suivi. Il est resté maire de Québec pendant 16 ans. C’était un rassembleur, un visionnaire.

J’étais avec lui pendant les deux premiers mandats, j’ai été vice-président du comité exécutif, disons son bras droit, particulièrement pendant le second mandat. Ensuite, pendant les huit autres années, Jean-Paul L’Allier était minoritaire à l’Hôtel de Ville. Quand je raconte ça, les gens me disent qu’ils ne s’en sont même pas rendu compte, car, en étant minoritaire et bloqué dans ses projets, il restait rassembleur. D’ailleurs, au comité exécutif, il y a même eu un représentant de l’opposition. Il donnait beaucoup de place à ses collègues au comité exécutif, y compris à la représentante de l’opposition. C’était quelqu’un qui était capable d’expliquer un programme de parti de façon très compréhensible pour les gens. Il nous a permis d’arriver au pouvoir.

Le projet de Jean Pelletier était de créer un centre Rideau comme à Ottawa, avec une énorme autoroute qui arrivait dans le centre-ville et d’énormes stationnements. Notre projet était de retisser le quartier, notamment de créer des jardins. Nous étions dans un trou, dans le quartier Saint-Roch, tout avait été démoli. Cela ressemblait à un quartier bombardé et nous voulions faire un jardin. J’étais responsable de la Basse-Ville au comité exécutif, donc j’ai beaucoup suivi le dossier.

Quand nous sommes arrivés à la mairie, nous avons constitué une commission consultative publique sur son développement. Nous avions été élus sur un projet qui restait encore vague et, dans ce projet, il y avait le jardin, mais nous n’avions pas l’idée, à l’époque, que nous commencerions par le jardin. Nous pensions que ce serait un projet gouvernemental d’abord qui a été finalement abandonné. Pendant cette consultation, nous avons voulu savoir ce que les gens voulaient. Beaucoup de gens se sont exprimés, des habitants du quartier, mais aussi des architectes et des étudiants en urbanisme de l’Université Laval. Ça a duré une semaine et demie, cinq heures par jour à la bibliothèque. Tous les médias avaient été frappés par le fait que les gens qui vivaient dans le quartier en étaient fiers. Ils avaient toujours vécu dans ce quartier depuis plusieurs générations, c’était leur lieu de vie, peu importe ce qui était arrivé.

À partir de ce constat-là, nous avons décidé de leur donner un beau jardin. Nous voulions créer du beau. C’était le discours de Jean-Paul L’Allier, il disait : « Un milieu de vie doit d’abord et avant tout être beau ». Et il fallait investir dans le beau. Le reste allait venir de lui-même. Si le quartier est beau, les gens voudront que leur maison soit belle. Si le quartier est beau, les gens voudront le fréquenter, s’y promener. Donc nous avons créé le beau tout de suite et le beau a attiré le développement. En subvention, nous avons investi 90 millions et ça a généré un milliard en développement autour. Personne ne nous dit plus que ce n’était pas rentable. Moi, j’ai perdu aux élections en 1997 parce que j’avais fait un jardin de six millions dans un trou perdu. J’habitais Saint-Sauveur et les gens pensaient que je m’occupais trop de Saint-Roch et pas assez d’eux. En réalité, le jardin a coûté 4,6 millions, mais le montant a été mal mémorisé. Les gens pensaient que nous allions faire quelque chose qui n’allait servir à rien dans un endroit où il n’y avait pas de développement, que nous allions subventionner la construction autour et que cela allait coûter très cher, mais finalement, cela a rapporté beaucoup de taxes.

À notre arrivée à la mairie, le maire m’avait également confié la création des conseils de quartier. J’ai réussi à mettre en place un projet pilote en 1993, quelques mois avant la deuxième élection. Un conseil de quartier et un conseil d’arrondissement sont très différents, l’un formé de citoyens l’autre d’élus. Quand on est élu, on tient à son pouvoir, c’est ennuyeux de voir les gens nous parler et nous dire comment faire notre travail. Il a donc fallu que je me batte contre le caucus et contre le parti.

D’une part, le parti voulait que les conseils de quartier soient décisionnels, qu’ils prennent la décision finale sur les choix de zonage, par exemple. C’était un peu embêtant, car il fallait un regard plus large. Si nous voulions faire ça, il fallait changer la loi des cités et villes pour permettre la création d’un autre niveau de pouvoir municipal. Cela se faisait à l’Assemblée nationale. Alors, nous avons beaucoup travaillé avec les avocats pour trouver une façon de faire qui nous permettait d’aller le plus loin possible dans la capacité du conseil de quartier à influencer les décisions, sans être pour autant le porteur final de la décision, mais en nous permettant de prendre en compte l’avis des citoyens.

D’autre part, au conseil municipal, il y a avait plusieurs conseillers qui avaient le sentiment que nous leur enlevions du pouvoir, parce que dans notre proposition, les élus qui siégeaient au conseil de quartier couvraient leur district électoral sans le droit de vote. Seulement les membres du conseil avaient le droit de vote. Il a été long de leur démontrer que les citoyens vont leur donner un avis dont ils ne sont pas participants, donc ils gardaient leur liberté d’être d’accord ou non avec cet avis . Il serait possible de discuter et de revenir avec un argumentaire sur la décision prise par la suite. Le conseiller municipal gardait du temps pour prendre une décision, elle n’était pas immédiate. Il pouvait prendre du recul. Cela a pris du temps, mais l’idée a fini par être acceptée. Mais à l’autre extrémité, il y avait un porteur de projet au parti qui voulait que ce soit décisionnel.

Je me battais, mais j’étais convaincu que je me battais contre quelqu’un qui idéologiquement était incapable de faire la moindre concession. Jusqu’à ce que j’apprenne plus tard que c’était pour empêcher que les conseils de quartier existent. Je le croyais honnête au début. Je me suis battu finalement dans deux directions, mais pour la même raison : ces gens ne voulaient pas que les conseils de quartier existent.

Quand on a défini les conseils de quartier, on s’est attaché à nos valeurs de parti, entre autres, la place des femmes. Dans les conseils de quartier, il y a trois hommes, trois femmes, et les sièges ne peuvent être occupés par personne d’autre. C’était unique. On nous a pourtant reproché de faire rentrer du monde sans compétences, j’entends par là les femmes.

Il y avait aussi un septième membre. Lors de l’assemblée générale de constitution, il fallait compléter des blancs dans les règlements généraux de chaque conseil de quartier, dont celui de la qualité du septième membre. Dans certains quartiers, c’était un commerçant, dans d’autres, un commerçant qui devait habiter dans le quartier ou des représentants du milieu communautaire. L’assemblée du conseil devait le décider.

Quant aux pouvoirs réellement attribués aux conseils de quartier, nous avons commencé notre réflexion avec ces questions : quels pouvoirs et comment leur donner. Le premier pouvoir, que nous voulions le plus décisionnel, était les plans de quartier. La première tâche du conseil était donc de définir un plan de quartier pour les dix prochaines années. Quelques quartiers ont eu le temps de le faire avant qu’on ne les rende inefficaces comme ils le sont aujourd’hui dont Saint-Jean-Baptiste, Saint-Roch et Saint-Sauveur, mais ces plans-là sont plus ou moins caducs, car personne ne s’en occupe maintenant.

Il s’agissait de définir les aménagements urbains pour les dix prochaines années : une vision globale d’équipements urbains, de places, de parcs et d’aménagements urbains. Conséquemment à cela, le conseil de ville peut déterminer un budget.

Pour évoquer cette question, j’aimerais parler du budget de la ville, elle en possède deux : un budget d’opération et un budget d’investissements en immobilisation, le PTI (Programme triennal d’immobilisation). Le PTI est constitué des travaux majeurs effectués en cours d’année sur les aménagements des parcs, l’éclairage ou la gestion de la circulation. Ce sont tous les investissements majeurs mobilisables et qui vont tomber dans les amortissements de la ville à long terme.

Parlons de la méthode concernant le plan de quartier. Cela commence par une présentation faite par des fonctionnaires qui viennent expliquer l’état du quartier dans ses aspects municipaux : du zonage à l’existence de parcs ou de centres communautaires. Ensuite, le conseil de quartier lui-même mène des travaux sous forme d’ateliers publics, organisés avec les citoyens pendant les séances, pour identifier les enjeux qui sont perçus les plus importants par les citoyens. Parmi les thèmes qui revenaient souvent : la sécurité, le transport et le stationnement, la verdure, les parcs et finalement les aménagements municipaux de façon générale.

À partir de ces ateliers, un projet est constitué par la fonction publique. Le projet est ensuite travaillé et revu sous forme d’ateliers du conseil de quartier, pour finalement aboutir au dépôt du plan de quartier. Il y a donc plusieurs moments, essentiellement durant les ateliers, où les citoyens peuvent se prononcer. Et à la fin de chaque réunion était présenté le thème du conseil suivant, par exemple : au prochain conseil, nous allons réfléchir sur la question des parcs.

Certaines fois, on est allés très en détail. Par exemple la place Claire-Fontaine, en face de l’église Saint-Jean-Baptiste, a été dessinée par le conseil de quartier. La même chose pour le parc Durocher dans Saint-Sauveur. Les gens pouvaient ainsi exercer leur propre talent et dire ce qu’ils voulaient. Le parc Durocher, par exemple, a été clairement dessiné par des gens qui avaient des enfants. C’est un parc consacré aux enfants. Dans les priorités du conseil, une partie était toujours consacrée à l’avancement du plan de quartier.

Une fois le projet déposé, une évaluation du coût était faite par la fonction publique. Supposons que la ville dise : le plan va coûter 20 millions sur dix ans, donc, chaque année, dans son programme triennal d’investissement, elle va mettre deux millions pour ce quartier-là. La ville décide du montant annuel, mais le conseil de quartier décide des priorités. Par exemple, le quartier Saint-Jean-Baptiste a décidé qu’après la première année, la place Claire-Fontaine serait construite. Les ingénieurs voulaient refaire la rue d’Aiguillon, mais les citoyens ont choisi Claire-Fontaine. Une réelle importance était donnée à la décision du conseil de quartier qui n’avait finalement pas d’impact sur le budget de la ville, mais seulement sur la planification. Un an était donné pour prendre la décision. Pour le conseil municipal, il n’y avait pas d’impact sur son pouvoir.

Le deuxième pouvoir donné au conseil de quartier était les règlements de zonage.

À la ville de Québec, il n’y avait pas, à l’époque, de pouvoir d’ouverture des registres et de référendum, quand il y avait un changement de zonage. C’était simplement une obligation du conseil de ville de consulter les citoyens, ce qui ne s’était à peu près jamais fait. C’était tellement vague dans la loi qu’il était facile de passer à côté sans se le faire reprocher. Mais nous tenions à consulter les citoyens. Dès que nous sommes arrivés au pouvoir, nous l’avons fait de façon très large en utilisant un bureau que nous avions créé, qui était le bureau de consultation de Québec et de relations avec les citoyens, si je me souviens bien. Ce bureau faisait des consultations tant bien que mal, mais ce n’était pas encadré. Ainsi, dès qu’un changement de zonage concernait un territoire du conseil de quartier, il fallait aller chercher l’avis du conseil de quartier, en public, après discussion. La fonction publique et le promoteur qui demandait le changement de zonage venaient donner une séance d’information où les citoyens posaient des questions. Tout se faisait publiquement dans une séance du conseil de quartier. Et sa décision était donnée à la séance suivante. Cela prenait du temps, mais il est certain que consulter les citoyens prend toujours du temps.

On peut donc bonifier un projet à partir de toutes les discussions qui sont faites en public.

Le troisième pouvoir est le pouvoir d’initiative. Pendant les ateliers publics qui nous permettaient de savoir quels étaient les enjeux les plus importants, nous nous rendions compte qu’ils ne se réglaient pas forcément par un plan de quartier. Alors, il était possible de décider de mener annuellement une action pour mener à bien une solution proposée. Par exemple, dans beaucoup de conseils de quartier, c’est comme ça que ça a commencé pour la sécurité. La police communautaire est née de travaux faits dans le quartier Saint-Roch et l’éclairage des rues dans le quartier Saint-Jean-Baptiste. Dans Saint-Sauveur, nous avons discuté en termes de sécurité du changement de direction des rues et ça marche encore! Pour cette action annuelle choisie par le quartier et son fonctionnement, le budget alloué était d’environ 10 000 $. Et le bureau de consultation de Québec et de relation avec les citoyens avait, pour chaque conseil de quartier, des fonctionnaires pour les aider à s’organiser avec un local, un numéro de téléphone et un minimum d’organisation pour avoir une bonne relation avec leurs citoyens.

Tout cela a disparu depuis.

Voilà les trois choses que nous avions définies pour les conseils de quartier. Elles sont très orientées sur les grands enjeux qui avaient soulevé la population dans les années précédant notre arrivée au pouvoir : la question de l’aménagement des quartiers, de la vision à long terme, toutes les questions qui concernent le milieu dans lequel les citoyens vivaient. Et pourquoi les premiers étaient dans le centre-ville? Car c’est là que les habitants se sont sentis le plus attaqués.

Venait ensuite la question de la procédure. La ville a d’abord dû définir les territoires. Cela a été une longue discussion, car un quartier n’a pas de limites identifiées, mais seulement identifiables par les gens qui y habitent. On identifie un quartier à son milieu de vie, à l’espace dans lequel les habitants vivent à pied, là où ils vont à l’épicerie, chez le boulanger, chez le barbier. Pour cette raison, les quartiers centraux sont petits et très grands en banlieue parce que l’identification ne se fait pas de la même façon. Le lieu de vie y est extrêmement large.

La définition des territoires s’est faite assez rapidement dans les quartiers centraux, mais a été un peu plus compliquée vers l’extérieur.

Après cette première étape, il fallait recueillir une pétition de 300 personnes qui réclament un conseil de quartier. Puis la fonction publique commandait une assemblée générale qui allait définir les règlements de régie interne, notamment pour définir la qualité du septième membre. Et l’assemblée générale suivante allait servir à l’élection. Bien sûr, si les citoyens qui se présentaient voulaient faire des dépliants pour se faire connaître, la fonction publique était à leur disposition. Une fois le conseil de quartier constitué, une assemblée générale annuelle allait décider de le maintenir ou de l’abolir. Chaque année, c’était la première question posée à l’assemblée générale, puis le projet d’initiative était également déposé. Et avant cette assemblée, chaque année, le conseil municipal devait déposer le pourcentage de respect des avis, c’est-à-dire dire, sur le nombre d’avis transmis au conseil municipal, combien avaient été suivis tels quels. La moyenne était toujours supérieure à 90 %. Donc les conseils de quartier avaient un excellent poids auprès du conseil municipal, notamment parce que ce conseil municipal était ouvert à entendre les avis.

En 2001, dès la fusion des villes, la première chose demandée par les gens nouvellement intégrés dans la nouvelle ville a été la création des conseils de quartier, car ils voulaient avoir ce que les gens de Québec avaient, même si eux avaient la possibilité de s’opposer par des référendums, mais ils savaient que le conseil de quartier était bien plus puissant.

De notre côté, il fallait nous organiser, au cas où nous perdions les élections, pour que le prochain maire ne puisse défaire ce que nous avions mis en place. Nous en étions fiers. Jean-Paul L’Allier m’a alors dit d’aller voir le ministre des Affaires municipales pour faire inscrire ça à la charte de la ville. Cela a pris un certain temps, mais nous avons fini par inscrire dans la charte de la ville de Québec un article définissant clairement les conseils de quartiers. Quand la mairesse Andrée Boucher a été élue en 2005, la première chose qu’elle a voulu faire était d’abolir les conseils de quartier. Le directeur général de la ville a été obligé de lui dire que pour abolir les conseils de quartier, cela lui prendrait un vote à l’Assemblée nationale. Imaginez un vote à l’Assemblée nationale où les députés voteraient pour abolir un outil de consultation démocratique à la ville de Québec, c’est impossible. Le maire suivant a essayé la même chose et s’est fait donner la même réponse. Voilà pourquoi les conseils de quartier sont toujours là, mais malheureusement, ils sont devenus une espèce de structure vidée de son essence. En effet, le bureau de consultation et de relation avec les citoyens existe toujours, mais le temps consacré au conseil de quartier a diminué : un temps plein à l’époque pour deux conseils, mais maintenant, c’est peut-être un temps plein pour cinq ou six conseils.

Et comme les conseils de quartier n’ont plus de poids, les gens ont recommencé à aller voir le conseil d’arrondissement ou de ville pour des questions qui concernent leur quartier. Il y a, par contre, actuellement des gens qui se regroupent pour essayer de relancer les conseils de quartier. Je leur souhaite toute la chance du monde.

Pour revenir un peu en arrière, la période d’activité des conseils de quartier a débuté en 1993 et a fonctionné jusqu’en 2006. Et je pense que l’existence des conseils de quartier a diminué la contestation des habitants et favorisé l’acceptation sociale des projets.

Si on regarde tous les dossiers difficiles, l’exemple de mépris total de la voix des citoyens est évident dans le projet du Phare de Sainte-Foy. La ville avait travaillé avec le conseil de quartier un programme particulier d’urbanisme (PPU) dans lequel elle avait défini avec les gens du quartier une vision du réaménagement du boulevard Laurier. Il y avait eu un long débat sur la hauteur maximale de tours qui pouvaient être construites, pas plus d’une quarantaine d’étages. Trois mois plus tard, Michel Dallaire annonce un projet de 65 étages, alors que la mairie était fière de dire qu’elle respecterait la consultation faite avec les habitants. Après ça, Michel Dallaire a expliqué que Régis Labaume lui avait demandé de lui proposer un projet de tour qui serait la plus haute du Québec. Michel Dallaire n’avait aucune idée du PPU décidé avec les habitants du quartier. Quel mépris de la démocratie que d’aller poser un tel geste.

En ce qui concerne les comités de citoyens créés au départ, ils poursuivent toujours leur vie. Ceux qui restent les plus actifs sont Saint-Sauveur et Saint-Jean-Baptiste, dont on entend parler assez régulièrement. Ils se sont renouvelés beaucoup par la jeunesse de leur propre quartier, par des jeunes qui sont venus s’installer là de façon volontaire en choisissant le quartier pour sa culture, et ils sont prêts à se battre pour qu’elle reste intacte. Dans mon quartier à Saint-Sauveur, toute l’équipe du comité est plutôt jeune et ils ont une vision, je trouve, avant-gardiste d’une vie de quartier, mais nous avons perdu la bataille de la démolition du centre Durocher, notre centre communautaire situé au centre du quartier, de façon incroyable. Cela a divisé le quartier. Et je pense que ce n’est pas fini, parce que la ville a privatisé un espace public qui jouxte le parc. Je vous prédis que dans cinq ans, on n’acceptera plus que les enfants viennent dans ce parc, car le centre qu’ils ont construit va être consacré aux personnes âgées et je ne sais pas si elles vont les tolérer longtemps. On a perdu une grosse bataille, là, c’est mortifiant.

Finalement, je ne pense pas que le plus important ce soit qu’il y ait un, deux ou trois conseils de quartier, c’est la façon dont on travaille avec les citoyens qui est le plus porteur derrière ça. J’ai donné beaucoup de formations à des élus municipaux, essentiellement à des petites municipalités. Je n’y explique pas le fonctionnement des conseils de quartier chez nous, je trouve que ce qui est intéressant, c’est de voir le rôle des élus versus un autre style de consultation publique.

Pourquoi est-ce que c’est si embêtant pour les élus de laisser les citoyens prendre place dans la décision? C’est que quand on est élu, on est coincé. Il y a les promoteurs qui veulent avancer, la municipalité qui a une vision de ce qu’elle veut faire dans sa ville, il y a des gens qui proposent des choses et puis les citoyens qui veulent bien que le quartier se développe, mais à la condition de ne pas faire ci ou ça. Et l’élu est pris entre tous. Moi, ce que je pense, c’est qu’il faut précisément laisser une place importante à la population pour s’exprimer.

La relation avec le promoteur se passe normalement derrière des portes closes. Nous, ce que nous faisions, c’était inviter le promoteur à faire cette relation-là avec la population, devant les élus. À ce moment-là, le promoteur est obligé de s’expliquer un peu plus et de se faire poser des questions. Ça, c’est ce qui fait que les élus ont aussi peur de la consultation publique. Par contre, le véritable développement durable ne peut pas se faire autrement qu’à partir d’un développement porté par les gens qui vont le « subir ». C’est cela que j’explique aux élus municipaux quand je veux leur expliquer ce qu’est le développement local.

Le développement local commence d’abord avec une rencontre avec les citoyens dans laquelle on est capable de leur présenter ce qu’est leur municipalité et ses enjeux, puis de demander aux citoyens de l’aider en disant dans quelle direction aller. En effet, chacun a une lunette pour voir sa propre municipalité. Il faut aller chercher dans la population des gens qui ont des projets, mais des projets plus orientés vers les enjeux publics que vers des intérêts privés.

Pourquoi le développement local aboutit-il toujours à des projets collectifs? Voici un exemple extraordinaire à Rivière-à-Pierre, dans Portneuf, un village de 800 citoyens. L’histoire en raccourci : l’épicier, à 82 ans, décide d’arrêter son commerce. Le problème : c’est la dernière épicerie avant 41 kilomètres. Le maire suggère : si personne ne veut reprendre l’épicerie, peut-être que nous pourrions nous organiser tous ensemble. Alors, il a proposé la création d’une coopérative de solidarité. Il a pris l’épicerie, ajouté la station-service, la caisse populaire, la SAQ, une quincaillerie, un club vidéo et les a installés dans les locaux de la coopérative. Dans le village, tout citoyen est membre de la coopérative, s’il le souhaite, bien sûr. Tout cela est arrivé, car le maire a écouté les habitants, il a vu les enjeux et s’est prêté à l’idée de créer cette coopérative qui fonctionne beaucoup sur le bénévolat évidemment.

Finalement donc, c’est la méthode qui est intéressante. On peut faire ce qu’on fait dans un conseil de quartier dans une petite municipalité où on donne la chance, en dehors du conseil de ville formel.

Appliquer le même principe dans les pays du sud serait-il possible? J’ai travaillé à l’île de la Tortue à Haïti à essayer de créer des projets de développement par village. L’idée, c’était d’amener les conseils communautaires à se donner une vision à moyen terme pour un projet de développement. Je pense qu’il y avait là deux obstacles importants, c’est la culture d’abord, la gérontocratie qui est un obstacle important, et aussi, de par mon expérience, j’ai vu que la démocratie ne peut difficilement s’exercer au moment où on désigne le conseil communautaire, car une fois qu’un membre a été nommé, une règle non écrite, mais absolue, fait qu’il ne peut pas être dénommé. Tant que personne ne décède, il n’y aura personne de plus au conseil communautaire.

Une année, j’avais réussi à expliquer qu’ils pouvaient changer le président du conseil communautaire, que c’était possible. Effectivement, ils élisent un autre président à ce conseil, puis un autre membre entre. Je pense alors que j’ai réussi. Quelque temps après, je reviens pour la réunion du conseil et l’ancien président est là. Je pose la question, lui ne répond rien, puis les autres m’expliquent que lui, c’est le grand président et l’autre est le petit. Ce n’était pas possible pour lui de descendre dans la hiérarchie, dans leur culture. Il est possible de monter, mais pas de descendre. Pour cette raison, une véritable démocratie participative est difficile à faire évoluer dans ce contexte-là.

Pour parler d’une autre partie de ma vie, j’ai été directeur pendant 15 ans du centre local de développement local de Québec. Le concept de ce centre local est de soutenir des projets venant de la base citoyenne et avec de l’argent public géré par un CA indépendant, sans contact direct avec le politique. Le politique donne ses orientations, fournit l’argent, mais après, c’est une organisation qui soutient les besoins de la communauté, donc on est dans une dynamique complètement différente. Malheureusement, ça aussi, ça a été aboli par le nouveau maire, mais c’est vrai qu’il y a différentes manières d’appliquer ce que nous avons fait avec le conseil de quartier.

D’ailleurs quand nous avons imaginé le conseil de quartier, nous nous sommes inspirés de Bologne, ville que je n’ai pourtant jamais visitée. Nos intellectuels nous l’avaient expliqué. Donc nous sommes partis de ce modèle pour créer le nôtre. Ils avaient notamment la question du plan de quartier, mais n’avaient pas la possibilité de déterminer les priorités, ça restait une prérogative du conseil de ville. Le fait de définir un budget pour le fonctionnement, pour le plan de quartier et pour les initiatives n’existait nulle part. C’était notre manière à nous d’être le plus proche possible de la décision, mais il est vrai qu’un conseil de quartier ne peut fonctionner que si le pouvoir politique en a la volonté. Une fois que nous avons quitté la maison, les municipalités suivantes ont d’abord coupé le budget des initiatives, puis la liberté donnée aux conseils de quartier de décider les priorités du programme triennal d’immobilisation a été abolie, ensuite la présence conjointe des membres de la fonction publique et des promoteurs pour présenter les projets. Maintenant le conseil de quartier est reconnu uniquement pour donner un avis lors des règlements de zonage. Le reste, si les membres du conseil le font, c’est seulement par militance bénévole. C’est ce qui se passe dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, mais pour les autres, comme il n’y a pas de moyens, sans mobilisation bénévole, cela devient vide de sens. En plus, il n’y a aucun respect des décisions municipales prises à ce niveau-là, quel intérêt à militer dans un conseil de quartier? Si le pouvoir politique ne veut pas que cela fonctionne, cela ne fonctionnera pas.

Ce qui m’a toujours étonné, c’est que jamais au Québec, dans les villes où c’était possible, les conseils de quartier n’ont été imités, jamais. Et je suis convaincu que ceux qui ont bloqué cette possibilité, ce sont les élus. Selon moi, il y a deux sortes d’élus : ceux qui veulent réaliser un projet personnel et ceux qui se mettent au service de la population et qui y croient.

Je donnais une formation à un moment, et une mairesse qui suivait la formation vient me voir pendant la pause du matin et me dit : « C’est extraordinaire ce que vous m’apprenez, parce que je ne connaissais rien là-dedans. J’ai enseigné toute ma vie en première année dans mon village et quand j’ai pris ma retraite, tous sont venus me voir et voulaient que je sois le maire. J’ai dit non, je ne savais pas ce que c’était et, finalement, la 3e fois, j’ai dit que pour leur rendre service, j’allais y aller ». C’est la meilleure mairesse que j’ai jamais connue. Elle y est allée juste pour rendre service à ses concitoyens et l’avantage, c’est qu’elle connaissait tout le monde! Un bon élu, c’est celui qui dit : « Je vais leur rendre service. Je vais mettre mes talents au service de ma population. Je ne suis pas là pour aller réaliser mon projet. Je ne suis pas là pour aller me faire un monument ».

Je pense que, longtemps, les vieux ont bloqué l’accès aux plus jeunes dans ces sphères-là, c’est encore vrai. Je vois ça autant en entreprise que dans le milieu communautaire qui a d’ailleurs de la difficulté à évoluer quand les vieux restent trop longtemps vissés sur leur chaise. Je trouve que partout dans les règlements de régie interne, il devrait y avoir des longueurs maximales de mandat. Sinon, on tue l’organisme.

Je suis actuellement président du conseil d’administration d’une entreprise d’économie sociale. Le premier directeur général que nous avons engagé était un homme en fin de carrière et il n’a pas été capable de relancer. Il a eu des difficultés à faire confiance aux autres et, notamment dans le domaine récréotouristique, à des jeunes. Ensuite, j’ai engagé à sa place deux jeunes. Le premier a 32 ans et l’autre 25 ans, un gars et une fille. Et j’ai du mal à faire comprendre aux membres du conseil que nous n’avons que des orientations à leur donner et que, pour le reste, il faut les laisser travailler à leur façon, d’arrêter de porter des jugements sur la manière de faire, mais sur les résultats. Ils trouvent qu’ils se sont faits de bons horaires, mais celui d’avant est tombé en burnout, je ne veux pas que les nouveaux s’épuisent. Ils travaillent juste 40 heures par semaine, oui, c’est normal. En politique, c’est la même chose et il est temps que nous, les vieux, prenions notre retraite, c’est ce que j’ai fait.

Pour vous dire, aux élections municipales, à Québec, depuis 78 ans, le maire n’a jamais été battu. Un maire, ça ne se bat pas, ça se remplace quand il part. C’est malheureux, mais c’est ça. C’est un niveau politique duquel les gens se préoccupent moins alors que c’est le niveau politique qui a probablement le plus d’impact sur notre vie quotidienne.

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Négocier l'acceptabilité sociale, un enjeu de citoyenneté Droit d'auteur © 2018 par Marc Jeannotte est sous licence Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, sauf indication contraire.